De toute évidence, la saison des festivals s’étire un peu cette année. Parlons de performances surprise qui font grand bruit pour deux maires de la province. Tandis que le coloré Régis Labeaume est en pleine tournée de promotion pour assurer le succès du projet d’amphithéâtre – qui est un spectacle à lui seul selon ce qu’on tente de nous vendre – le maire de la métropole, Denis Coderre, a proposé un concerto de marteau-piqueur en détruisant une dalle de béton installée par Postes Canada et destinée à accueillir ces fameuses boîtes postales qui devraient remplacer bientôt la distribution du courrier à domicile. Un projet contesté.
Les arguments du maire sont limpides. Postes Canada n’aurait pas tenu de consultations adéquates auprès de la Ville avant de procéder à l’installation de ces dalles de béton. Bref, il y aurait des règlements, des normes à respecter, des discussions en cours qui ne sont pas terminées et, devant les avancées pour le moins cavalières de la société d’État, le nouveau shérif de Montréal a voulu marquer le coup. Devant les caméras, prenant la pose avec des bottes, un casque et un marteau-piqueur, il a réduit un coin de dalle de béton en poussière.
Le hic, c’est que ce faisant, le maire de la métropole a enfreint une loi aussi facile à comprendre que ses arguments. Les dispositions générales de la loi sur les boîtes postales stipulent en effet que: Postes Canada «peut installer ou faire installer dans un lieu public, y compris une voie publique, tout récipient ou dispositif destiné à la levée, à la distribution et à l’entreposage du courrier.» Plus encore: «Il est interdit d’enlever ou de remettre en un autre endroit un récipient ou un dispositif (…) sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de la Société.»
Denis Coderre a choisi d’outrepasser cette loi.Il a jugé légitime de commettre un acte illégal.
Ce qui devait arriver arriva. Ce spectacle médiatico-politique a inspiré des citoyens qui eux aussi ont voulu prendre part au festival et bloquer l’installation des boîtes postales. Assez pour que le maire lui-même doive appeler au calme. Il a revendiqué, pour sa part, un «geste unique», «politique». Philippe Orfali du Devoir rapportait que selon le principal intéressé, ce n’était pas «un geste pour dire qu’on peut se faire justice soi-même (…) mais c’est un geste pour demander le respect.»
Permettez? Expliquez-nous donc ça, monsieur Coderre, pour qu’on comprenne bien. Est-ce dire que lorsqu’il est question de poser un «geste politique» pour «demander le respect», il est de bon ton de défier les lois si on a le sentiment de ne pas avoir été adéquatement consulté, notamment lorsqu’une compagnie agit en accord avec les prérogatives légales dont elle dispose?
Évidemment, il y a l’argument démocratique. Denis Coderre, dûment élu, représente les intérêts des citoyens de Montréal, ce à quoi ne peut prétendre le quidam qui serait tenté par la désobéissance – lire la démolition – civile. Il y a tout de même un os de taille, car les élus qui votent les lois et règlements concernant les boîtes aux lettres, sont eux aussi investis du même avantage démocratique. Ils représentent, au même titre, les citoyens. Qui plus est, ici, dans le cas qui nous occupe, il est question d’une société de la couronne qui, ultimement, est dirigée par l’État.
Sans compter que, tout bien considéré, notre vie démocratique, sur la base de dispositions légales sans équivoque, confèrent à bien des gens le droit de représenter des citoyens. C’est le cas pour tous ceux qui sont élus au sein de syndicats et d’associations diverses. On peut penser par exemple aux associations étudiantes.
Je repose donc la question, fondamentale: Est-ce que le maire de la métropole du Québec est en train de dire qu’il est justifié de désobéir aux lois et même de détruire des infrastructures lorsqu’on a le sentiment de ne pas être adéquatement consulté par une compagnie?
Est-ce que le maire de Restigouche Sud-Est, par exemple, aurait pu aller démolir les installations de Gastem dans sa municipalité? Un geste «unique«, «politique», pour exiger le «respect»?
Si on lit bien les arguments de Denis Coderre, la réponse est oui, sans aucun doute.
Il en irait de même pour les autorités de Saint-Élie-de-Caxton qui auraient pu tirer à vue les hélicoptères de Fandcamp Exploration, compagnie qui avait acquis les droits miniers sur le territoire de la municipalité et qui procédait à des relevés malgré l’opposition des élus qui étaient appuyés par les citoyens.
Et les représentants des Innus de Nutashkuan qui s’opposent au mégacomplexe La Romaine? J’espère qu’ils écoutent la télé au mois d’août. Allez hop, un petit coup de marteau-piqueur sur un barrage hydro-électrique.
Pourquoi pas? Ce serait aussi unique et politique! Comment? Ce n’est pas ce que Denis a dit? En plus, ils luttent aussi contre une société d’État.
Et on peut envisager beaucoup d’autres scénarios. Des voies ferrées, des oléoducs, est-ce qu’on peut démolir tout ça, monsieur le maire, pour poser un geste politique et unique? Juste une fois? Devant les caméras? Pour passer un message fort?
Il faudrait bien admettre que ces infrastructures sont de loin plus alarmantes qu’une boîte postale et qu’un déversement de pétrole ou un train qui explose, sans qu’on sache ce qu’il transporte exactement, représentent des dangers plus inquiétants qu’une dalle de béton de quelques pieds carré à l’entrée d’un parc municipal de Pierrefonds.
Le coup d’éclat médiatique de Denis Coderre sur cette dalle de béton de Postes Canada ouvre la porte sur un tas de possibilités politiques qu’on n’aurait pas imaginé ailleurs que dans des cercles anarchistes. Sans aucun doute, le maire a choisi d’estimer les retombées marketing de sa sortie pour son image sans trop réfléchir sur les réelles conséquences politiques de son spectacle; car ces conséquences vont beaucoup plus loin qu’un simple stunt médiatique.
Politiquement, rien de nouveau. Denis Coderre fait un Camilien Houde de lui-même….
Bravo M. Jodoin pour ce billet! Excellente analyse!
Et les contribuables montréalais et/ou canadiens vont payer la note, directement ou indirectement, de ce petit spectacle médiatique irresponsable et inconséquent…
Bonjour M. Jodoin,
J’ai bien aimé votre article sur le coderre-piqueur (en fait j’aime tous vos articles, j’apprécie votre sagacité et je suis certain que sans votre théologie médiatique je n’aurais pas le même plaisir à lire le journal « VOIR ».) Je réagis donc à votre article et en me relisant je réalise que ma réaction a été plus forte et avec plus de ferveur que prévue.
Je pense que le shérif de Montréal devrait s’occuper de choses qui sont sous sa juridiction comme la circulation à Montréal et le transport en commun au lieu de s’occuper de la poste qui est de juridiction nationale. Je vois sur internet ce matin, qu’il y aura 3 ans de sacrifices pour les montréalais. Je cite «La ville va être écoeurante dans trois ans, dit Denis Coderre. Mais c’est sûr qu’il faut faire des sacrifices entre-temps.»
Moi je dis, la ville est déjà écoeurante dans le sens propre du mot.
Ça fait longtemps que tout le monde fait des sacrifices avec la construction de condos, la remise en état des conduites d’eau, les réparations de pont, les détours, le réasphaltage, les détours piétonniers, et autres raisons ténébreuses ou les rues sont bloquées et aucun travaux n’y sont en cours. Je ne pensais jamais qu’on se rendrait au point ou des policiers seraient assignés à gérer la circulation piétonnière. La population en a déjà ras le bol de rentrer à Montréal, peu importe le moyen de transport, auto, transport en commun, train. Le métro est ultra bondé. La fréquence des rames de métro se fait de plus en plus rare.
Tout a mal parti quand le gangster de Laval a séduit la maîresse de Longueuil pour augmenter le tarif du métro à partir de Longueuil pour aller à Montréal. C’était le début de la déchéance dans le manque de respect du simple citoyen. Cette ligne de métro avait déjà été amplement payée depuis 1967. En plus, les places de stationnement pour prendre l’autobus de Brossard à Montréal manquent. Les gestionnaires de la société de transport ont des super primes de « rendement » pendant qu’il y a encore des endroits à Montréal ou il est impossible de se rendre en transport en commun (i.e. studio Mel’s).
Et maintenant les sacrifices. Quelles sortes de gestionnaires gèrent les voies d’accès pour la circulation à Montréal ? Tout est fermé en même temps! Un enfant de douze ans pourrait faire la même chose. Comme disait l’humoriste Jean-Marc Parent, mettez un grand ruban jaune autour de l’île de Montréal et dites « C’est fermé » et dites le nous quand ce sera réouvert. Rien ne va plus dans le transport en commun sur l’île ni en banlieue; pas assez de stationnement gratuit, manque de véhicules. Les transiteurs quotidiens souffrent du syndrome de la grenouille dans l’eau bouillante et ne se rendent pas compte de la façon immonde dont ils se font traités par l’absence de prise de décision cohérente par les gestionnaires de toutes sociétés publiques ou privées reliés de près ou de loin au transport et à la circulation urbaine et sub-urbaine. Il vaudrait peut-être mieux que la somme des sacrifices soient échelonnés sur 20 ans et localisées pour éviter une congestion généralisée quasi permanente. Et l’on n’a pas encore parlé de vélos ou c’est le bordel total incluant les subventions à Bixi. Un autre sujet où les débordements ont déjà commencés.