Comme bien des parents partout au Québec, il y a quelques jours, je me suis rendu à la rencontre annuelle de l’école de quartier que fréquente ma fille pour la dernière année de son primaire.
Vos savez comment ça se passe. On se dirige d’abord tous vers le gymnase, guidés par les enfants qui nous ouvrent les portes. Il y a là des voisins et des amis qui discutent en attendant la présentation. La directrice arrive. D’abord, une policière du quartier nous dira quelques mots. Il ne faut pas se garer en double devant l’école et surtout pas de virage en U sur le boulevard ou rouler à toute vitesse dans les rues du quartier, répétera-t-elle à plusieurs reprises avec un étonnant talent pour le mime. Ça pourrait nous coûter cher. Ça va, merci.
Ces formalités étant réglées, on passe aux choses sérieuses. Un à un, les enseignants et les enseignantes sont nommés et viennent se placer à l’avant. Certains sont plus à l’aise que d’autres devant le public du quartier. Il y a toujours un joyeux drille dans le lot. Par chez nous, c’est le prof d’éducation physique qui a travaillé son entrée en scène. Lorsque son nom est prononcé au micro, il surgit d’un local, en tenue de sport, portant fièrement dans ses bras une grosse panthère en peluche, mascotte des équipes de sport.
Suivent les spécialistes et autres professionnels qui offrent divers services. Ils se tiennent là, souriants. Bonsoir, c’est avec nous que vos enfants passeront le plus clair de leur temps cette année.
Nous nous dirigeons ensuite vers les classes où nous sommes invités à nous asseoir au bureau de notre enfant. Nous passerons plus d’une heure avec le professeur pour discuter des matières enseignées et des méthodes pédagogique utilisées ainsi que pour comprendre un peu comment ça se passe au quotidien. Un bon moment, un peu émouvant même. Assis sur ma chaise trop petite, j’écoute silencieusement. J’arrive presque à me transformer en écolier pour quelques minutes. Ce type devant moi, je lui fais confiance. Elle est entre bonnes mains, la petite.
Je regardais tout ce beau monde en songeant aux échos polémiques qu’on peut entendre par les temps qui courent sur la fonction publique, les enseignants, l’État lourdaud qu’il faut de toute urgence réformer, rigueur budgétaire oblige. Je songeais surtout à ces appels répétés visant à dénigrer systématiquement les insatisfactions des travailleurs qui, ce soir-là, sont venus discuter avec nous.
Dans ces rares occasions où nous nous retrouvons tous ensemble, j’ai bien de la difficulté à me sentir entouré d’une bande de privilégiés qui se dégotent des vies de château sur le dos de la classe moyenne tout en prenant en otage les enfants et leurs familles pour conserver leurs avantages.
Évidemment, on fera valoir que c’est la bureaucratie et la technocratie qu’on vise dans cette rhétorique de l’État obèse. Les plus nuancés avanceront que les travailleurs de première ligne n’ont rien à se reprocher. C’est le système qu’il faut dégraisser, et non se couper les pieds et les mains pour perdre du poids.
Il n’en demeure pas moins que ce sont justement ces travailleurs de première ligne qui sont exaspérés, voire carrément exténués. Ce sont aussi les «usagers des services», puisque c’est ainsi qu’on désigne ce qu’on appelait naguère une famille, qui se joignent à eux pour protester.
Sont-ils donc alors endoctrinés par leur syndicat et par les technocrates pour croire des choses pareilles et se mettre dans un tel état?
C’est poser la mauvaise question. On pourrait, en passant, s’interroger sur bien des choses à cette enseigne. Par qui êtes-vous endoctrinée, vous, madame? Par la radio? Par les revues sur les étalages des caisses enregistreuses dans les épiceries? Par les slogans publicitaires? Par les politiciens en campagne? Par votre chanteur préféré? Hein? Dites-nous donc, au juste, qui vous martèle vos convictions, cette semaine?
Constatons que les occasions de se faire endoctriner ne manquent pas et posons la question qui s’impose:
Alors, quoi? C’est quoi, au juste, le problème, avec tout ce beau monde?
Il se trouve qu’on peut bien prétendre vouloir viser tout simplement l’épaisseur du système, c’est toujours un peu les mêmes qui s’en prennent plein la gueule.
Dans son excellente «Chronique « plate » sur l’éducation» publiée dans La Presse le 28 septembre dernier, Francis Vailles, qui a décortiqué les chiffres, nous expliquait que les dépenses en éducation n’avaient pas été réduites aussi drastiquement qu’on pourrait le penser au cours des dernières années. Au contraire, même. Il proposait ainsi la conclusion suivante: «Quoi qu’il en soit, le Québec a beaucoup investi dans l’éducation depuis 10 ans, mais les profs et les parents ne voient pas où est passé l’argent. C’est plate, que je vous disais, vraiment plate.»
Il y a peut-être une explication toute simple pour comprendre ce plate constat. C’est que tous ces chamboulements économiques ne concernent pas l’éducation et l’organisation de la vie scolaire à proprement parler. Il est uniquement question de paramètres budgétaires et d’enveloppes accordées aux ministères, les principaux objectifs à atteindre étant définis par le Conseil du trésor. Tout part ainsi du haut pour se perdre dans un labyrinthe kafkaïen sans arriver à destination. Rien ne semble provenir de la base, d’une réflexion des enseignants et des parents eux-mêmes. En somme, la théorie économique l’emporte sur la pratique éducative, celle-là même qui devrait être au cœur de nos préoccupations.
Il faudrait organiser quelque chose comme une très grande rentrée scolaire, une rentrée de toutes les rentrées, un grand événement dans un immense gymnase où tous ces travailleurs qui s’occupent de nos enfants pourraient venir se présenter et échanger avec les parents. Ensuite, nous irions nous asseoir en classe pour discuter. Des ministres pourraient venir s’asseoir à un bureau, sur une petite chaise. Pas pour prendre une photo en campagne électorale, mais pour nous écouter parler.
Je vous cite : «Il y a peut-être une explication toute simple pour comprendre ce plate constat.» Cette explication existe peut-être, mais ce qui est certain, c’est que celle que vous soumettez ne vaut rien (et pire encore). Une réponse plus habile irait chercher dans ce que l’on sait déjà, à savoir que la décentralisation du pouvoir décisionnel a fini par mener là où ses pourfendeurs avaient prédit qu’elle allait mener, soit vers un saupoudrage de mesures ruineuses et mal conçues (diminution des ratios, sur-addition des classes spéciales, sur-stigmatisation des élèves et sur-spécialisation/utilisation des interventions individuelles, sur-gestion locale, multiplication des activités parascolaires).