Les informations rapportées par les journalistes de l’émission Enquête à propos de femmes autochtones qui auraient été victimes de sévices sexuels, d’abus et d’intimidation de la part de policiers de la SQ à Val-d’Or ont eu l’effet d’une bombe médiatique. Une explosion bruyante qui semble avoir réveillé tout le monde, d’un coup sec, d’un sommeil très profond.
C’est le branle-bas de combat dans tous les coins. On peut certainement le comprendre. On peut sourciller un peu, aussi, quand même. Il aura peut-être fallu qu’une telle histoire implique des policiers blancs au service de l’État pour qu’on s’énerve un peu plus qu’à l’habitude et que tout le monde débarque non seulement à Val-d’Or, mais aussi en 2015.
Je lisais les grands titres à ce sujet, hier soir, à propos de la visite des politiciens qui sautent maintenant promptement sur la patinoire. Ceux concernant le chef du PQ ont particulièrement retenu mon attention.
«PKP troublé par les témoignages recueillis à Val-d’Or», lançait La Presse. «Pierre Karl Péladeau se dit troublé par son passage à Val-d’Or», titrait pour sa part Le Devoir. Le Journal de Montréal affichait de son côté: «PKP troublé par les conditions de vie des Premières Nations.»
Je n’irai certainement pas bouder le fait que les politiciens jugent l’affaire assez importante pour se rendre sur les lieux. Tant mieux. Vaut mieux tard que jamais. Mais il y a quelque chose de fascinant dans ce moment médiatique. Car ces mots, plus particulièrement pour PKP, sont lourds de sens.
Pour ma part, c’est en 2007, alors que Richard Desjardins et Robert Monderie proposaient le documentaire Le peuple invisible, qui traite justement du sort et des conditions de vie des peuples autochtones en Abitibi et au Témiscamingue, que j’ai été troublé. Et que je me suis senti con d’être arrivé si tard.
On était loin du fait divers dans ce documentaire. Tout y passait: les causes historiques, les conditions de vie qui font parfois penser au tiers-monde, les politiques kafkaïennes et honteuses et les séquelles désastreuses; manque d’éducation, de ressources, violence envers les femmes, alcoolisme, suicide, etc.
C’était en 2007, Le peuple invisible… Il y a huit ans. Le titre est fort, il résume tout de manière cinglante.
Et il m’apparaît encore plus fort aujourd’hui, alors qu’un baron des communications, dont la matière première est purement et simplement la «visibilité», se dit soudainement troublé.
Celui qui est à la tête d’un empire médiatique, toujours prompt à parler du nombre de lecteurs, d’abonnés, de cotes d’écoute, du public, des succès, de la valeur de l’information et tutti quanti, est aujourd’hui troublé par des témoignages. Il vient de débarquer.
Je ne lui reproche pas à lui en particulier de se réveiller subitement, mais disons qu’ici, plus qu’ailleurs, la tension entre le visible et l’invisible mérite réflexion. Ça coûte combien, la visibilité, au juste? On fabrique ça comment? À qui ça rapporte? Combien?
Il y a quand même des foutues questions à se poser. Comment se fait-il que je puisse savoir, presque en temps réel, le poids santé de Julie Snyder, les causes de son stress, que je puisse visionner un spécial Banquier mariage machin pour fracasser des cotes d’écoute, me farcir 2465 reportages photo sur la cérémonie où des vedettes souriantes en paillettes étaient trop heureuses d’être de bonne humeur, tout ça prenant place dans une foule d’émissions et de magazines, un grand déluge de visible très visible, alors que pour ces drames humains dont nous avons été informés à maintes reprises par plusieurs intervenants, c’est le silence le plus total.
Vous voulez du visible? Ça tombe bien. On en a tout un stock, on le liquide même au rabais pour faire de la place dans l’entrepôt. On manque d’espace, les camions attendent à l’entrée pour livrer.
Et ensuite, on se demande pourquoi ils barrent des routes pour se faire entendre.
Mais… Pour faire le front page, voyons.
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Lors de la sortie du film Le peuple invisible, le journaliste Pierre Cayouette de L’actualité avait demandé à Richard Desjardins si son documentaire allait éveiller les consciences comme ça avait été le cas pour L’erreur boréale (1999) qui avait beaucoup retenu l’attention médiatique à sa sortie.
Il avait répondu: «La forêt, c’est une industrie de 20 milliards. Un Indien, ça vaut rien.»
La suite de l’histoire lui a donné raison.
Reste qu’il existe quelque chose comme une bourse de la visibilité, où se négocient les grands titres. Certains ont plus de valeur que d’autres et c’est ainsi que les empires médiatiques et leurs propriétaires arrivent à encaisser des fortunes colossales.
Et qu’à cette bourse, justement, les conditions de vie des Autochtones en Abitibi ça ne vaut pas un clou rouillé. On a choisi depuis des années d’acheter et de vendre autre chose qui rapportait plus.
C’est surtout ça qui est troublant.
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Richard Desjardins et Robert Monderie, Le peuple invisible, Office national du film du Canada, 2007, 93 min (https://www.onf.ca/film/peuple_invisible).
Ouvrons les yeux,c’est honteux !