Qu’ils mangent de la brioche
C’est si mauvais que ça Les échangistes à Radio-Canada? Au point d’en faire tout un fromage? Plus plate encore que Stéréo Pop dont on a soudainement entendu parler depuis que Pierre Lapointe a pété sa coche à Tout le monde en parle? Je me demande parfois si vous ne parlez pas de météo, comme ce mois d’avril qui est vraiment le plus moche de tous les mois d’avril, comme tous les mois d’avril depuis la chute hors de l’Éden.
J’aimerais dire, d’abord, que je suis radio-canadien depuis mon enfance. Je vais même vous avouer qu’on m’engage assez souvent à la radio de Radio-Canada et que j’en suis plutôt fier. Dans ce magazine, il y a aussi quelques Radio-Canadiens que j’aime beaucoup.
Donc, ça m’agace un peu quand on parle de Radio-Canada au grand complet, mur à mur, avec une scie à chaîne. Il y a, à la radio de Radio-Canada, en tout cas, ce qui se fait de mieux dans les médias. Je pense à Désautels le dimanche, meilleur magazine de société au pays, Les années lumière de l’excellent Villedieu, C’est fou… avec Jean-Philippe Pleau et Serge Bouchard, La librairie francophone qui nous décoince de la belle province littéraire qui pue trop souvent du nombril. Franco Nuovo, le dimanche matin. OK, il m’invite Franco, donc j’ai l’air de sucer un peu, mais quel autre morning man invite un philosophe, un linguiste et une historienne pour vous réveiller? Je ne vous parle pas de La soirée est (encore) jeune. Ils sont très bons, mais chaque fois qu’on prononce le nom de l’émission, je crains qu’on demande le lendemain à Wauthier d’animer la soirée électorale et les Olympiques.
Tout n’est pas si pire qu’on le dit, mais oui, il y a cette fameuse télé de Radio-Canada, ce vaisseau amiral de cette flotte parfois un peu éparpillée.
On ne fait pas que nous gaver de divertissement sucré à la télé de Radio-Canada. Il y a du bon. Du très bon. Mais quand même, du gâteau au fromage, il y en a beaucoup, non? Je ne vais pas vous faire la liste au grand complet, vous le savez. On est quand même pas mal divertis, vous ne trouvez pas? Ça nous fait tout un bagage de variétés.
J’ai beau parcourir cette grille horaire au gré des saisons, il manque quelque chose. Je lis les descriptions des émissions – on parle de «concepts» en langage médiatique – et si je vous mets tout ça bout à bout, ça donne une sorte de pain très moelleux. Un pain aux raisins. De la brioche.
À la fois divertissante et indiscrète, la nouvelle Caméra 360i dévoile tout ce qui se passe autour de la table. Dans une atmosphère conviviale, deux équipes s’affrontent dans une variété de jeux intelligents et amusants. Une nouvelle émission quotidienne qui traite de la vie de tous les jours. Le public présent sera chouchouté. Un rendez-vous divertissant pour faire le point dans votre journée et traiter d’une multitude de sujets qui animent votre quotidien. Ti-Mé et son comparse Pogo continuent d’alléger les vendredis soirs.
Un moment donné, ça ne peut pas être une simple question de compressions budgétaires et de pressions politiques. Ça ne peut pas être toujours la faute de Harper qui n’est même plus là. Il y a des gens qui prennent des décisions et qui, visiblement, aiment manger moelleux. OK, Marina Orsini ou Entrée principale, mettons. Qu’elles chouchoutent le public et se touchent le quotidien léger une fois par jour, ces émissions, ce n’est pas illégal. Mais est-ce qu’on est vraiment obligé de me les servir en reprise après le bulletin de nouvelles de 22 heures? Ça, c’est limite immoral, quand on a les mains dans l’eau savonneuse pour terminer la vaisselle, de nous forcer à chercher la télécommande en panique.
Est-ce que ça coûterait si cher d’aller poser deux ou trois caméras dans un théâtre de temps en temps? Il y a une foule pièces qui se jouent toutes les saisons au Québec. Nous payons collectivement le travail de ces artistes. Il est bien amusant et divertissant Fabien Cloutier. Est-ce qu’on aurait pu aller filmer, par exemple, sa pièce rude et tragique Pour réussir un poulet qu’il présentait en 2014? Il s’agissait de filmer cinq comédiens sans trop d’effets spéciaux. Un plan fixe aurait pu faire l’affaire. C’est un exemple qui me vient à l’esprit, mais il y a en a mille. Qui a pu voir le spectacle coup-de-poing Mommy – non, ce n’est pas du Dolan – d’Olivier Choinière, un auteur incontournable de ma génération? Et Philippe Ducros – mon ami –, qui proposait L’affiche il y a quelques années à l’Espace libre et au Périscope, une pièce saluée par la critique sur le conflit israélo-palestinien? Pas si acrobatique, il me semble. On filme deux soirs et c’est emballé. Un petit montage, et hop! allez, on diffuse. Les technologies agiles et légères dont nous disposons désormais ne permettent aucune excuse.
Trop compliqué? OK. Allons en coulisse alors! Discutons avec les auteurs, les comédiens, les metteurs en scène. Voyons leur travail en répétition. En décembre 2015, ARTV présentait en grande pompe Les Morissette en coulisse. Oui, ces Morissette-là, le couple Véronique Cloutier et Louis Morissette. «Un des spectacles les plus attendus des dernières années», disait-on. Une émission produite par, je vais vous étonner… la boîte de Louis Morissette!
Qui d’autre a-t-on pu voir en coulisse à part ces deux-là? Quelle autre production théâtrale a eu droit à une telle forme de promotion? Je voudrais entendre des dizaines de noms. Le mois prochain, ce sera le Carrefour international de théâtre à Québec et le FTA à Montréal. Des événements phares pour les arts de la scène au Québec. Qui le saura? Qui sera averti? Qui pourra voir?
Ce n’est quand même pas si exotique d’espérer que, parfois, en soirée, après les nouvelles du sport et la météo, on nous documente un peu sur ce qui se passe dans la tête de tous ces créateurs qu’on n’invite jamais dans les jeux télévisés.
Et hormis ces productions théâtrales, de la même manière, il n’y aurait pas un petit spectacle de musique à filmer dans une petite salle quelque part? Au Divan orange ou au Cercle? Des musiciens à découvrir? Une visite dans leur local de répétition?
Et qu’en est-il de la vie intellectuelle? Les discussions abondent dans toutes les sphères des sciences sociales. Depuis quelques années, des bataillons de jeunes intellectuels et auteurs publient des essais, des ouvrages collectifs, créent des débats. Nous payons collectivement des chercheurs dans les universités. Il n’y a même pas une petite heure et demie pour une discussion toute simple?
Pas besoin de bancs qui tournent, de centaines d’écrans interactifs accrochés sur les murs, d’applications mobiles pour voter et choisir son angle de vue, de campagnes publicitaires qui valent plus cher que nos maisons imaginées par un stratège dans une agence de pub. Juste une discussion. Juste de la culture. Ce serait vraiment si compliqué? Inabordable pour un diffuseur public?
Allons. Je n’y crois pas. Pas une seconde.
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