Terroir et territoire
Théologie Médiatique

Terroir et territoire

Le PQ a perdu son chef. C’est dommage, c’est un peu tout ce qui lui restait. Toutes les économies du parti étaient misées sur ce nouveau sauveur tombé du ciel. Pour le reste, il y avait bien quelques placements dans le renouveau du discours nationaliste identitaire, un fonds à risque qui n’a toutefois rien rapporté de très convaincant jusqu’à maintenant.

Bref, il ne reste plus grand-chose. Un héros qui pleure, sans même avoir eu le temps d’échouer, c’est rarement bon signe.

Il faudra bien refaire un tour de manège. Et nous pourrons dans les prochaines semaines tenter de résoudre un mystère qui semble insoluble: le PQ doit-il diluer son essence nationaliste et indépendantiste pour tenter de battre, enfin, le PLQ? Si oui, que faire alors avec la question du référendum et les politiques identitaires qu’il faudrait inévitablement mettre de côté si la seule promesse est de bien gouverner une province et former un bon gouvernement?

Le gros problème avec le nationalisme, tel qu’il s’est déployé au PQ au cours des dernières années, c’est qu’il se pose presque exclusivement en réaction à une menace. On a mis beaucoup d’énergie à débusquer ce que nous ne voudrions pas être plutôt qu’à identifier ce que nous sommes. C’est ainsi qu’on a construit une sorte d’identité par négation: voici ce que nous ne sommes pas!

Il s’agit d’un mécanisme de défense qui nous a sans doute bien servi par le passé et qui prend racine dans une version tragique de notre histoire: nous étions ainsi, nous ne le sommes plus, un péril nous guette, nous devons le refuser ou nous allons mourir. Ça nous a sauvés bien des fois.

Mais ce faisant, on se retourne pour contempler le chemin parcouru et on se rend compte que les seules balises que nous avons accrochées aux branches servent plus à marquer des frontières qu’à nous retrouver dans les sentiers sur lesquels nous avançons.

Plus encore, les enjeux les plus discutés se concentrant presque exclusivement à Montréal et dans sa large couronne, on a aussi creusé tout un fossé entre la métropole et le reste de la province. Dans notre mythologie de l’actualité, seul l’unique autre pôle urbain de la province offre un contrepoids médiatique: Québec, la capitale. La clique du Plateau contre les radios de Québec. Ce couple d’opposition occupe, en tout cas dans l’imaginaire médiatique, presque tout le champ de l’identité et du positionnement politique en général.

Si bien qu’à la fin, ils pensent quoi, hein, le fromager de La Sarre ou le brasseur de bière de L’Anse-à-Beaufils? Et la fille qui fait la cueillette de salicorne quelque part dans les battures je ne sais plus où? Mis bout à bout, ça fait quand même tout un paquet de monde qui ne fait pas partie de la conversation.

Ça doit bien vous arriver à vous aussi, non? Sur la route, lors d’une halte, dans un recoin de paysage. Faire le plein en silence et vous demander secrètement: «Non, mais, torvisse de dieu, il pense quoi de toutes ces histoires, ce sympathique pompiste?»

Vous dire combien j’aime ce pays. Je pourrais en parcourir tous les rangs à pied, par simple désir. Et partout je suis confronté à cette question. À tous les coins de rue, ça me revient comme une comptine: «Mais toi, là, toi… tu penses quoi au juste?»

Comme je suis un peu con, je n’ai jamais osé le demander. Il doit s’en crisser à fond, que je me dis.

Et c’est ça que je n’arrive pas à m’expliquer. Parce que, OK, ça va, on est un peu de la même famille, toi et moi, non? Il y a là, quelque part dans l’idée de nation, une sorte d’appartenance, d’adhésion. Un truc qui nous branche tous les deux, et même nous trois, si tu insistes.

Or voilà, j’ai beau nous avoir écouté débattre depuis des années, avoir entendu ces discours sur les valeurs québécoises, sur les menaces qui nous guettent et les combats à mener jusqu’à la délivrance, vraiment, je dois concéder que je suis solidement fourré. Car à la fin, je ne sais toujours pas ce que j’ai à voir avec ce pompiste de Maniwaki. La seule chose que je sais, c’est que le Parti québécois ne m’a donné aucune espèce d’indice pour trouver une réponse intéressante.

C’est un peu ça qui s’est passé depuis les 10 dernières années. En fait, ça fera 10 ans au printemps 2017. Il y a une décennie, en mars 2007, le Parti québécois devenait la troisième opposition, devancé par l’ADQ qui l’avait doublé sur le terrain identitaire. Un traumatisme qui a déclenché une sorte de monomanie qui se résume en quelques mots: il faut reconquérir les cœurs des bérets blancs et sauver les sapins de Noël! Au plus vite! Ça, et se trouver un héros.

Pendant ce temps, le PLQ s’est confortablement et facilement installé dans un discours strictement comptable. Presque sans opposition, il a pu imposer une vision purement gestionnaire de l’État où le citoyen est un client. Là comme ailleurs, la concurrence devrait suffire à créer des liens. Au plus fort la poche et que le meilleur gagne.

Entre-temps, aux quatre coins du Québec, des gens font le pays. Ils inventent et réinventent, ils fabriquent, ils cultivent. Ils tissent le tissu social, ils labourent, ils créent des liens, revirent la terre, y font pousser du goût, mettent des mots dans nos bouches, des sons dans nos oreilles, des idées dans nos têtes. Et il y aurait tant à faire! Instaurer des marchés publics et maintenir des lieux culturels de proximité dans toutes les villes, développer des infrastructures de transport permettant la circulation de tout ce beau monde, de leurs créations et de leurs produits, chérir notre patrimoine architectural et le préserver, valoriser le terroir et le territoire en assurant des liens forts entre les urbains et les paysans.

Qui sait… Peut-être même que le choix entre un bon gouvernement et le projet de pays auquel se bute inlassablement le PQ depuis des années n’est qu’un faux dilemme. Pour le résoudre, il faudrait peut-être d’abord sortir le fil à coudre pour se raccommoder les mailles du filet avant même de songer à se trouver un nouveau héros ou une date pour un prochain référendum. Ça peut sembler évident, mais on ne tricote pas avec une paire de ciseaux.

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