Patriotisme organique
À partir du mois de juin, les médias se mettent en mode estival. C’est l’heure des programmations d’été où on invite des vedettes à parler jardinage et BBQ. Ça me va. Je n’y échapperai pas d’ailleurs.
Si vous saviez tout ce que je manque comme occasion d’émettre une opinion depuis que nous publions sur une base mensuelle. Je suis en retard sur tout. Pas moyen de frapper au bon moment. D’ailleurs, à l’heure où j’écris ces lignes, j’ignore ce qui se passera dans les dix prochains jours.
Dix jours… C’est le temps qu’il faut pour mettre en page ce magazine, l’envoyer à l’imprimerie et le distribuer dans les présentoirs. Vous voyez un peu le scénario. Je vous écrirais que les fraises viennent d’arriver au marché et, pour vous qui me lisez, ce serait déjà le temps des framboises.
Je suis donc condamné à être en retard. Je dois faire le choix d’être lent. Parler des choses qui ne changent pas, ou peu. Comme le paysage, tiens. Je suis une tortue.
Il y a quelques semaines, début juin, j’ai mis cinq heures pour faire Québec-Montréal par la 132. Tout le long. Je suis sorti de la capitale par le vieux pont de Québec pour traverser Villieu et Saint-Nicolas. C’est tout de suite la campagne.
À Leclercville, un peu après Lotbinière, magnifique vue sur le fleuve et la rivière du Chêne qui se jette dedans. On y trouve une halte municipale entretenue par des bénévoles. J’y ai vu un vieux Westfalia, toutes voiles ouvertes, qui avait élu domicile. Les véhicules récréatifs peuvent s’y arrêter aussi.
J’ai pissé et j’ai mis 2$ dans le truc pour les dons. Il y avait une feuille imprimée au-dessus de l’urinoir qui m’y encourageait. Merci les bénévoles. La réalité coûte 2$. Ça me semble OK comme deal.
Juste en haut, une cantine familiale pour luncher. Le Sainte-Emmélie que ça s’appelle. Avec une jolie terrasse. J’ai regretté de ne pas avoir faim.
Cinq heures, donc, pour ne pas croiser un Subway machin ou autre McDo du coude sur l’autoroute et pisser dans un truc qui sent le Vicks.
J’étais sur la piste de quelque chose. La lenteur. Le temps qui passe, l’odeur du printemps qui se dérobe pour laisser la place à l’été. Je me suis même arrêté dans un petit bois de peupliers pour voir si je ne trouverais pas quelques morilles. En vain.
C’est plus loin, un peu après Nicolet, que j’ai eu une sorte d’apparition. Une expérience totale et intégrale. Comme saint Paul sur le chemin de Damas. Entre Nicolet et Pierreville, très précisément, en croisant le rang du Petit-Bois où j’ai failli faire un détour vers Notre-Dame-de-Pierreville. Je le regrette depuis. En tout cas, j’ai eu une apparition. Une sorte de peak experience comme on dit en latin.
Je venais de découvrir le patriotisme organique. Une odeur. Un coup de vent. Un rayon de lumière sur les terres. Rien dans la tête, tout dans le nez et les yeux. Un paysage pas toujours beau, souvent laid, même, mais où je sais par cœur comment me faufiler, avec les repères appris je ne sais trop quand. Prends ce chemin, ça va déboucher au bon endroit.
Évidemment, je ne savais pas, à ce moment-là, ce qui m’arrivait.
J’ignorais aussi que le Brexit allait occuper le devant de la scène deux semaines plus tard. Coquin de sort quand même, le Royaume-Uni, par voie de référendum, allait choisir de quitter l’Union européenne le jour même où, ici, nous allions célébrer la fête nationale.
Ce fut la totale. Pour plusieurs, le «peuple», au singulier, avait fait entendre «sa voix», au singulier encore. Une voix contre les élites mondiales transnationales. Remarquez ici l’assemblage entre le singulier et le pluriel. Le peuple se bat seul, unifié, uniforme, contre une menace multiple, tentaculaire. Ajoutez le mot référendum, et ça donne une boisson forte parfaite pour le party. Ça m’a fait sourire. Mathieu Bock-Côté a bien écrit 22 statuts Facebook et une demi-douzaine de chroniques à ce sujet. Ahhh! Le peuple a parlé! Écoutez ce qu’il vous dit un peu! Entendez son message! Vraiment, ça sonnait comme Jean le Baptiste, dans le désert.
J’ai quand même une question plate. Si je peux me permettre. Toute conne. Je m’en excuse à l’avance. Mais le peuple qui a parlé, lors de ce référendum, c’est quelle moitié au juste? Le 48,1% ou le 51,9%?
Vous me direz ça un jour.
Pour revenir à ce périple routier, j’ai lâché la 132 à Sorel pour faire un détour par l’autoroute 30 à cause du trafic. J’ai repris la petite route à Contrecœur. C’est joli jusqu’à Varenne, où ça se gâche un peu.
J’ai quand même eu le temps, au retour de la route, d’aller discuter avec Bruno, chez Birri, au marché Jean-Talon. J’achète mes plants de concombre libanais aux Italiens depuis que je possède une truelle et un coin de jardin. Cette année, avec le coup de froid début juin, ils se sont écrasés comme des crêpes humides. J’ai planté trop tôt. Bruno m’en a refilé des nouveaux qui vont plutôt bien depuis.
J’espère que mes vieux plants ne m’en voudront pas trop. Je les ai arrachés. Plus rien n’allait sortir de là.
Attendez un peu de voir ma salade grecque du jardin. Pour le fromage feta, je vais essayer celui du Troupeau Bénit, de la fromagerie du monastère Vierge Marie la Consolatrice, à Brownsburg. Ça devrait le faire.