Il faudrait qu’on le redise
Je vous écris du passé. Au moment où vous lirez ces lignes, vous serez à la veille de connaître le dénouement de cette trop longue course à la chefferie du PQ, si vous ne le savez pas déjà. J’espère qu’il vous plaît, en tout cas. Je dis «il», car c’était vraiment un combat de cons, un mot étrangement masculin.
J’ai aussi passé la soirée d’hier à écouter le débat entre Hillary Clinton et Donald Trump. De ça, je ne vous dirai rien, sinon que Trump n’est un monstre que parce que la mythologie politique a besoin de ce genre de créature. Il ne ment pas, il invente. Son discours est plus une fabrication qu’une contrefaçon. Le monde a besoin de héros, mais pour avoir des héros, il faut des monstres à abattre.
J’allais vous écrire comment je trouve ça plate, la politique. Pas «le» politique… «la» politique. Cet art oratoire plein de sparages, de promesses décourageantes, de mises en scène, de costumes et d’allégories. Comme Lisée, avec sa superbe et ses effets de toge, qui sort un tweet de Charkaoui pour planter Cloutier. Tiens! Un monstre! Laissez-moi saisir mon épée! Ah! ah! Coquin! Viens que je t’assassine! Vois comment je suis fort, moi! La mythologie, encore.
J’allais vous parler de tout ça, avec le sentiment de radoter. J’ai certainement dit ça mille fois, que du haut de ces tribunes en carton, ceux qui veulent gagner un concours m’ennuient profondément. J’avais écrit un texte long comme ça, sans doute très plate, lui aussi. Je m’apprêtais à l’envoyer à la correction lorsqu’une nouvelle est apparue dans les grands titres.
Quelque chose d’étonnant, enfin: «Gabriel Nadeau-Dubois et Jean-Martin Aussant s’unissent dans un projet politique.»
Vous ai-je dit que je trouve, aussi, les grands titres plates? Ce projet est en fait porté par cinq personnes. À ces deux gentlemen, il faut ajouter Claire Bolduc, Maïtée Labrecque-Saganash et Alain Vadeboncœur qui proposeront dans les prochaines semaines une «vaste tournée de consultation citoyenne sur l’avenir du Québec». Pour le spectacle, on aura choisi les deux noms les plus connus sur l’affiche. Pas leur faute. C’est ainsi qu’elle se fabrique, la mythologie politique, avec des noms de héros.
Reste que j’y ai vu une jambette assez amusante. À une semaine de l’élection du chef du PQ, lancer un tel projet, ça ne pouvait pas être un hasard. Une manière de jeter du sable dans l’engrenage déjà rouillé, ou une pelure de banane que le PQ aurait oublié de s’envoyer à lui-même.
Au téléphone, Gabriel Nadeau-Dubois n’accepte pas ma théorie du croc-en-jambe: «La plus pure vérité, c’est que c’est un hasard. Nous avions commencé nos rencontres, les cinq, avant que la date de l’élection du nouveau chef au PQ soit annoncée. Nous avons décidé que ça ne nous dérangeait pas. Nous avons choisi de lancer ce projet-là en nous tenant le plus loin possible des sphères partisanes.»
Pas de manigances? Allons… Si vous le dites. Mais tout de même… Un bon timing, non? Je ne suis pas complotiste, mais j’ai peine à croire qu’un tel projet ne pouvait pas être lancé à un autre moment. Je ne m’en plains pas, remarquez, mais c’est assez fort de café de vouloir me faire croire à un pur hasard. Vous n’avez quand même pas lancé un dard sur un calendrier avec les yeux bandés.
Quoi qu’il en soit, se lancer dans une telle aventure c’est dire que la conversation politique est minée par la partisanerie et que, donc, au sein des partis, on ne peut plus se parler.
«Oui, c’est un de nos constats, m’explique Nadeau-Dubois. Trop souvent, avant de parler du projet de société, on est tout de suite empêtrés dans des enjeux partisans. Tous ces débats masquent le vrai problème qui se résume à une question: c’est quoi la proposition globale que les progressistes ont à faire? Je pense qu’il y a plein d’éléments, il y a plein d’idées, mais lorsqu’il s’agit de mettre de l’avant un projet cohérent, je pense qu’on a pas mal de questions et assez peu de réponses pour y parvenir.»
Ce constat résume une idée qui ne semble pas avoir été suffisamment méditée du côté gauche de la paroisse. Ces dernières années, de l’indignation, on en a eu en masse. Des mouvements comme les camps d’occupation jusqu’à l’encerclement des écoles avec le slogan «Je protège mon école publique» en passant par le printemps étudiant, les multiples oppositions aux projets pétroliers et autres concerts de casseroles. Ajoutons volontiers quelques poings levés au gré de l’actualité. Or malgré tous ces cris indignés, rien ne semble poindre comme projet politique.
Une situation qui nous mène à une question un peu embarrassante: se pourrait-il que la gauche progressiste, loin d’être le vecteur de changement qu’elle aimerait être, soit devenue dans les faits un agent d’immobilisme?
«Malheureusement, la gauche – qui est ma famille politique –, dans l’esprit de bien des gens, en est venue à incarner le statu quo, la protection des choses telles qu’elles sont, plutôt que de représenter le changement social. Par un revirement de situation que je considère comme absurde, c’est une certaine droite qui s’est approprié le discours du changement social, ce qui place les progressistes dans une position inconfortable, qu’ils ne devraient pas adopter, qui est purement défensive, voire, à certains égards, conservatrice.»
Cette réponse de Gabriel-Nadeau Dubois illustre à la fois le cul-de-sac dans lequel se trouvent les progressistes et le piège que le projet Faut qu’on se parle s’est peut-être tendu à lui-même et duquel il devra inévitablement sortir. Dans le communiqué annonçant le projet, Claire Bolduc souligne que «trop souvent, on entend les mêmes débats entre les mêmes personnes qui s’échangent les mêmes arguments». C’est bien beau de le dire, mais ce n’est certainement pas parce que les arguments exotiques pour la gauche, sur les questions que les protagonistes de ce projet de conversation souhaitent aborder, ne sont pas déjà bien déployés sur la place publique.
En somme, s’il faut sortir la gauche progressiste de l’impasse, on aurait peut-être plus besoin de s’écouter que de se parler, pour une énième fois. Sinon, tout ceci pourrait ressembler à une habile opération de relooking, de bonne foi, sans doute, mais avec tout le marketing que cela sous-entend pour nous vendre le même produit dans un nouvel emballage.
On verra, comme disait un autre qui voulait qu’on se parle, il n’y a pas si longtemps.