Fin 2016. Mi-décembre. Je lis un bilan d’Influence Communication qui compile, à toutes les fins d’année, les nouvelles, les tendances, les mots-clés qui marquent l’imaginaire médiatique au Québec. C’est une sorte de test sanguin. Ça vous résume tout ce que vous avez consommé comme poison: attentats de Nice, de Bruxelles, les pitbulls, Brexit, Zika et Trump. Trump, surtout, qui prend la tête des nouvelles annuelles. Du jamais vu. De ces fruits cueillis, on distille une grande thématique: l’année 2016 aura été celle de la peur.
J’allais écrire à ce sujet. La peur. Je m’en voulais déjà, car je savais que vous n’alliez pas me lire avant le début du mois de janvier et que quelques jours après le Nouvel An, vous bassiner avec la peur, disons que ça ne part pas la rentrée du bon pied. Comment vous souhaiter bonne année avec un truc pareil?
Mais bon, les derniers jours de décembre allaient sceller cette thématique pour de bon. Un lundi comme un autre. Ambassadeur de Russie assassiné en Turquie, attentat au camion dans un marché de Noël à Berlin. Vraiment, la peur, elle ne prend pas de vacances. Tant pis pour le réveillon. Il y a toujours quelque chose à briser.
Ce qui se brise, petit à petit, maille par maille, face au terrorisme, c’est le tissu social des sociétés occidentales. Le type qui se fait exploser dans un lieu public, qui fonce au volant d’un autobus ou d’un camion dans une foule, il ne vise pas directement les gens qui vont mourir dans tel ou tel endroit. Il crée un choc. L’effet escompté, c’est la fracture, la division et la polarisation.
C’est dans ces cicatrices que s’installe le réel danger. À chaque coup d’éclat, on se retrouve de plus en plus divisés, en opposition les uns envers les autres, de manière toujours plus marquée. Ainsi, le glissement vers l’extrême droite n’est pas, comme on pourrait le penser, un remède contre ces attaques ou une solution qui pourrait les prévenir: c’est précisément le virus que le terrorisme nous injecte à petite dose.
Car c’est dans les sociétés fracturées que le terrorisme trouve son compte. C’est le terreau parfait pour faire pousser l’exclusion, l’ostracisme et tout ce qui peut faire en sorte que des groupes de citoyens se sentent exclus. C’est là qu’on cueillera, facilement, les prochains fruits de la haine.
À ce titre, l’endroit où la terreur éclate importe peu. On peut tout aussi bien frapper à Nice, à Bruxelles ou à Berlin, la polarisation et le glissement vers les extrêmes pourront se vérifier un peu partout en occident. On frappe en Allemagne, on est blessés à Pointe-aux-Trembles. Les terroristes ont compris ça.
S’il faut faire un constat en regardant l’année 2016 dans le rétroviseur, c’est bien celui-ci: le terrorisme nourrit l’extrême droite qui, à chaque attentat, trouve un nouveau prétexte pour recruter des gens en colère qui n’hésitent pas à se mobiliser. Dans ces territoires idéologiques, on ne s’embarrasse pas avec les détails. À quoi bon distinguer un musulman d’un adepte de l’islam radical? Mettons tous les étrangers dans le même sac. Détestons tout le monde également.
À l’inverse, ce constat nous oblige à en faire un autre: ceux qu’on pourrait nommer de manière très large les «progressistes» ne parviennent pas à proposer un discours qui pourrait prévenir ce glissement vers la droite extrême. Au contraire, en se contentant le plus souvent de lancer des anathèmes à tous ceux qui n’adhèrent pas à leur vision du monde, ils contribuent à creuser les fissures qu’ils prétendent réparer. Là encore, on préfère travailler à la pelle plutôt qu’au scalpel. Au Québec, la mouvance «inclusive» se complaît bien souvent dans la simple opposition à quelques grandes gueules populistes en apposant assez facilement l’étiquette commode du racisme sur quiconque ose émettre un doute sur la possibilité de réconcilier la démocratie et l’islamisme radical. Crier à l’islamophobie suffit la plupart du temps pour clore tout débat, comme si le citoyen lambda n’avait pas quelques bonnes raisons d’avoir peur, justement.
S’il faut risquer une résolution pour l’année qui commence, c’est sans doute dans ce jardin un peu mal foutu qu’il faudrait la semer, en espérant récolter quelques fruits. Si les progressistes souhaitent contrer la montée de la droite et le populisme ambiant, ils devront proposer un projet qui saura composer avec la peur légitime des citoyens tout en proposant un idéal de réconciliation qui pourra les rassurer. Ce ne sera pas une mince affaire, car une telle résolution devra passer inévitablement par une critique sévère et rigoureuse du conservatisme religieux. Nous sommes, en quelque sorte, pris au piège entre deux dogmatismes qui s’affrontent: l’orthodoxie de la droite et celle de l’islam radical. Pour nous sortir de cette impasse, ce sont nos propres mythes qu’il faudra remettre en question. C’est sans doute l’exercice le plus difficile.
Puis-je quand même vous souhaiter bonne année? Je sais, j’aurais pu vous proposer la course à pied ou un régime minceur comme résolution… Mais serait-ce vraiment plus facile? Dans tous les cas, ce qu’il faut vaincre, d’abord, c’est l’habitude. Il est là, notre pire ennemi.
Je vous en souhaite une bonne. Quand même.