Confession systémique
Théologie Médiatique

Confession systémique

Lorsque j’étais petit, dans ce Québec encore assez catholique pour aller à la messe, le curé de la paroisse venait nous visiter à l’école pour nous initier aux grandes étapes de la vie. C’était il y a mille ans, juste avant les milléniaux. Il y avait la première communion, la confirmation et, en chemin, je ne me souviens plus trop quand précisément, il y avait la confession, le sacrement du pardon qu’il fallait périodiquement recommencer. On ne s’en sortait jamais, il fallait irrémédiablement y retourner. On nous y préparait. Un soir donné, tous ensemble, on se retrouvait à l’église, serrés dans nos manteaux, pour faire la file afin d’aller confesser nos péchés. On ne savait pas trop quoi aller raconter. Peu importe, il fallait trouver quelque chose, sinon c’était louche. Je me souviens d’avoir raconté, pour m’en sortir, que j’avais menti à ma mère pour une connerie et que j’avais traité de gros un gros, qui était effectivement gros, dans la cour de récréation. C’était mal, sans aucun doute, mais dans les ruelles, à l’époque, il fallait choisir ses armes. Moi, j’étais moyen et je devais me défendre. Mon finger, c’était mon doigt le plus musclé. On fait avec ce qu’on peut.

On répétait l’exercice tous les mois et, chaque fois, il fallait absolument trouver ce qu’on avait fait de mal pour se faire pardonner. À la longue, on ne sait plus trop quoi inventer. Il faut fouiller très loin et savoir improviser pour être sauvé. Je veux dire, à 12 ans, vous savez, le péché, c’est assez tranquille.

J’avais oublié ces moments de malaises inutiles enfouis dans mes souvenirs de jeunesse jusqu’à ce que le gouvernement annonce la tenue d’un grand rite de purification: une ronde de consultations sur le racisme et la discrimination systémique.

J’ai eu le même réflexe que lors de ces longues soirées plates à l’église: «Mais que pourrais-je encore aller raconter que je n’ai pas déjà dit? Est-ce donc moi qui dois être sauvé, ou bien le curé qui se cherche une manière de justifier son autorité?»

Mais, anyway, le même trouble m’envahit, avec la même exclamation teintée de découragement: «Ah non, pas encore!»

À multiplier les examens de conscience, on a l’impression de se retrouver en situation de psychanalyse permanente. Avons-nous vraiment besoin, au Québec, d’un autre tour de manège, d’une grande conversation nationale où chacun ira se gratter la plaie de la faute et de la souffrance en attendant la rédemption?

Devons-nous encore une fois dresser la liste des recommandations qui iront dormir au cimetière des bonnes intentions? Ça fait plus de 10 ans que le rapport Bouchard-Taylor dort sur une tablette, ou demeure couché sur le divan, devrais-je dire. On a pu dire bien des choses sur ce rapport, mais si on s’attarde à le lire, il est difficile de ne pas voir qu’au chapitre des vœux pieux, on retrouve toutes les grandes lignes de ce qui semble nous préoccuper de manière urgente aujourd’hui: apprentissage de la diversité, promotion d’un cadre civique commun, intégration des immigrants et tant de choses encore.

À ce rapport, aboutissement d’un long psychodrame dont nous tentions de sortir, s’ajoutent bien d’autres initiatives du même ordre: publications de divers conseils et organismes concernés par ces questions, études, chiffres et statistiques sur l’emploi, sur la judiciarisation, sur l’accès à l’éducation. Du côté des Premières Nations, nous avons en main depuis décembre 2015 le rapport de la Commission de vérité et réconciliation. Je pourrais remplir tout un magazine à dresser la liste de tout ce qui s’est dit et qu’on a promis de se dire depuis le début du millénaire, et encore, je manquerais d’espace.

S’il y a quelque chose de systémique en ce pays, c’est bien cette manie malsaine de se poser toujours les mêmes questions avec des mots différents en faisant chaque fois des têtes d’étonnés, convaincus d’avoir mis la main sur une trouvaille inédite.

J’aimerais proposer un grand chantier. Je souhaiterais qu’on fasse une commission là-dessus. Une commission sur l’oubli et l’ignorance systémiques, sur les recommandations systémiques, les rapports systémiques, sur notre lente agonie, notre noyade systémique dans toutes ces pages passées à la déchiqueteuse de notre inconscience collective, systémique elle aussi, bien entendu.

Le plus dérangeant, dans cet exercice, c’est de voir des intervenants sauter à pieds joints dans cette manigance qui a tous les aspects d’une entourloupette électoraliste. C’est gros et coloré comme un ballon de plage. À moins d’être aveuglés par le soleil, vous ne pouvez pas le manquer. Alors que le Parti québécois tente de se refaire un semblant de réputation en lançant aux oubliettes son projet de charte et la désastreuse campagne de relations publiques qui l’accompagnait, on imagine bien Philippe Couillard distiller une nouvelle formule, se posant la question qui englobe tous les mystères de la foi électorale: «Comment remettre à l’ordre du jour, subtilement, quelques gros mots qui font peur afin de bien marquer les esprits? Rien de plus facile… Proposons une grande réflexion collective sur le racisme et la discrimination et voyons comment le Lisée nouveau se débrouillera avec ce fromage.»

Cette idée de consultation est au Parti libéral ce que la Charte était au Parti québécois: un plan de politique de la division qui sert moins à trouver des solutions qu’à exposer les travers d’un adversaire politique. Il s’agit de gagner du temps sur fond de réclame publicitaire, en espérant que la colère trouve écho dans les urnes. Nous avons assez joué dans ce film pour en connaître le scénario et le dénouement. Ça ne manquera pas. D’ici quelques mois, dans ces sillons de la polarisation, nous récolterons de gros légumes.

Loin de régler quoi que ce soit, ce projet d’ausculter encore une fois les travers de notre société ne fera qu’allonger la prescription déjà longue. On ne guérit rien, on entretient. Le curé qui recommandait de faire des chapelets pour se faire pardonner savait bien qu’avec de tels conseils, il n’éradiquait pas le mal du monde, il vendait de la fidélité. Le péché, c’était, en somme, son fonds de commerce. Le mal, comme on le voit, était déjà là, systémique.

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