Théologie Médiatique

Je vous écris d’aussi loin que possible

C’était au milieu du mois d’octobre. Il faisait presque canicule par ici. Une anomalie saisonnière. Une amie m’envoyait une missive du nord: «Je t’écris en direct de Puvirnituq, mais ce pourrait être le code postal de la lune.» Ça m’a foutu le cafard solide. D’où? Il a fallu que je cherche. Ça me semblait plus loin que le Laos. Pas la porte à côté, en tout cas. Tout est si loin en ce pays.

Si loin, ou trop proche. Quelques jours plus tard, la tête d’Éric Salvail roulait dans l’arène du show-business local. Gilbert Rozon, après lui. Tout le monde semble se connaître dans ce grand festival de la bite au vent. Tout le monde le savait, qu’on entend sur les ondes. Tout le monde se taisait, aussi. Bon, pas tout le monde, mais on a assisté à une étrange performance de promiscuité où la pure ignorance n’était pas monnaie courante. On dit parfois que le monde est petit. Ça n’a jamais été aussi vrai. Quelques mots de mon amie me sont arrivés par courriel. Elle prenait l’avion pour revenir par ici avec l’envie de boire une bière. «Il fait plus froid ici que n’importe où ailleurs, que je lui ai répondu. Quand tu veux pour une bière.»

On dit que ces types sont tombés de haut. Je me demande bien de quelle hauteur au juste.

Je ne peux quand même pas me désolidariser complètement du monde, mais j’aimerais dire, pour la postérité, que, moi, je ne savais pas. J’ignore tout de ce qui se passe dans ces galas à la mords-moi-le-succès-mon-vieux et ces étranges espaces célestes où on transforme un cuistot du shooter en sommité culturelle et un magnat du gag en messie de la gestion d’entreprise.

C’est le niaiseux ordinaire qui m’intéresse, moi. Ce jeune homme qui, tôt ou tard, en se touchant la graine, devra faire un choix: devenir un pauvre con ou un immense salopard. C’est lui que je connais, que j’ai croisé à maintes occasions, dans lequel je me reconnais. J’aimerais, à mon tour, lui dire deux mots: moi aussi.  Qui lui apprendra, à lui, qu’on peut devenir autre chose qu’une bête? Pas un saint, pas un surhomme, pas l’achèvement de l’humanité… Simplement quelqu’un de bien, de pas trop mal, de correct.

Commencée avec l’affaire Weinstein, cette chute des gros bonnets de l’écran a quelque chose qui relève de l’artifice hollywoodien. Comme si, ce qui craquait, c’était le vernis de la célébrité. Cette vie des gens riches et célèbres, je la croise tous les jours à l’épicerie, à la pharmacie, reluisante sur les pages couvertures de revues criardes. Tromperies, mensonges, fourberies et hypocrisie semblent être les ingrédients d’un univers parallèle. On nage ici dans la fabrication du faux, comme si la vie des stars était une société secrète. Cette chute à laquelle on a assisté, c’est comme si toutes ces couvertures de magazines se déchiraient. Tout ce papier glacé réduit en miettes, bon pour les ordures.  Il y a là un paradoxe malsain: tout faire pour être le plus visible possible, pour mettre sa face partout, et découvrir un jour que cette fuite constante vers le haut ne sert qu’à dissimuler tout le glauque de la condition humaine.

Qui lui apprendra, à lui, qu’on peut devenir autre chose qu’une bête? Pas un saint, pas un surhomme, pas l’achèvement de l’humanité… Simplement quelqu’un de bien, de pas trop mal, de correct.

Il faudra un jour rendre hommage aux victimes qui ont brisé le silence pour ça, après la tempête. Il faudra les remercier d’avoir découpé une fenêtre dans ce monde opaque où on confond la lumière aveuglante des projecteurs avec la clarté du jour.

Entraînés dans ces affaires comme dans un vortex, c’est à coup de grands titres qu’on mène de grandes discussions bruyantes qui dissimulent des questions qui semblent désormais lointaines et accessoires. Comment faire pour rencontrer quelqu’un? Comment séduire, tisser des liens de confiance, bâtir une relation et avoir l’espoir de laisser quelque chose de moins pire après soi? Qu’est-ce donc que le bonheur et l’amitié? Et l’amour dans tout ce bordel?

C’est sans doute en avançant lentement qu’on trouvera des indices pour résoudre ces mystères. C’est peut-être la seule chose essentielle que je puisse dire à ce jeune con qui assiste à ces explosions en se demandant si, lui-même, il ne fonce pas à toute allure, guidé par sa queue, vers le précipice de la bêtise. Prends ton temps, mon vieux. Marche lentement et n’hésite pas à t’arrêter en chemin pour saisir les charmes du paysage. Tu verras, pour contempler la beauté, il vaut mieux être très loin. De trop près, on ne voit plus rien.

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