Le froid venait de s’installer et je sentais que le monde pourrait bientôt être avalé dans le feutre du silence saisonnier. En cette dernière fin de semaine de novembre, on allait célébrer le Black Friday et le Cyber Monday, sorte de rituels au sein de la sainte Église des grandes surfaces. Je lisais dans les grands titres que Caroline Néron avait lâché un pet sur Instagram question d’annoncer 25% de rabais sur ses bougies au parfum de vanille exquise. Vivement la venue du messie. Aucun doute, pour le repas de Noël, les canards seront bien gavés. Nous sommes, à bien des égards, des animaux d’élevage.
Cette même fin de semaine, les frustrés des testicules qui se rassemblent sous la bannière de La Meute allaient manifester à Québec à l’occasion du congrès du Parti libéral. Que voulaient-ils dire? Allez savoir. On sait qu’ils sont fâchés et ça devrait suffire. Contre le niqab, contre le kirpan, contre le gouvernement, contre le mal intégral et toutes ces questions qui nous gardent captifs devant le téléviseur. N’allez surtout pas les taxer d’extrême droite, ils vous traiteront d’inventeurs de fausses nouvelles. Sauf que, voilà, quand les loups hurlent, tous les rasés du crâne et les fachos du gland se sentent appelés. On a assez tourné autour du pot pour savoir ce qu’il y a dedans. L’odeur ne ment pas.
En face de ces joyeux drilles se dressaient, comme d’habitude, les combattants de l’extrême gauche manière ninjas masqués, antifas assoiffés de justice et paradeurs du grand soir. Eux aussi se sentent appelés lorsque les loups se mettent à jouer du coude. On n’attire pas les mouches avec du vinaigre, mais avec de la marde, ça marche plutôt bien. Depuis le temps qu’ils cherchent du monde à faire taire et des complices du grand capital à guillotiner, ils ont trouvé chez les fachos de fin de semaine un combat à leur hauteur. À la boxe comme en politique, il faut jouer des poings avec un adversaire du même calibre que soi. Les extrémistes se battent donc entre eux et ont ainsi le sentiment de lutter pour quelque chose en espérant une victoire momentanée, jusqu’à la prochaine chicane.
Ces quelques crinqués du combat se nourrissent mutuellement. Ils se bouffent les uns les autres dans une sorte d’eucharistie où chacun se voit comme le sauveur. Ce qui attire l’attention, ce n’est pas tant leurs positions respectives, mais le spectacle qu’ils offrent. Ils ne discutent pas, ils performent.
Mais à Québec, ce jour-là comme je vous disais, c’était le congrès du Parti libéral. On s’attendait donc à quelques réactions de la part des politiciens. Après tout, les troupes de Philippe Couillard avaient en quelque sorte dressé le chapiteau où les illusionnistes vont gagner leur pitance.
Alors, ce spectacle, vous le trouvez comment? C’est Pierre Moreau, ministre des Ressources naturelles, qui a su trouver les mots qu’il faut pour commenter le travail de ces acrobates: «Je fais confiance aux Québécois, disait-il, et je sais que ce genre de discours là n’a pas beaucoup d’emprise.»
Voilà. C’est dit. Ce sera pour moi le mot de l’année. La confiance… Ainsi, alors que se dressent les extrêmes les uns contre les autres, le politicien, lui, fait confiance à la sagesse du peuple.
Fort bien. Mais, avec un peu d’audace, nous pourrions lui retourner la question. Dites-moi, Monsieur le Ministre. Les Québécois, eux, est-ce qu’ils vous font confiance?
Car on comprend par ces mots que le lien essentiel entre les citoyens et ceux qui les représentent, c’est justement la confiance. Cette idée qui entraîne avec elle la franchise, la sécurité et, lorsque tout va bien, la conviction. C’est lorsque la confiance s’effrite, lorsqu’elle s’abîme, que les extrêmes trouvent une scène pour jouer aux hommes-canons.
Je reprends la question: peut-on, Messieurs et Mesdames les Ministres et Députés, vous faire confiance?
L’ironie était magnifique, car ce jour-là, donc, on avait invité Jean Charest pour discourir afin de célébrer l’anniversaire du Parti libéral. Vous voyez le tableau: pendant que les extrêmes, dehors, se battaient dans la slush de novembre, tout en haut, bien au chaud, au micro, un politicien faisait le fanfaron.
Il a cru qu’on l’avait invité pour faire des blagues. Malgré les enquêtes, malgré les soupçons, malgré la corruption, la collusion, les magouilles et toutes ces chansons, malgré tout ce qui ronge la confiance, justement, il fallait rire, se moquer.
Le spectacle était complet. Ébahi, le citoyen téléspectateur avait là, dans cet instant de téléjournal, toute la scène politique des dernières années illustrée en un seul moment. Pendant que des cons se battent, des fanfarons rigolent. Le citoyen, lui, n’est nulle part. On parlera de lui, vaguement, en prononçant des mots comme «classe moyenne», «famille», «travailleur» ou «contribuable», comme lorsque le maître de cérémonie demande au public d’applaudir. Ces trois points, ainsi disposés, forment un triangle des Bermudes politique. À la base, deux extrêmes qui donnent dans la magie. Au sommet, un illusionniste. Si vous passez par là, vous disparaissez. Pouf! Tout s’évapore. C’est un grand mystère de notre époque.
Et de quoi rigolait-on au juste, à ce congrès du PLQ? Jean Charest en avait contre deux choses: les médias et l’UPAC. C’était le clou du spectacle. Il faut le faire, dans un congrès du Parti libéral, d’aller ironiser sur la police et les journalistes sans qui toutes les magouilles politiques débarquées au cours des dernières années seraient encore enterrées dans l’épaisseur du secret de polichinelle.
Ceux qui applaudissaient en riant devant l’ex-premier ministre demanderont au cours des prochains mois aux électeurs de leur faire confiance, encore. On verra ce qu’ils répondront. D’ici là, si on les prend un peu au sérieux, il faudra au moins leur dire que la confiance sans le doute, c’est simplement de la témérité.