La sagesse de l'escargot
Théologie Médiatique

La sagesse de l’escargot

C’est un bien curieux revers que l’année 2017 allait nous offrir. Elle commençait avec une tragédie, cette fusillade dans une mosquée de Québec. On a compris plus tard que ce drame n’allait pas seulement devenir la nouvelle de l’année, mais aussi celle de la décennie. Selon Influence Communication, qui compile depuis 10 ans le poids des dépêches qui tapissent notre univers médiatique, aucune histoire n’avait provoqué autant de bruit depuis la catastrophe de Lac-Mégantic.

Plus une nouvelle est reprise, commentée, diffusée, plus elle a du poids. On parle ainsi de «poids média».

Le poids média. Je ne sais si on aurait pu choisir une meilleure expression. Car le poids, comme chacun le sait, c’est une force, une pression qui pousse vers le bas. Plus vous avez du poids, plus vous êtes lourd, plus vous êtes pesant.

On n’imagine pas qu’une nouvelle légère puisse avoir du poids. C’est là un grand drame de l’univers médiatique. Pratiquement toutes les nouvelles qui pèsent dans la balance sont lourdes.

Mais je m’égare, car je voulais vous parler de ce revers qui s’est joué à la toute fin de l’année. Un autre grand titre allait marquer les esprits. Mi-décembre, TVA mettait la table pour une grande polémique. Vous connaissez l’histoire. C’est à propos d’une mosquée, encore. Des religieux, disait-on, auraient exigé qu’aucune femme ne travaille sur un chantier de construction voisin afin de ne pas déranger les hommes dans leur prière. La journaliste, armée d’une certitude téméraire, hurlait avoir des preuves écrites noir sur blanc. C’était la totale. Ceux qui ont autorisé la diffusion de ce reportage bidon avaient sans doute oublié que la nouvelle de la décennie dont je vous parlais plus haut pesait une tonne et quart, et c’est avec une légèreté déconcertante qu’ils ont allumé la mèche du bulletin de nouvelles. Du beau travail de saucisse.

On a su plus tard que ces preuves n’existaient pas, que toute cette affaire se situait quelque part entre le mensonge et la lubie, mais le mal était fait. Il n’aura fallu que quelques secondes pour que la toile s’enflamme dans un concert d’indignation jalonné de likes et de retweets.

En somme, cette nouvelle n’avait aucun poids, mais, une fois lâchée, elle allait atteindre une vélocité dépassant l’entendement.

Dans le vide, tous les corps, peu importe leur poids, tombent à la même vitesse.

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Assez paradoxalement, la question de la lenteur n’a jamais été si urgente. Il faudrait rapidement s’y intéresser. Car justement, nous n’habitons pas dans le vide. Plein de facteurs devraient ralentir les objets en chute libre non identifiés qui échouent dans nos demeures.

On assiste, depuis quelques années, à une vaste opération de propagande autour de la rapidité qui dissimule son vrai visage, celui de la précipitation. Prenez ces téléphones qu’on nous vend et qui devraient, normalement, nous permettre de converser entre nous, de prendre du temps pour nous parler. Curieusement, cette fonction essentielle est devenue secondaire et accessoire. Ces outils nous invitent à ne rien manquer, à performer, à faire toujours plus de choses en moins de temps. C’est la dictature de l’instant qui s’installe tranquillement.

Suivant ces avancées technologiques, toute la culture de l’information, qui forge en quelque sorte notre compréhension du monde, est entraînée dans cette mouvance. Bien sûr, la notion de scoop n’est pas nouvelle. Les grands titres sont, par définition, corollaires d’un empressement. Ce qui est nouveau, c’est que nous sommes désormais, tout autant que nous sommes, des camelots qu’on invite à crier en chœur pour relayer les découvertes du moment. On nous invite à réagir, à commenter, à cliquer sur un cœur, sur un pouce, à diffuser, à partager.

Du partage? Vraiment? Dans la notion de partage, on doit donner une part et en garder une autre. Il y a cette idée qu’on devra, pour un temps, mettre quelque chose en commun. Or, dans l’empressement, on jette tout et, quelques instants plus tard, ce qui nous semblait si précieux n’a plus aucune valeur.

C’est ce que je nous souhaiterais, un peu candidement, pour cette année qui commence. De la lenteur. La lenteur est une vertu avec laquelle il faudra renouer. Appelons cela la sagesse de l’escargot.

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Un dernier mot pour vous, lecteurs et lectrices qui, tous les mois, vous procurez ce magazine que nous vous offrons. Il y a justement, dans ce format, de la lenteur. Vous êtes nombreux à nous dire qu’il s’agit pour vous d’un moment de lecture, hors de l’urgence de la dépêche. C’est le plus beau compliment qu’on puisse nous faire. Ce magazine souffle ce mois-ci sa deuxième bougie! Presque un exploit, dont nous sommes très fiers. Sachez que de notre côté, c’est aussi en prenant bien le temps de faire quelque chose de beau que nous le créons pour vous. Au nom de tous mes collègues, je vous souhaite une belle et bonne année 2018.

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