Le nouveau Québec
En novembre dernier, à l’occasion du 33e congrès du PLQ, Philippe Couillard annonçait que grâce au travail de ses troupes au cours des dernières années, il avait «commencé à dessiner notre nouveau Québec».
Depuis, dès qu’il se passe quelque chose, ce nouvel ordre des choses doit être réaffirmé.
En décembre, en dressant son bilan parlementaire annuel, il déclarait qu’avec son équipe, il avait «jeté les bases d’un nouveau Québec». En mars, il nous expliquait que le «nouveau Québec» avait réduit sa dette grâce au Fonds des générations. Deux jours plus tard, rebelote, dans ce «nouveau Québec», prévoyait-il, «les transports modernes, attrayants et efficaces auront vaincu la congestion routière». D’ailleurs, parlant de transport, le projet du REM mérite bien, lui aussi, un peu de poésie. En février, nous apprenions que ce réseau n’est rien de moins qu’un «des visages du nouveau Québec que nous voyons apparaître». La politique bioalimentaire? Ben quoi, n’en doutez pas, il s’agit d’une «transformation majeure, à l’image du nouveau Québec qui prend forme autour de nous». Je vous le dis en passant, comme ça, mais sur le site du PLQ, on vous lance un appel à la mobilisation: «Inscrivez-vous à l’infolettre pour en connaître davantage sur le nouveau Québec.»
Notez bien cette prophétie que je risque ici: je vous annonce qu’au rythme où vont les choses, si dans les prochaines semaines on répare un trou dans la chaussée entre Mont-Laurier et Ferme-Neuve, ce sera sans aucun doute un signe que les routes du nouveau Québec s’ouvrent devant nous.
Je suis même prêt à prendre les paris. Le slogan du PLQ pour la prochaine campagne électorale devrait ressembler à quelque chose comme: «Ensemble, bâtissons le nouveau Québec».
Ce qui pourra peut-être convaincre les plus sceptiques que les limites de la fiction publicitaire politique peuvent être repoussées sans cesse, toujours plus loin, toujours plus nouvelles.
Ce qui ne cesse de me fasciner avec la nouveauté, c’est justement qu’elle n’a rien de bien nouveau et que, par un étrange revers du destin, ne rien faire de neuf est parfois l’acte le plus inusité et insolite qu’on puisse imaginer.
Comprenez bien l’astuce: le progrès pourrait bien ne pas être le fruit de la nouveauté, mais plutôt, platement, la prise en compte d’idées usées à la corde. Prenez cette curieuse idée, par exemple, de ne pas posséder de voiture et d’utiliser plutôt des transports en commun. Pensez-y, vous pourriez même marcher! Le vélo? N’ayons pas peur des mots, c’est clairement un mode de transport postmoderne. Soyons audacieux. Imaginons une production agricole où on fait tout à la pioche, à la brouette, un chapeau de paille et des sandales. Incroyable. Du jamais-vu! Bon, vous avez raison, j’exagère avec les sandales, mais quand même, posons-nous quand même un peu la question: qu’avons-nous donc de si neuf à dire, au juste? Qu’on parle d’environnement, d’agriculture, d’accès à un système de santé équitable et efficace, d’une éducation de qualité pour tous et toutes, de soins des aînés, des milieux de vie en région, de temps de qualité à passer en famille, à quoi peut-on rêver de si nouveau?
Bientôt, sans rire, on nous parlera de la redistribution de la richesse comme s’il s’agissait d’une invention récente qu’on a enfin les moyens de se payer.
Le nouveau Québec annoncé par Philippe Couillard ne sert qu’à une seule chose, au fond: signifier une rupture. C’est un artifice du discours. Les 15 dernières années, marquées par le règne presque ininterrompu du PLQ, ne seraient qu’un long intermède permettant de tracer la frontière entre un monde ancien, qu’il vaudrait mieux oublier, et un monde nouveau, où on nous invite tout bonnement à rêver.
De manière plus insidieuse, la nouveauté se présente comme quelque chose d’inusité et, donc, d’inégalé. Elle est propre comme un sou neuf et dépasse en moralité toute forme d’idéologie. À ce titre, il vaut la peine de relire le discours que Philippe Couillard livrait le 18 novembre dernier, alors qu’il annonçait en primeur cette idée de nouveau Québec. J’en transcris ici quelques mots, sans altérer la forme. Sur le site du PLQ, le texte est bel et bien présenté ainsi, en vers.
Je vous engage à penser ce nouveau Québec librement.
Travaillez sans contrainte.
Ignorez l’habitude.
Faites abstraction des dogmes et des corporatismes.
Ne vous enfermez pas dans les clivages imaginaires et idéologiques.
Pensez le nouveau Québec comme le Québec dont vous rêvez.
Difficile d’y voir autre chose qu’une sorte d’évangile, tant sur la forme que sur le fond. La nouveauté transcende tout. Elle fait fi des aspérités du devenir, des labeurs et des contraintes de la condition humaine. Les clivages sont imaginaires et n’existent que par entêtement idéologique, une mauvaise habitude dont il faudrait se libérer. Le nouveau Québec étant proclamé et célébré, aucune division ne peut subsister, tout est soudainement remis à niveau.
On nage ici en pleine mythologie. Comme si l’appel à la nouveauté n’était pas, intrinsèquement, la forme la plus aboutie d’une idéologie qui tente tout simplement de se dissimuler pour ce qu’elle est. Ce n’est pas le rêve qu’on stimule avec cette idée de nouveau Québec, mais bien plutôt l’amnésie. On nous invite à oublier l’histoire pour nous complaire dans l’étonnement constant. C’est la base de tout bon spectacle.
Cette amnésie à laquelle on nous convie sera évidemment bien temporaire. Elle ne durera que quelques semaines, jusqu’aux urnes. Dès le lendemain, la contingence du monde aura tôt fait de nous rattraper. On ne peut pas tout faire, qu’on nous dira en nous invitant au réalisme et au pragmatisme de bon usage. C’est un mode de séduction comme un autre. Quel coquin de sort! Faire valoir la nouveauté pendant quelques instants furtifs, c’est peut-être tout l’art du plus vieux métier du monde.