La vraie vie
Théologie Médiatique

La vraie vie

Il y a des banalités qui méritent d’être répétées. J’oserais même dire que dans ce flot constant de choses urgentes et très importantes où nous naviguons quotidiennement, la banalité prend de la valeur.

J’y vais donc sans gêne et je vous pose la question à laquelle vous vous attendez. Ça va, vous? Vous passez un bel été, malgré ce parfum de fin du monde dans la météo caniculaire?

On me souffle à l’oreille que c’est la rentrée. Le retour à la vie normale, avec le rythme de la semaine de cinq jours, l’école, le boulot, les obligations. On retient sa respiration et on plonge en espérant avoir assez d’air jusqu’aux fêtes.

Les politiciens, qui sont ces jours-ci en campagne électorale, semblent avoir compris tout ça. J’espère que vous avez bien entendu ce qu’ils nous disent. On nous promet de «faciliter la vie des Québécois». Faire les lunchs pour les enfants serait devenu un «fardeau» qui est digne d’une intervention de l’État. D’autres nous disent qu’ils vont remettre de l’argent dans les poches des contribuables, ce qui serait un gage de liberté. Bref, nous manquons de temps, nous sommes au bout du rouleau et nous ne savons plus où donner de la tête.

En avril dernier, l’Institut de la statistique du Québec publiait dans son bulletin quelques chiffres à ce sujet. Selon les plus récentes données, 48% des Québécois de 15 ans et plus se sentent tendus en raison du manque de temps. Quatre personnes sur 10 n’ont pas l’impression de pouvoir terminer les tâches qu’elles souhaitent accomplir. La même proportion de la population avoue devoir réduire les heures de sommeil pour trouver un peu de temps dans leur horaire surchargé.

Or, curieusement et inversement, seulement 17% de la population québécoise songe à lever le pied et à ralentir le rythme.

Alors, donc, que je vous demandais, ça va, vous? Vous passez un bel été? Et la rentrée? Vous êtes prêts?

J’ai passé une bonne partie du mois d’août à rouler lentement dans les rangs. Je songe à établir un record: prendre le plus de temps possible pour parcourir la plus courte distance entre deux points relativement rapprochés. C’est ainsi que je suis allé rouler pendant plusieurs heures entre Charette et Saint-Sévère, en Mauricie, question de ne rien voir du tout, sauf quelques granges. C’est d’ailleurs ma nouvelle passion, m’arrêter en chemin et observer les granges qui semblent abandonnées.

Mesurons bien le problème auquel nous faisons face. Comme je viens de vous le dire, près de la moitié de la population manque de temps. Ceux qui aspirent au pouvoir semblent au courant de la situation puisqu’ils nous promettent quelques dollars par-ci ou quelques minutes par-là pour passer plus de temps en famille ou avec nos proches. Des grenailles et des brindilles, pour le dire autrement.

C’est pourtant tout notre rapport au travail, à la production et à la consommation que nous devrions de toute urgence remettre en question. Tout y passe. Ce rythme insoutenable de la vie quotidienne entraîne tout avec lui; éducation, santé, culture, information, vie sociale, il n’y a aucun aspect de nos vies qui ne s’effrite pas dans l’urgence.

J’aime, l’été, observer les campeurs qui, pour quelques jours, se paient le luxe d’une certaine forme de retour à la vie primitive. Le père avec ses enfants qui enseigne l’art de faire un feu, c’est magnifique. En bermudas, avec le chapeau de soleil tout croche, il explique lentement l’art de tailler la branche pour enfiler une saucisse ou une guimauve qu’on fera cuire sans cérémonie. Si l’enfant l’échappe dans la cendre, il lui explique que ce n’est pas grave, qu’il ne faut pas en faire tout un plat. Du ketchup sur le t-shirt? Qu’importe? Ce n’est pas important. On vit avec peu, on se débrouille, on joue aux cartes, on ne fait rien. On peut aussi remettre le même linge un peu sale quelques jours de suite. Qui s’en soucie? Ce serait gâcher le plaisir des vacances.

Et on se dit que ça, vraiment, c’est la vraie vie!

La vraie vie… Ces trois mots résonnent dans un écho lointain à l’aube du retour à la normalité du calendrier. Serait-ce dire que dans le grand cycle de la vie quotidienne où repas, lavage, ménage, courses, travail et devoirs se bousculent, nous acceptons, assez connement, de vivre une fausse vie? Est-ce dire que nous nous mentons? En échange de quoi, au juste, avons-nous accepté de vivre une vraie vie seulement quelques jours par année, et encore, si nous en avons les moyens?

À ceux qui nous promettent quelques breloques de temps et quelques sous usés, il faudrait peut-être bientôt répondre qu’on a un peu le sentiment de s’être fait baiser quelque part dans la grande aventure de la modernité.

Qu’avons-nous fait du temps, au juste, pour ne plus en avoir?

Je vous avais prévenus, la banalité prend de la valeur. Ce qui est rare, parfois, vaut cher. Comme le temps pour ne rien faire.

Mais qui, au monde, osera ne rien nous promettre, ne serait-ce que pour quelques minutes?

Ça, ce serait de l’espoir.

Allez. Bonne rentrée!

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