Question de souffle
Je suis un vrai conservateur, dans le vrai sens du mot. Je veux conserver que c’est qu’on a. Y’a plus personne qui pense de même. Y ont ôté le dernier tramway à Montréal. Ben moi, ça m’a fait de la peine. J’aimais ça, moi, les p’tits chars, je trouvais ça beau pis je trouvais ça charmant. Ça marchait à l’électricité pis ça coûtait pas cher. Y remplacent ça par des autobus qui font un vacarme épouvantable, ça boucane noir, ça sent le yable, pis ça coûte une fortune. Y appellent ça le progrès. Le trafic va aller plus vite. Qui c’est qui est si pressé que ça? Où c’est qu’y veulent aller de même?
— Duplessis (joué par Jean Lapointe), minisérie de Denys Arcand, 1978
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J’avais une chronique toute prête à vous proposer sur la cuisine automnale quand j’ai vu passer cette sortie de Maxime Bernier à propos de la pollution et du CO2. Je ne sais pas comment vous résumer la chose. C’est comme une blague entre amis, ça ne se raconte pas. Il fallait être là. C’était sur Twitter, par un beau mercredi un peu gris à la fin octobre, juste avant Halloween.
«Le CO2 n’est PAS de la pollution, écrivait-il. C’est ce qui sort de votre bouche quand vous respirez et ce qui nourrit les plantes.»
Il y a ici, en deux phrases, toute la chimie nécessaire pour provoquer une réaction en chaîne et un profond questionnement métaphysique.
Qu’est-ce que je fais au cosmos alors que je respire? Suis-je en symbiose avec les arbres et les forêts? Quelle est donc ma place dans ces espaces infinis?
D’ailleurs, ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la théologie et à la spiritualité savent que la notion de souffle est, étymologiquement et conceptuellement, liée à la notion d’esprit.
Je vous le dis, moi. Maxime Bernier est un philosophe.
Je pense même qu’il ne peut pas être aussi con qu’il le laisse croire.
Mais qu’il sait, par ailleurs, qu’il y aura assez de cons pour le croire.
Là se trouve tout le nœud à dénouer.
Car ça pourrait marcher. En ces matières, plus rien ne devrait nous étonner.
Face au précipice des choses complexes, celui qui brandit la corde de la simplicité pourrait connaître un certain succès. Ça s’est déjà vu.
Nathalie Normandeau, qui était en 2011 ministre des Ressources naturelles
et de la Faune, avait tenté un exercice du genre afin de rassurer ceux qui s’inquiétaient qu’on creuse un peu partout des puits de gaz de schiste.
«Une vache émet plus de CO2 dans l’atmosphère qu’un puits, proposait-elle. C’est factuellement prouvé. Alors, est-ce qu’on peut arrêter de faire de la démagogie?»
Je dois avouer que la vache, comme unité de mesure, c’est assez rassurant. Tout le monde peut comprendre ça. Dans Le Devoir, à l’époque, Louis-Gilles Francœur avait publié un article question de mieux comprendre les calculs bovins de madame Normandeau. En analysant trois puits de gaz, les agronomes de Nature Québec avaient découvert que les émissions mesurées correspondaient plutôt à 107 vaches, sur une base annuelle.
La vache annuelle. Voilà une nouvelle unité de mesure facile à comprendre. Comme le pied linéaire ou le mètre carré.
Notez au passage qu’à la même époque, afin de démystifier tout ça, il a fallu aussi préciser que les émissions bovines n’étaient pas, comme on le croit souvent, le résultat de pets de vaches, mais bien de rots que font les animaux en ruminant. Toujours bon à savoir.
Mais vous voyez? Le souffle encore. Respiration et digestion. Des choses simples.
En brassant tout ça, on pourrait même se demander à combien de vaches annuelles équivaut le souffle hebdomadaire de Maxime Bernier.
Toutes ces questions qui nous échappent.
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Reste que l’air ambiant est en train de faire rouiller pas mal nos vieux camions et qu’on ne pourra plus creuser n’importe comment et n’importe où afin de brûler du gaz. Brûler du gaz, se fatiguer inutilement, déployer une énergie inutile. C’est bien de cela qu’il est question dans toutes ces discussions sur l’environnement.
Il y a de quoi sourciller lorsqu’on voit tous ces esprits partisans faire des simagrées et des grimaces dès qu’on amorce une réflexion écologique qui pourrait remettre en question non seulement nos modes de production, mais aussi notre mode de vie. Ce n’est pas être de droite ou de gauche que de considérer qu’il est plutôt idiot de se fatiguer inutilement et de saloper le paysage tout en rendant l’air pesant de puanteur. On peut même considérer que la remise en question de cette course effrénée à la croissance est, en soi, profondément et essentiellement conservatrice.
Il est difficile de comprendre comment nous pourrions être divisés sur ces questions et sur quoi se fondent les rivalités lorsque nous considérons que nous devrions garder la maison propre, nous arrêter un instant et faire le point. D’où vient donc cette mystérieuse opposition, si ce n’est que d’un désir de préserver l’opulence de quelques industriels qui se shootent au cash en hallucinant des mondes meilleurs qui n’arrivent jamais?
Plus curieux encore, sur cette opposition, on nous propose un dilemme en forme d’acrobatie suicidaire: est-ce que l’économie doit passer avant l’écologie? Existe-t-il une question plus conne? Encore ici, les mots ont un sens têtu. Le préfixe éco-, commun à ces deux mots, vient du grec oiko, qui signifie maison ou plus justement la maisonnée, le milieu de vie, le lieu où nous habitons ensemble et que nous devons à la fois gérer et comprendre. Il n’y a pas à choisir ici… Il s’agit du recto et du verso de la même feuille de papier.
Toutes ces querelles sont inutiles et devraient se régler en peu de mots: Tu brûles du gaz, man… Respire par le nez un peu.