Ça, voyez-vous, je ne l’avais pas vu venir. J’imagine que c’était une question de temps. Alors voilà, oui, ma fille va manifester. Je le dis au présent, en ce sens qu’elle est déjà en route. Elle prend part, ces jours-ci, à cette mobilisation mondiale des vendredis pour l’avenir de la planète.
Je dois vous avouer que ça m’inquiète un peu pour deux bonnes raisons.
D’abord parce qu’à la regarder aller, je me dis que tôt ou tard, c’est moi qu’elle va traiter de con. Pas avec affection, comme on s’amuse de la connerie de ceux qu’on aime. Non, je veux dire, par contestation et défiance. Avec ce désir de dire à l’autorité qu’elle est usée et arbitraire. Ça me tue, cette idée. Je veux bien être un con nécessaire, mais pas un con arbitraire.
Ensuite, et c’est important, c’est que si d’aventure il me prend l’envie d’aller lui prodiguer quelques conseils sur l’art de défier l’autorité, je crains de me faire dire que je perpétue les vices d’un patriarcat systémique. Bon, il n’est pas dit qu’elle ira nécessairement à l’UQAM, mais comprenez mon désarroi. Il n’y a plus rien de vrai et on ne sait jamais. J’anticipe même qu’elle pourrait un jour me dire qu’elle est née de l’union entre un cactus et une comète. Pour l’instant, ça va, je suis encore son père.
Reste que voilà, elle m’est arrivée avec ça l’autre jour après l’école. C’était vers la mi-février. Il y avait une manif, vendredi le 22, pour le futur de la planète. Nous devions motiver son absence pour qu’elle puisse se joindre au rassemblement.
Qui, au monde, peut se dire contre le futur de la planète? Vous voyez comment on ne vous laisse pas une grande marge de manœuvre entre être un gentil ou un salaud. Qui irait répondre: Tu sais ma grande, c’est bien beau la planète, mais il y a quand même des choses un peu plus importantes dans la vie, allez, va pelleter l’entrée.
Mais quand même, avant de te signer ton billet d’absence, dis-moi, comment tu as appris ça, qu’il y avait une manifestation? C’était une image sur Instagram, publiée par un compte intitulé @pourlefuturmtl, qui circulait auprès des étudiants des écoles des alentours (je souligne au passage que je suis aussi pour le futur de Montréal, au cas où vous en douteriez, question de vous rassurer). Qui est derrière ce compte? Qui a fabriqué cette image? Qui a écrit ces mots? Qui te parle au juste? Es-tu prête à suivre comme ça, tout bonnement, des inconnus?
Ce sont les premières questions auxquelles nous avons tenté de répondre ensemble. Car il faut bien enseigner ça aussi à nos enfants. Leur dire que c’est le plus souvent à force de suivre des crinqués inconnus distribuant des tracts que les humains ont fait de spectaculaires conneries.
Je me suis soudainement senti comme si j’étais un Paulo Coelho de Villeray, apte à proférer des vérités profondes sous forme de textes plates.
Voilà mon premier conseil ma chérie: Ne suis personne sans savoir qui il est, même au nom de la vertu et surtout pas pour sauver l’humanité ou la planète. Jamais.
Sans pouvoir établir avec certitude l’origine de cette image, nous avons au moins pu identifier le mouvement Fridays for Future, qui mobilise aux quatre coins du monde des étudiants qui, depuis quelques semaines, font la grève le vendredi pour le climat. Un mouvement dont la figure la plus connue est cette jeune lycéenne suédoise, Greta Thunberg, qui charme le monde entier par son discours, ses tresses et son entêtement. D’ailleurs, le 22 février, elle allait se rendre à Paris pour manifester.
Nous avions donc déjà un nom et quelqu’un à écouter, ce qui allait nous entraîner dans une série de questions nouvelles. Qu’est-ce qu’elle raconte cette Greta? Pourquoi as-tu envie de marcher avec elle? Pour porter quel message? Je comprends qu’elle est fort populaire et que la vérité sort de la bouche des enfants, mais d’où lui vient son influence? Elle a fait quoi au juste? Tu es d’accord avec elle? Pourquoi?
Ces questions allaient nous faire dévier vers de multiples lectures et vidéos afin de comprendre ce qu’on tentait de nous dire, au juste, à propos du futur de la planète. À ce titre, on n’est pas sorti de l’auberge d’ailleurs. On en a bien pour l’année.
C’est mon deuxième conseil ma chérie: Ne suis jamais une personne parce que tout le monde la suit. Ne répète jamais un slogan parce que quelqu’un le crie fort dans un porte-voix. Toi, qu’est-ce que tu sais? Que veux-tu dire? Pour quelle raison?
Finalement, elle le savait sans doute depuis le début, j’allais motiver son absence de l’école pour qu’elle puisse se rendre à cette manifestation – comme je le ferai demain, jour où culminera cette mobilisation mondiale – sans être tout à fait convaincu d’avoir élucidé toutes ces questions, mais en étant persuadé qu’il faut parfois aller voir ce qui se passe dans la rue afin de respirer l’odeur de l’époque. Ce temps lui appartient. D’ailleurs, aussi, aller lire les pancartes de manifestants, c’est un bon exercice pour l’esprit critique. Je lui ai demandé de noter les slogans les plus cons pour me les lire le dimanche au souper.
Il nous restait toutefois quelques discussions à distiller avant de clore la conversation. Sortir dans la rue, comme ça, manquer l’école, c’est en quelque sorte arrêter le cours normal du quotidien et faire acte de dissidence. C’est possiblement faire chier pas mal de monde, aussi, et même éventuellement commettre un acte illégal ou franchir à tout le moins la frontière de l’interdit. Es-tu prête pour ça? Il pourrait y avoir des conséquences. Jusqu’où es-tu prête à aller? Quel prix es-tu prête à payer? Est-ce que tu juges que c’est un bon investissement? Où vas-tu tracer les lignes entre ce que tu considères juste, injuste et légitime?
Nous avons laissé ces questions en suspens, en nous disant qu’on verrait ça plus tard, que rien n’est jamais certain en ces matières et que pour l’heure il s’agissait d’aller voir, simplement.
C’est mon dernier conseil pour toi ma chérie: Transgresser des règles, sortir des sentiers où on marche en rang, c’est accepter de se salir les pieds et de s’enfarger dans les ronces et les buissons. Parfois, on se blesse. Parfois, on blesse des gens. Quand on le fait, il faut au moins savoir pourquoi on le fait. Trouve ta limite. C’est la tienne.
C’est bon, maintenant, tu peux me traiter de con. Pour le reste, tu me raconteras. Moi, je vais faire le souper en t’attendant. On ne va quand même pas faire en plus la grève de la faim. Voici ton billet d’absence.
La prochaine fois, ne me demande pas la permission. Tu feras comme tu penses, comme tu le crois, toute seule.
Je ne suis pas inquiet.
Maintenant, cesse de m’embêter, j’ai une chronique à écrire.
Ah oui et, j’oubliais, pour le souper, ce sera un rôti de bœuf.