Il faut bien vivre avec son temps. Avant de partir en vacances, je suis passé à la SQDC en me disant que, tiens, ma foi, griller un pétard sur le balcon du chalet pourrait très bien s’inscrire dans une sorte de nouvelle expérience touristique. J’y ai pensé comme ça en me baladant lors de la plus récente vente-trottoir de la Plaza Saint-Hubert, me souvenant soudainement entre deux racks de t-shirts à 5$ qu’on peut trouver une succursale entre Bélanger et Saint-Zotique. Google Map me servait par contre un sérieux avertissement: lieu très achalandé. Qu’à cela ne tienne, j’avais tout mon temps.
Ma surprise fut totale. Achalandé n’était pas le bon mot. C’était carrément bondé. Des jeunes, des vieux, des gars, des filles, des dames, des bonhommes, toute une foule bigarrée disposée sagement en quelques files devant un comptoir où des commis s’affairaient à parfaire l’expérience client, comme on dit dans le jargon.
Le mien était dynamique. Son sourire ne mentait pas, il était heureux de vendre du weed. J’ai même eu le sentiment qu’il m’attendait depuis très longtemps.
— Bonjour, monsieur! Que puis-je faire pour vous aujourd’hui?
— Ma foi, enfin, j’achèterais bien du cannabis mais je vous avoue mon manque de culture légale en ces matières. Je veux dire, qu’avez-vous à me proposer?
— Excellent! Je suis là pour répondre à cette question. Que recherchez-vous comme effet?
— Eh bien, comment vous dire? Je crois bien qu’être batté en bonne et due forme sur le balcon d’un chalet ou dans un sentier serait à peu près ce que je cherche.
Il voulait vraiment tout m’expliquer, la différence entre le sativa et l’indica, le taux de THC, l’odeur, la saveur, la densité de la fumée. Un peu plus et il me parlait de cépages et de millésimes. Je crois qu’il a vu mon sourire amusé et mon regard complice. Penses-tu vraiment que je demandais tout ça à mon pusher, dude? Lui, tout ce qu’il me disait, c’est qu’il avait de l’esti de bon weed et on s’entendait plutôt bien. Allez, donne-moi celui-ci et celui-là, un pas pire fort et un ben correct, ça ira.
Je suis sorti, content.
Mon étonnement ne s’est toujours pas dissipé. Évidemment, on le savait que tout ce beau monde fumait du pot depuis des lustres, mais de les voir là comme ça, attendre en ligne, comme si de rien n’était, se faire servir par Manon ou Jean-Claude désormais conseillers à la clientèle des battés du Québec, ça m’a fait plaisir.
Vous allez me poser la question, alors voilà, oui, on m’a vendu exactement le bon produit. Il est efficace sur le balcon et dans les sentiers. Je vais même voir si l’accord avec une soirée autour du feu tient la route.
Mais bon dieu du ciel, il va falloir un jour qu’on parle de suremballage de l’herbe. Vraiment, ces quelques grammes de cocottes que je trimballe depuis prennent place dans deux pots de plastique de calibre militaire assez grands pour contenir de quoi faire baisser le taux de productivité de Villeray au complet. Vous allez devoir vous mettre au sans déchet les boys.
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Lecture de vacances
Des livres traînaient sur mon bureau depuis quelques semaines au moment de partir. Je me les gardais pour les vacances justement. Parmi ceux-ci, Cannabis : la criminalisation de la marijuana aux États-Unis, une BD de l’auteur et éditeur américain Box Brown. La Pastèque a eu la bonne idée de traduire et éditer ses ouvrages au Québec. J’avais beaucoup apprécié sa biographie du Géant Ferré, André le géant, parue en 2015. Cette fois, toujours dans une démarche documentaire, fort d’un style simple et épuré, il s’attaque à la construction du discours qui a permis au siècle dernier de classer, à tort, la marijuana parmi les plus grands fléaux de santé publique chez nos voisins du Sud. Un discours qui a largement débordé des frontières, surtout avec cette fameuse théorie fallacieuse dite du «tremplin», à savoir que fumer un joint ne serait que le premier pas avant de plonger dans l’enfer des drogues dures. Un récit simple et efficace, comme Box Brown sait le faire. Ça se lit tout seul. C’est un livre tremplin, tiens. Une excellente entrée en matière qui donne envie d’en lire plus à ce sujet.
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Dans la filière botanique et sentiers, Gérald Le Gal et Ariane Paré-Le Gal, experts et passionnés de la flore forestière du Québec, faisaient paraître ce printemps Forêt : identifier – cueillir – cuisiner, un grand livre qui permet de partir à la rencontre d’un imposant herbier culinaire. La fille et le père travaillent ensemble depuis des années, notamment au sein de l’entreprise Gourmet sauvage à Saint-Faustin, à mettre en vedette les différentes saveurs des bois qui suscitent de plus en plus l’enthousiasme des gourmets. C’est un bien beau livre qui se lit lentement, au gré des couleurs et des parfums, comme on avance en forêt. Le piège, avec cet ouvrage, serait de commettre la même erreur que lorsqu’on se lance sans expérience dans la cueillette, en voulant tout ramasser ce qu’on trouve sur son chemin. Vaut mieux y aller petit à petit, une plante ou un champignon à la fois et y retourner souvent. Bref, c’est un livre qu’on lira longtemps. Un conseil toutefois: si les illustrations et les photos sont magnifiques, il serait téméraire de se lancer dans l’identification sur le terrain avec ce seul bouquin qui, pour la plupart des espèces, ne fournit qu’un dessin, fort joli au demeurant, comme guide visuel. Il vous faudra quelques compagnons, comme ces bons vieux guides Fleurbec qui trouvent toujours une place dans le coffre à gant de la voiture quand je vais rouler à la campagne. Pour les champignons, plus particulièrement, sachez que Le grand livre des champignons du Québec et de l’est du Canada de Raymond McNeil vient tout juste d’être réédité dans une version revue et augmentée aux éditions Michel Quintin. Un autre ouvrage qui se lit lentement et souvent.
En somme, il en va des plantes et des champignons comme des discours et des idées: lisez beaucoup avant d’avaler et de cuisiner.