Maison Chevalier: sur les traces de Jean-Baptiste
Immense, bien qu’aussi discrète qu’un caméléon dans la forêt amazonienne, la Maison Chevalier se fond au décor dans le Petit Champlain.
Littéralement tapi dans l’ombre du cap Diamant et du célèbre Château qui le surplombe, la bâtisse de pierres aux volets rouges fait pratiquement face à la gare fluviale de la proverbiale traverse Québec-Lévis. Un secteur peu fréquenté par les locaux, il faut bien l’avouer, mais un quartier que les amoureux et les théâtrophiles se plaisent à redécouvrir à l’approche de Noël. C’est là, dans les voûtes de cet édifice tricentenaire, que Maxime Robin et les autres membres de la Vierge Folle présentent leurs Contes à passer le temps depuis six hivers.
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L’histoire de l’antre des Chevalier reste méconnue. Construite sur les ruines de l’habitation d’un type du XVIIe siècle qui s’appelait réellement Jean Soulard, et dont le puits est encore conservé au rez-de-chaussée, l’édifice a d’abord servi d’entrepôt et de maison pour la famille de Jean-Baptiste. Un clan qui avait bâti sa fortune sur la commercialisation des armatures de bateaux et la location des pièces inutilisées de leur propriété à d’autres marchands du port.
Pourtant, et c’est particulièrement fascinant, les Chevalier n’y ont demeuré que de 1752 à 1758 – année au cours de laquelle monsieur est retourné vivre à Larochelle, laissant derrière lui sa femme qui a vite rendu l’âme suite à son départ. Un récit dramatique digne d’un feuilleton alla Santa Barbara ou d’une telenovela. Est-ce que Jean-Baptiste avait abandonnée Marie-Angélique, son épouse, parce qu’il sentait la soupe chauffer en vue de la Conquête? Les historiens comme Geneviève de Muys, chouette dame qui m’a fait visiter l’endroit, ne s’entendent pas. Chose certaine : ladite légende aurait tout pour inspirer Robin et son équipe en vue de la septième mouture de leur spectacle.
Chose certaine, le patriarche n’est jamais revenu au pays. Il aura tout de même entrepris de restaurer sa maison après les bombardements, juste avant sa mort en 1763, sans quoi son nom aurait peut-être sombré dans l’oubli.
Plus tard, vers 1840, l’endroit est transformé en auberge de prestige : le London Coffee House. Cette fois, les voûtes accueillent l’une des premières glacières de la cité, une invention sophistiquée pour l’époque, le nec plus ultra d’une industrie de la restauration encore plutôt primitive. Précisons-le : l’hôtel d’Elizabeth Andrews abritait aussi deux salons (dont un piano bar) et deux salles à manger qui servaient, tenez-vous bien, des huîtres et du porto. Des denrées exotiques, terriblement convoitées. Avec le recul, et toujours selon Mme De Muys mais aussi de son collègue Jean Provencher, il serait juste d’écrire que cette table-là était si prestigieuse qu’elle se comparerait à celles du St-Amour ou du Laurie Raphaël aujourd’hui.
Dès le commencement du XXe siècle, cependant, le Port de Québec perd de son lustre, supplanté par celui de Montréal en ce qui a trait au commerce maritime. Dès lors, le secteur est laissé à l’abandon et les palais d’hier se transforment en tristes taudis. Il faudra attendre 1956 pour que l’administration Duplessis, à l’initiative de Gérard Morrisset, enclenche de sérieuses réparations de la Maison Chevalier, des rénovations qui feront office de test en vue de reconstitution intégrale du Petit Champlain.
Au moment d’écrire ces quelques lignes, les locaux à l’étage sont inaccessibles au public, occupés par des employés Musée de la Civilisation mais aussi du Centre de valorisation du patrimoine vivant. Des travaux sont en cours pour redonner au lieu son charme d’antan et les meubles vintage, ainsi que les artefacts, ont été transportés vers la réserve du MCQ. Une hibernation qui devrait se terminer en juin 2017.
En attendant, on visite la Maison Chevalier dès demain et jusqu’au 18 décembre à l’occasion du féérique spectacle Les contes à passer le temps. (Billets en vente ici)