Pavillon Gérard-Morisset : Rien ne s'oppose à la nuit
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Pavillon Gérard-Morisset : Rien ne s’oppose à la nuit

Ce n’est pas le printemps, ni ses percées de soleil ou l’éclosion de ses bourgeons encore modestes, qui empêchera le MNBAQ de révéler sa part d’ombre.

Sans parler de pessimisme artistique, je pense pouvoir évoquer une certaine noirceur en introduisant les deux nouvelles expositions du « vieux » pavillon : Le temps file – La vanité dans la collection du MNBAQ et Parce qu’il y a la nuit de Carl Trahan. Deux propositions qui se font face, qui démarrent au même moment et qui n’ont que très peu de points en communs si ce n’est que l’inquiétante étrangeté qui les habitent, cette propension pour les termes graves – la mort d’une part, le fascisme de l’autre.

L’esthétique « dure » et « radicale », la vision tantôt idyllique et d’autres fois effrayante, comme un nuage gris flottant au-dessus de nos têtes, du mouvement futuriste aiguillonne la pratique de Carl Trahan. Germanophile, capable de poésie italophone et mordu d’histoire, le récipiendaire du prix MNBAQ 2016 en art actuel sonde les cicatrices de l’Europe pour farfouiller dans les plaies laissées par le règne d’Hitler avec, notamment, l’imposant polyptyque 7 (les mots les plus terribles du national-socialisme).

Généreusement référencé, son travail se digère lentement. Il fait aussi allusion à la propagande par l’usage de néons – Ewing (Sütterlin) – en plus de recréer les visages de l’écrivain italien Filippo Tommaso Marinetti (initiateur du futurisme) et de son tristement célèbre compatriote Benito Mussolini sur des lampes en verre soufflé très art déco. On rit jaune et, accessoirement, se pâme devant la prouesse technique que pareille idée fofolle engendre.

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Vue de Lampes: Marinetti/Mussolini, Carl Trahan, 2014, verre soufflé, aluminium et quincaillerie (Crédit: C. Genest)

La langue dominante, vous l’aurez sans doute déjà saisi, de cette exposition n’est pas le français, pas même l’anglais. Avec ses séjours répétés en Allemagne, le polyglotte montréalais Carl Trahan réfléchit, oui, au poids des mots dans ses langues d’adoption mais aussi aux failles de la traduction.

J’ai parcouru Parce qu’il y a la nuit trop vite beaucoup trop vite, avec mon calepin d’une main et ma caméra de l’autre, pour en saisir tous les clins d’œil politiques, toute la subtilité. J’y retournerai forcément.

Vue de Bouleversement (traductions), 2013-2017 (en cours), peinture à tableau et pastel (Crédit: C. Genest)
Vue de Bouleversement (traductions), Carl Trahan, 2013-2017 (en cours), peinture à tableau et pastel (Crédit: C. Genest)

Changement d’univers. Suffit de traverser la rotonde et de pousser la lourde porte en verre pour découvrir une trentaine d’œuvres (sur 58 au total) qui n’étaient jamais, à ce jour, sorties de la réserve muséale.

Le temps file, cette exposition autour du vaste thème de la vanité*, assume ses anachronismes avec un corpus éclectique qui oscille entre la peinture académiste de Suzor-Côté (La Bécasse) et l’installation archi-actuelle de Claudie Gagnon (Nature morte aux fleurs avec fromages) ou celle (L’Îlot d’été) de Paryse Martin près de l’entrée.

* représentations allégoriques, plutôt macabres d’ailleurs, de la mort et du temps qui passe

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Vue de L’Îlot d’été, Paryse Martin, 2005, papier cartonné, céramique, verre et métal (Crédit: C. Genest)

Les périodes se croisent dans cette exposition un peu fourre-tout qui, néanmoins, propose quelques régals pour les yeux comme La rose des vents d’Alan Glass – mon gros coup de cœur. Une représentation joyeusement surréaliste de la mort qui pige dans l’iconographie sud-américaine. Justement, cette œuvre en sucre a été créée au pays de Frida dans les années 1960. Un ravissement pour ma pupille, oui, mais une pièce difficile à photographier pour la noob que je m’efforce de ne pas être.

Vue de La rose des vents, Alan Glass, 1965, surcre, billes de verre, bois peint et verre (Crédit: C. Genest)
Vue de La rose des vents, Alan Glass, 1965, surcre, billes de verre, bois peint et verre (Crédit: C. Genest)

Le temps file – La vanité dans la collection du MNBAQ et Parce que la nuit de Carl Trahan sont présentés dès aujourd’hui et jusqu’au 24 septembre 2017.