Voix publique

Réinventer la roue

Avis de recherche: femme ou homme politique ambitieux et capable de se faire passer pour l'incarnation du "changement" – charisme facultatif.

Or, rien n'est en fait plus récurrent que cette quête effrénée du "nouveau". En politique, le changement finit toujours par revenir à la mode.

C'est comme le détersif. Rien ne vend mieux qu'une étiquette "nouveau et amélioré".

Même chose en politique. Dès qu'un électorat tourne le dos à sa classe politique, des apôtres du changement infini se pointent. On ne réinvente pas la roue…

Le problème arrive lorsque ce ras-le-bol généralisé est tel qu'on ne se demande même plus si le "changement" promis par le premier sauveur venu sera pour le meilleur. Ou pour le pire. N'importe, si le contexte s'y prête, le mot demeure un formidable vendeur.

Ainsi, en 1960, après la Grande Noirceur de Duplessis, Jean Lesage lançait son fameux "C'est l'temps qu'ça change". En 2002, Jean Charest promettait de "réinventer le Québec".

En vue du dernier référendum, l'ADQ, le Bloc et le PQ se disaient le "camp du changement". En 2000, le PQ proposait un "nouveau pays pour un nouveau siècle". Plus tard, André Boisclair, rêverait de "reconstruire" le Québec.

Tout récemment, Pauline Marois présentait un "nouveau PQ", une "nouvelle équipe" et un "nouveau programme" pour "un vrai changement"!

Comme on peut le voir, le changement est parfois réel, parfois factice.

Les "forces de l'action"

Comme je l'écrivais ici en juin dernier, les planètes du ras-le-bol des Québécois étant à nouveau alignées, la chasse au changement est ouverte.

Le 2 mai, ça donnait l'anéantissement du Bloc par le tsunami orange du NPD. Quant à la prochaine élection québécoise, attendez-vous à une boîte à surprises cachée dans une boîte de Pandore…

Aujourd'hui, le "changement", semble-t-il, s'appelle François Legault et Charles Sirois.

Comme quoi la création d'un parti par un ex-ministre péquiste en poste pendant onze ans, flanqué d'un ex-recruteur libéral, confirme qu'en politique, on peut toujours prétendre faire du neuf avec du vieux.

Messieurs Legault et Sirois peuvent même se laisser faire des mamours par l'ADQ – le parti le plus conservateur au Québec. Du moins si l'on décode ce qu'en dit le député adéquiste François Bonnardel lorsqu'il dit maintenant souhaiter "unir les forces de l'action" pour battre Jean Charest.

Et rien de tel que le "changement en action", n'est-ce pas? Misère…

Or, M. Legault estime que le "changement" est possible à une seule condition – soit d'enterrer pour dix ans la question nationale dans son ensemble pour mieux s'occuper des "vraies affaires".

Comme disait ma grand-mère: "pas de chicane dans la cabane et pas de têtes de cochon sur mon perron"…

Les sincérités successives

Or, on oublie aujourd'hui un détail qui est loin d'être anodin…

Ce «détail» est que cette vision de François Legault est en fait à des années-lumière de celle qu'on retrouvait dans un manifeste coup-de-poing publié au Québec en 2004.

Quoi? C'est déjà oublié? Voyons alors ce que ce manifeste disait… 

Prémonitoire, on y trouvait déjà un constat brutal du "malaise démocratique", du "cynisme" ambiant et de l'urgence de "rallier la population" en la "réconciliant" avec la politique.

Même ceci n'a pas vieilli d'un jour: "Les citoyennes et les citoyens ont le sentiment de ne pas en avoir pour leur argent, d'être peu écoutés et de ne pas pouvoir faire confiance à une classe politique qui semble incapable de leur proposer un projet collectif stimulant." Amen.

Or, ce manifeste proposait une solution. Soit un gouvernement "progressiste" et un "projet de pays emballant et concret".

La souveraineté est "un projet rassembleur", y lisait-on, et surtout, "une bonne affaire" -, "non seulement viable, mais rentable".

Conclusion de l'auteur: "(…) mes choix sont clairs. Mes priorités sont l'éducation et la santé. Et c'est pour cela, notamment, que je suis souverainiste".

Constatant déjà que le PQ avait "vieilli" et n'avait plus "le courage de ses convictions", l'auteur proposait une "démarche claire" où "les Québécoises et les Québécois auront l'occasion de se prononcer (…) dans le cadre d'un référendum qui, comme je l'ai dit plusieurs fois, devrait avoir lieu en début de mandat".

Mais qui donc, en 2004, pouvait être l'auteur d'un manifeste à ce point "pressé", de "gauche" et "pur et dur"? Jacques Parizeau?  

Que non. C'était François Legault.

Et le titre de son manifeste de 48 pages (!) de 2004, je vous le donne en mille: "Le courage de changer".

Bien sûr, comme dit la formule classique, il n'y a que les idiots qui ne changent jamais d'idée.

N'empêche que comme "changement" de vision, le virage est spectaculaire.

Légitime, certes, mais passer de "la souveraineté est LA solution" à "ne plus en parler est LA solution", avouez que c'est impressionnant.

Le tout pour présenter en 2011 ce qui ressemble plus à une bouillabaisse de restants flottant dans l'air du temps qu'à une révolution de la pensée.

Au Québec, l'ambition de devenir premier ministre a son prix.

Ce qui explique pourquoi le milieu des affaires – friand de stabilité -, encourage la création de ce "nouveau" parti. Dans les faits, il ne propose rien de bien nouveau.

Comme quoi, plus ça change…

Morale de l'histoire: il est sage de se méfier des sirènes du "changement". Surtout lorsque tout récemment, elles chantaient le refrain contraire…