Voir au Festival de Toronto / Un Français / 30 ans d’extrême droite française racontée par le cinéma
Diastème est au festival international du film de Toronto pour présenter en première nord-américaine son percutant film Un Français, qui suit le parcours et raconte la rédemption d’un skinhead sur une période de 30 ans. Nous l’avons rencontré en compagnie du comédien Alban Lenoir.
Débuts agités en France pour le film de Diastème. En mai, on vous racontait comment une cinquantaine d’exploitants de salle, craignant des violences en marge de la présentation du film, avaient annulé des avant-premières, prétextant des raisons de sécurité. Ne fraie pas qui veut avec l’extrême droite: Diastème l’aura appris rapidement quand, dans les jours suivant la sortie de sa bande-annonce, il a aussi assisté à une «spectaculaire campagne de haine sur les réseaux sociaux». Son film, pourtant une oeuvre de rédemption portant un message de paix, a finalement été présenté en France dans un nombre de salles amputé de moitié. Il n’a pas encore trouvé de distributeur québécois ou canadien, hélas – nous voici donc au festival de Toronto pour découvrir l’oeuvre et revenir avec Diastème sur ces événements troubles.
«Il n’y a évidemment pas eu de grabuge dans les salles, raconte-t-il, visiblement éprouvé par l’épisode. Il ne s’est rien passé parce que c’est un film humain qui raconte les regrets et la réhabilitation d’un skinhead. Même les gens d’extrême droite qui ont vu le film (notamment Serge Ayoub), sans être d’accord avec mon point de vue ou avec le message du film, ont reconnu que ce n’était pas de la caricature et que c’était une représentation juste des skinheads des années 1980. J’ai été extrêmement rigoureux à cet égard, autant dans le choix des vêtements que dans la direction d’acteurs: l’attitude, le dire, la présence physique.»
Merci pour cela au comédien Alban Lenoir, rigoureusement crédible dans le rôle de Marco, jeune skinhead armé de colère dans une France métissée que ses copains et lui voudraient voir débarrassée des Arabes et des Noirs. Ils se chargent eux-mêmes du boulot avec leurs poings et leurs armes, semant leur petite terreur au quotidien. Le film ne montre que deux scènes d’extrême violence mais les expose en toute frontalité, en plan séquence, sans esthétisation.
Violence et colère
«Je n’ai aucun goût pour la violence, précise Diastème. J’ai surtout voulu raconter l’histoire d’un homme qui chemine, qui progresse et qui quitte la haine. Mais pour que ce film fonctionne, il fallait toutefois montrer une bonne dose de violence physique, sans la réfréner, et il fallait également ne pas lésiner sur la violence verbale qui fait partie de l’extrême droite française de manière implicite. J’ai voulu que pour ce faire il n’y ait aucun effet, pas de coupes, pas de ralentis, pas de mise en scène à la manière American History X. Je voulais qu’on voie bien ce que c’est qu’un mec qui se fait éclater la gueule contre le pare-brise d’une voiture dans un plan brutal».
Alban Lenoir opine du bonnet et poursuit la pensée de son réalisateur. «C’est un cliché de le dire ainsi mais on a tous une part de violence en nous, qu’il faut savoir identifier pour mieux la dompter. Pour construire ce personnage, j’ai puisé en moi. Je l’ai extirpé de ma propre agressivité et de ma propre colère. Comme acteur, en terme de présence et d’énergie, je me sens proche de cette énergie colérique, et elle est, je pense, apparue tout de suite à Diastème en audition. J’ai fait pour construire ce personnage le processus particulier d’entrer pleinement dans la violence du personnage jusqu’à m’en dégoûter. C’est le parcours que fait Marco et que j’ai fait aussi en le suivant à la trace.»
Diastème cherche très fort à se dissocier d’American History X, brillant film de Tony Kaye, qui a un scénario similaire et dans lequel brillait le comédien Edward Norton (nommé aux Oscars). Le film, en effet, se déploie dans une mise en scène plus directe, peut-être plus brute, suivant son personnage de très près en caméra épaule, mais aussi dans une temporalité fragmentée qui multiplie les ellipses, laissant une part du parcours rédempteur du personnage à l’imagination du spectateur. L’objectif: traverser 30 ans d’histoire comme sur une ligne du temps, en prenant parfois de la distance; un recul réflexif et bienfaiteur. On verra ainsi Marco, au bout d’une ellipse, doucement troquer le poing pour l’implication politique discrète au Front National, puis, peu à peu, s’enthousiasmer pour les festivités Black-Blanc-Beur de 1998. Déjà un homme neuf, loin de l’ancien skinhead rageur et combattant qu’il était en 1985. Et ainsi de suite.
Cette droite qui monte
Diastème a voulu traverser 30 ans d’histoire mais aussi exposer les transformations d’un mouvement qui est peut-être aujourd’hui encore plus fort que dans les années 1980, se présentant sous de nouvelles formes et diffusant son message dans un nouveau ton via les réseaux sociaux. S’étant en quelque sorte «refait une virginité», l’extrême droite a atténué la parole violente au profit d’un discours sur la famille et l’emploi qui passe mieux politiquement.
«L’enjeu de la montée de l’extrême droite en France m’a intéressé toute ma vie, dit Diastème, d’autant que j’ai été journaliste dans la vingtaine et que j’ai beaucoup écrit à ce sujet. J’ai aussi grandi en banlieue parisienne et plusieurs de mes amis de l’époque ont adhéré aux discours d’extrême droite et à la violence qui vient trop souvent avec. Il y a deux ans, quand les manifs contre le mariage pour tous ont fait entendre à nouveau des voix radicales de droite, ultracatho, j’ai senti qu’il fallait faire un film sur ce mouvement qui n’a jamais cessé de grandir en France et qui, aujourd’hui, vit un regain à cause des nouveaux canaux de diffusion de sa parole haineuse.»
C’est un film politique, une oeuvre d’anthropologie sociale, mais également un film intimiste qui, en se collant de très près à son personnage, offre aussi un regard psychologique sur son comportement. Diastème et Alban Lenoir espèrent qu’il pourra toucher parce que c’est «un film humain». Mais ils veulent aussi, bien sûr, que ce film fasse débat. C’est bien parti!
Alban LENOIR
Pas LEMOINE…
Merci
Cordialement