Love, de Gaspar Noé, au FNC: Entrevue explicite avec le réalisateur
Festival du nouveau cinéma 2015

Love, de Gaspar Noé, au FNC: Entrevue explicite avec le réalisateur

Love, de Gaspar Noé, c’est bien sûr du sexe non-simulé en 3D qui fait beaucoup jaser, mais c’est aussi une oeuvre langoureuse et picturale qui tente de décrypter le polyamour et de déboulonner la notion de possession de l’autre. Discussion avec un réalisateur pas comme les autres, en marge de la présentation de son film au FNC en première montréalaise.

On l’a lu partout: le scénario de Love est un peu mince, se résumant à raconter de manière antéchronologique la passion qui a uni Murphy (Karl Glusman) à la belle Elektra (Aomi Muyock) dans les rues de Paris. Le bel Américain se la remémore alors que, quelques années plus tard, il apprend qu’elle est disparue et regrette de l’avoir perdue au profit d’Omi (Klara Kristin), la jolie blonde avec qui ils batifolaient tous les deux dans leur appartement. Du sexe intimiste à deux partenaires, du plaisir à trois: le film oscille entre deux visions de l’amour, fermée et ouverte, d’un amour possessif jusqu’à un amour libre qui ne se fera pas sans heurts.

On y retrouve le style singulier de Noé (également réalisateur de Irréversible et Enter the Void): du sexe explicite, des narrations sensuelles et doucereuses en voix hors-champ, de longs plans fixes aux teintes rougeâtres et passionnelles, pour un film langoureux qui est davantage appréciable que ce qu’en a dit la sévère critique française. Une oeuvre érotique soignée, aux cadrages étudiés, malgré un scénario limitatif.

Nous vous offrons ici l’intégralité de notre entretien avec Gaspar Noé.

 

Gaspar Noé (image tirée de sa page Facebook)
Gaspar Noé (image tirée de sa page Facebook)

VOIR: Le sexe non-simulé continue de surprendre, même si ce n’est plus si rare dans le cinéma de fiction. Je n’ai pas le choix de vous poser la question de ce choix que vous continuez de faire et qui est au coeur de votre oeuvre.

GASPAR NOÉ: «Je ne tiens pas à dévoiler quelles scènes, dans ce film, sont simulées et lesquelles ne le sont pas. Il y en a plusieurs. Dans Irréversible, par exemple, il y avait une séquence de viol qui était simulée mais qu’elle le soit ou non n’est pas important. Pour moi, l’essentiel est que le lapin qui sort du chapeau paraisse vivant. Je ne voulais pas faire un film psychologique sur la passion amoureuse, je voulais montrer la passion dans sa matérialité la plus pure. Je veux qu’à travers ce film, on comprenne ce que c’est que de ne penser qu’à sa passion pour l’autre, et en montrer l’aspect tactile et charnel. La plupart des gens qui voient le film s’identifient à un moment ou un autre au personnage de Murphy ou d’Elektra; tout le monde a eu ce type de contact brûlant avec des gens. Il faut savoir montrer ça de manière adulte au cinéma sans paraître timide ou retenu – parce que le sexe c’est tout sauf retenu. Je pense que l’expérience du sexe doit être représentée dans toute sa puissance – au lieu d’être caricaturée comme elle l’est trop souvent. »

VOIR: Vous aviez le rêve de faire un film sur une «sexualité vraiment sentimentale », comme vous le faites dire à Murphy dans une scène clé du film? Parlons-en.

G.N.: « Une sexualité qui est proche de la vie, oui. Avec des poils pubiens apparents et pas des corps bodybuildés – des corps qui représentent l’espèce humaine dans son ensemble. Comment peut-on toujours masquer ce qui est l’essence de la vie, le sexe? Des gens qui s’embrassent, qui ont du sexe, c’est tout à fait normal. J’ai filmé ces corps-là avec un regard sentimental, je cherche à reproduire à l’écran la sensation d’être amoureux. Je voulais que ce soit vrai. C’est peut-être le film le plus honnête que j’ai fait à ce jour, sur l’amour. »

love3VOIR: Certaines critiques en France (notamment celle de Télérama) vous reprochent de montrer tout de même une sexualité calquée sur la porno dans la mesure où tout y est centré sur le plaisir masculin et l’éjaculation finale. Qu’est-ce que vous leur répondez?

G.N.: « Je suis naturellement plus attiré par la nudité féminine que masculine et, pour cette raison, j’ai peut-être un peu de pudeur vis-a-vis des femmes, une certaine retenue naturelle à les exposer au pinacle de leur plaisir. Je ne me voyais pas faire des plans rapprochés du sexe féminin, et je pense qu’il n’y avait pas besoin de faire cela pour que l’on voie le plaisir féminin, qui se déploie peut-être de manière plus intérieure que la jouissance masculine. J’ai aussi composé avec les limites des acteurs. Pour Karl Glusman, la représentation de l’éjaculation se faisait de manière naturelle; les actrices vivent cela différemment et j’ai respecté leurs limites. »

VOIR: Parlons de ce personnage masculin et de son rapport à la notion de possession de l’être aimé. Même s’il expérimente des formes de polyamour, des triolets mais aussi du sexe dans un club échangiste, il reste dans le paradigme du couple et de la possession de l’autre. Une idée que le film remet en question – j’ai envie de vous entendre élaborer à ce sujet.

G.N. « On sent dans ce film que le personnage de Murphy est amoureux d’Elektra mais aussi de la sérotonine et de l’endorphine que leurs corps sécrètent et qui les poussent à vouloir se posséder l’un l’autre. Je ne vois donc pas cette question de la possession comme une donnée psychologique, mais vraiment comme quelque chose de physique et incontrôlable. L’amour les drogue. Ils sont addicts à l’état amoureux, ce qui les met dans un stress permanent de rejoindre l’objet de leur désir. Murphy devient jaloux, et la jalousie le rend très crétin. Il devient possessif –  car il ne veut pas que cet état émotionnel et physique s’arrête. L’état amoureux n’est pas forcément très romantique, c’est un état de dépendance sévère. »

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VOIR: On m’a demandé de ne pas vous poser de question sur les scènes de sexe en 3D, ce que je ne ferai pas, mais j’aimerais vous entendre au sujet des cadrages. Le sexe est souvent filmé de haut, en totale plongée, en surplomb, dans des cadrages fixes qui sont très picturaux. Que cherchiez-vous à capter par là?

G.N.: « On avait en fait un système dans lequel il y avait 2 caméras; on filmait toujours la même scène selon 2 plans différents. Mais on a gardé surtout les plans d’au-dessus parce que l’expression faciale y est mieux montrée. Je m’intéresse particulièrement aux visages. Mais il faut montrer aussi ce qui se passe plus bas pour comprendre l’émotion intense du visage. Il fallait aussi des plans fixes à cause de la 3D, pour éviter que ça soit nauséeux. Ça devient comme un petit theatre de marionnettes et c’est très joli.

Note de la rédaction: Gaspar Noé s’est exprimé longuement au sujet de la 3D lors de la conférence de presse du festival de Cannes. Nous vous suggérons de regarder l’intégrale de cette conférence si le sujet vous intéresse.

 

À lire aussi: nos premières impressions du film vu au Festival de Toronto

 

LOVE est présenté en première montréalaise ce soir, jeudi 8 octobre à 20 h à l’Auditorium Alumni H-110 (Concordia)
Également à l’affiche du Cinéma du Parc demain, vendredi 9 octobre, à 13h30
En 3D.