Of the north : un groupe de cinéastes dénonce un cas apparenté à la censure
Cinéma

Of the north : un groupe de cinéastes dénonce un cas apparenté à la censure

Of the north, le documentaire expérimental de Dominic Gagnon conçu par collage d’images de peuples inuits en autoreprésentation, a été retiré de la programmation des Rendez-vous du cinéma québécois suite aux revendications de plusieurs détrtacteurs du film. La chose est inquiétante, pensent un groupe de cinéastes composé notamment de Simon Beaulieu, Bernard Emond, Denis Côté et Anne Emond, qui font paraître une lettre ouverte aujourd’hui.

Nous vous racontions tout cela il y a quelques jours : le documentaire Of the north a été programmé puis subitement retiré de la programmation des Rendez-vous du cinéma québécois (RVCQ), où on avait prévu le présenter accompagné de discussions et de débats pour faire suite à la controverse dans laquelle ce film a été plongé en novembre aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM).

S’inquiétant de ce qu’ils considèrent comme une dérive, un groupe de cinéastes, de scénaristes  et de producteurs prend aujourd’hui la plume. Nous vous offrons l’intégralité de leur lettre qui prône le retour à une possibilité de dialogue entre ce film et son public.


Nous voulons dénoncer une situation qui nous semble préoccupante et qui est passée inaperçue dans les médias québécois récemment, soit le retrait du film of the North, du cinéaste québécois Dominic Gagnon, de la 34e édition des Rendez-vous du cinéma québécois qui se déroule actuellement.

Qualifiée d’œuvre dérangeante par ses détracteurs, dont certains sont issus des communautés autochtones, of the North se veut un collage de vidéos glanées sur des plateformes Internet (dont principalement YouTube) à travers lequel le réalisateur brosse un portrait impressionniste et expérimental du Nord et de ses habitants. Récupérant des images tournées et mises en ligne par les gens eux-mêmes, Dominic Gagnon réfléchit, dans ce film, à la notion d’autoreprésentation à l’ère des technologies de communication avancées, démarche qu’il développe d’ailleurs depuis plus de dix ans à travers plusieurs œuvres qui ont été présentées un peu partout dans le monde.

Après un passage remarqué dans de nombreux pays (dont les États-Unis, la Suède, la Nouvelle-Calédonie, le Kosovo et le Mexique) et dans plusieurs festivals internationaux importants (dont le Festival international du film de Rotterdam ainsi que le festival Visions du Réel en Suisse, où le film a remporté le prix du jury pour le long métrage le plus innovant), of the North devait aussi être présenté aux Rendez-vous du cinéma québécois. L’opposition à un tel projet a été si virulente que le festival, en dépit d’efforts considérables et multiples dans le but d’établir un contexte favorable à la présentation de l’œuvre, a dû se résoudre, afin de ne pas perturber le déroulement de ses activités, à retirer le film de sa programmation. Loin de nous l’envie de juger quiconque dans ce débat, mais le retrait de cette œuvre nous apparaît extrêmement inquiétante et problématique. Bien que nous comprenions tout à fait que le film puisse heurter certaines sensibilités et qu’il aborde des questions délicates, il nous semble impératif de rappeler l’importance de défendre la liberté d’expression, lorsque celle-ci s’exerce dans un cadre qui ne dépasse pas certaines limites, telles que les appels à la violence, à la haine ou tout comportement de cet acabit.

Le film de Dominic Gagnon provoque des réactions polarisées, cela est indéniable. Mais n’est-ce pas l’un des bienfaits de l’art d’attiser le débat et de susciter les opinions multiples? Ainsi, tout en affirmant notre solidarité indéfectible envers les nations autochtones et leurs revendications légitimes et nécessaires, visant à corriger un lourd passé colonial qui se manifeste encore aujourd’hui sous diverses formes, nous tenons à signaler l’impérative nécessité de rétablir le dialogue entre le public et le film of the North. L’œuvre devrait pouvoir être vue et les problématiques qu’elle soulève devraient être débattues. Car, dans le contexte actuel, le public se voit privé de la condition sine qua non à un sain débat démocratique, soit la possibilité de se faire lui-même sa propre opinion. Dans les sociétés pluralistes comme la nôtre, les débats d’idées, de points de vue et les diverses manifestations d’expressions doivent être tolérés et même valorisés.

Le retrait malheureux du film nous rappelle une époque pas si lointaine où la censure artistique était imposée sous le couvert d’une certaine morale. Au Québec, nous avons fait beaucoup de chemin depuis. Des citoyens et des citoyennes partout à travers le monde se battent pour la liberté d’expression. Il est de la plus haute nécessité que nous continuions à chérir cette valeur et surtout à la mettre en application.

Signataires:

Simon Beaulieu, Benjamin Hogue, Hubert Sabino, Bernard Emond, Robert Morin, Denis Côté, Anne Emond, Hélène Farajdi, Maxime Giroux, Catherine Martin, Karl Lemieux, Eve Duranceau, Philippe Lesage, Jean-François Lesage, Richard Brouillette, Andrée-Line Beauparlant, Yan Giroux, Ian Lagarde, Sylvain Corbeil, Claude Demers, Mathieu Grondin, Danic Champoux, Gabrielle Tougas-Fréchette, Albéric Aurtenèche, Nadine Gomez, Félix Dufour-Laperrière, Nicolas Dufour-Laperrière, Kevin Laforest, Denys Desjardins, Alexandre Lampron, Mireille Couture, Jason Béliveau, Marc-André Faucher, Catherine Therrien.