FONKi : Derrière le sourire
Dans une toute nouvelle websérie documentaire, le graffeur montréalais FONKi s’immerge dans la culture naissante du graffiti au Cambodge, son pays d’origine. Aussi éprouvant que rédempteur, le pèlerinage artistique a permis à l’artiste de se redécouvrir.
Tourné en 2014, FONKi World, c’est d’abord une histoire d’amitié entre Thomas Szacka-Marier (l’un des deux réalisateurs de la websérie) et le graffeur, qui fait sa marque depuis plus d’une décennie sur la scène du street art à Montréal. «C’est un vieil ami du secondaire, qui fait du cinéma dans la tradition du direct. Je pense qu’à cause de ça, on ressent une certaine complicité dans la websérie», indique FONKi, rejoint à son appartement dans Hochelaga. «J’avais en tête de faire un projet avec lui depuis 2012.»
2012, c’est l’année où le graffeur, alors âgé de 22 ans, est parti dans son pays d’origine pour la première fois en solo, sans ses parents. Accompagné par un autre ami cinéaste, Jean-Sébastien Francoeur, FONKi y avait entrepris une quête artistique, mise de l’avant dans le court métrage The Roots Remain – diffusé pendant les RVCQ le mois dernier et tout juste acheté, dans sa version écourtée, par la nouvelle chaine Unis TV.
«Je suis content du résultat, mais à l’époque, j’avais eu une certaine frustration», confie FONKi, par rapport à ce court. «Quand je suis revenu du tournage, j’ai vécu une crise existentielle, qui m’a pris plus d’un an à gérer. J’ai eu plusieurs rencontres assez profondes avec les gens du coin, qui m’ont forcé à aller vraiment deep dans l’histoire du génocide. Ça m’a troublé… En plus, en tant que graffeur, je n’ai pas pu faire beaucoup de murales. J’étais content de repartir avec Thomas pour peindre comme bon me semble. En ce sens, FONKi World, c’est vraiment la continuité de The Roots Remain.»
Des traces du génocide
Dans le premier épisode de cette websérie, diffusée sur La Fabrique culturelle, on peut voir l’artiste peindre un sourire. Tiré d’un autoportrait, ce sourire est devenu, en quelque sorte, une signature, qu’il reproduit avec singularité à de nombreux endroits au Cambodge.
«J’ai peint ça en revenant de mon pèlerinage en 2012. Au lieu d’aller voir un psy, j’ai posé mon sourire sur une toile», explique l’artiste. «Partout au Cambodge, ce sourire-là a sa signification. Y’a quelque chose d’ironique dans le fait de l’avoir peint, par exemple, dans un bidonville. En même temps, c’est un clin d’œil à l’attitude générale des Cambodgiens. Ils sont toujours souriants, mais derrière ça, y’a quelque chose qui se cache. C’est un peu comme une méthode de défense, qui fait presque partie de leur ADN.»
Derrière ce sourire se cachent notamment les crimes du régime khmer rouge, orchestrés par le dictateur Pol Pot entre 1975 et 1979. Trois décennies après les atrocités, la population khmère en subit encore les contrecoups, selon ce qu’a observé FONKi durant ses derniers voyages. «Y’a un tiers de la population qui a été exterminé à ce moment-là, et on rapporte que 90% de ce même tiers était des intellectuels et des artistes. En gros, les khmers rouges voulaient repartir le pays à zéro», relate le graffeur, ému. «Ça a pris 20-25 ans pour commencer à panser les plaies de cette guerre.»
Ce génocide teinte d’ailleurs l’ensemble de The Roots Remain, un film qui a été produit par l’un des pionniers du cinéma franco-khmer Rithy Panh et que FONKi a dédié à sa famille.
Durant le film, on assiste au dévoilement d’une immense murale que le graffeur a peint sur la façade de l’Institut français du Cambodge en hommage à son arrière-grand-père, un résistant au régime des khmers rouges. «Je voulais souligner les 10 ans de sa mort et faire une surprise à ma famille», se rappelle l’artiste. «Mon arrière-grand-père a toujours été bon avec les campagnards de son village, alors quand le pays est tombé, les khmers rouges ont protégé son identité. C’est fou parce que tout le monde était dénoncé à l’époque. Ça m’a fait réaliser que, dans la vie, tu peux te sortir de tout si tu restes honnête avec toi-même et les autres.»
Le style kbach khmer
C’est avec cette attitude et cette façon de voir la vie que le Montréalais a entrepris le tournage de FONKi World. Plus à l’aise avec sa culture d’origine, le graffeur a développé son style durant ce deuxième voyage. Il est maintenant reconnu comme un pionnier du style kbach khmer, «un mélange entre modernité et art ancestral cambodgien, inspiré des fresques des temps millénaires de la fabuleuse cité d’Angkor».
«Pour moi, le graffiti, c’est un reflet de la société dans laquelle il se développe», relate l’artiste. «En 2012, je ne me sentais pas encore assez intégré dans la culture pour faire quelque chose de propre à ce pays. J’étais pratiquement une éponge.»
Heureux de l’engouement face à ces projets, FONKi constate également la vitalité de la scène du graffiti au Cambodge, en pleine expansion. «En 2012, y’avait rien qui se passait ou presque. Il y avait quelques artistes locaux, mais la plupart venait de l’étranger», indique-t-il. «Cet été, quand j’y suis retourné pour montrer The Roots Remain à l’Institut français, j’ai vu que la scène avait beaucoup évolué. Y’a maintenant un festival d’urban art, et je vois de plus en plus de jeunes Cambodgiens de 15-20 ans commencer à peindre.»