Ricardo Trogi : L’importance de l’échec
Film au dessein nostalgique, 1991 complète la trilogie entamée par Ricardo Trogi en 2009.
«Ça reste la même chose que les deux autres films. C’est juste de la pure nostalgie», schématise le cinéaste et scénariste montréalais. «Par contre, j’ai pas l’impression d’avoir fait trois fois le même film. Je vois ça comme les aventures de Tintin, mais avec un personnage qui vieillit.»
Après avoir vécu le déracinement durant son enfance (1981) et flirté avec la délinquance durant son adolescence (1987), le personnage autobiographique de Ricardo Trogi (joué par Jean-Carl Boucher) se paie le premier voyage de sa vie en 1991. Attiré par celle qu’il croit être la femme de sa vie, Marie-Ève Bernard (interprétée par Juliette Gosselin), le jeune adulte se rend à Perugia en Italie pour rejoindre sa flamme et, par la bande, renouer avec ses racines italiennes. Comme c’était le cas dans les deux précédents volets, il se butera à une suite de péripéties qui viendra compromettre la relation amoureuse escomptée.
«La recherche de l’amour, c’est encore la thématique principale, le moteur créatif. Je pense que tout le monde peut se reconnaître là-dedans, car on a tous déjà forcé des affaires en sachant très bien que c’était pas voué à fonctionner, explique Trogi. En regardant le film, les gens auront peut-être l’impression que c’est une recette que je répète, mais au moment où je l’ai écrit, c’était pas ça, l’enjeu. Je voulais juste avoir le récit le plus honnête possible par rapport à ce que j’ai vécu à ce moment-là. Pis c’est rien ça, car j’en ai plein d’autres, des situations de même à raconter… Je pourrais facilement écrire le film Ma vie en 30 échecs.»
Encore une fois, c’est le côté authentique de l’œuvre qui décuple l’intérêt qu’on lui porte. Naïf, le jeune Ricardo s’embourbe dans différentes situations problématiques qui deviennent cocasses grâce à la narration badine du réalisateur. On pense notamment à cette scène risible où l’aventurier perd son passeport et tous ses papiers en arrivant à Perugia ou à cette autre scène encore plus embarrassante où, bien camouflé dans ses draps, il devient le témoin accidentel d’une scène d’ébats amoureux se déroulant juste en haut de lui.
S’il admet jouer avec l’ordre des événements afin que l’essentiel de la période qu’il dépeint soit regroupé au sein du même film, le cinéaste s’assure de les représenter avec le plus de fidélité possible. «Je mélange certains détails et certaines époques, mais généralement, ce qui se passe dans le film, ce sont des trucs qui me sont arrivés», certifie le réalisateur, qui a tourné la majeure partie du film en six semaines à Perugia avec une équipe de 30 personnes. «Avec du recul, ça m’amuse de raconter tout ça, même si j’ai souvent l’air con.»
Trogi s’assure toutefois de ne pas forcer la note, en laissant une grande place à la personnalité de son alter ego Jean-Carl Boucher. «Par exemple, tout mon aspect sportif, je l’ai délaissé, car Jean-Carl n’est pas quelqu’un de particulièrement porté vers les sports. À la place, j’ai davantage mis de l’avant mon côté sociable à travers lui. Aussi, il est un peu plus sérieux que moi dans la vie, alors au lieu qu’il provoque lui-même les conneries qui lui arrivent, on s’arrange pour qu’il se ramasse plus naïvement dans des situations rocambolesques.»
Parler de soi sans prétention
Ainsi, le Montréalais a réussi un tour de force: réaliser trois films autobiographiques sans pour autant en faire des objets artistiques prétentieux. Présentes lors de l’écriture du premier volet, les craintes que sa trilogie soit perçue comme narcissique ont rapidement été évacuées. «J’ai fait attention à ça dès le début. De toute façon, le choix de la comédie m’empêche de finir on top of the world à chaque film. Personne ne peut dire que j’essaie de me penser bon.»
Très loin des stéréotypes de croissance personnelle que les films pour jeune public mettent bien souvent de l’avant, 1991 expose la réalité concrète d’un jeune adulte en quête identitaire, sans autres artifices que ceux qui déterminent nos vies à ce moment crucial de notre développement. Sans répéter une formule naturaliste à la Boyhood, l’ensemble de la trilogie rend compte de l’évolution de Jean-Carl Boucher avec une impressionnante justesse. «C’est moins laboratoire que Boyhood, pas mal plus narratif, mais c’est certain que ceux qui vont écouter les trois films le même soir vont avoir la chance de voir un gars passer de l’enfance à l’âge adulte en quelques heures. Mais bon, au-delà de ça, y a pas de morale. J’aime pas les personnages qui doivent évoluer avant la fin du film, même si c’est une technique de scénarisation qui a fait ses preuves. J’ai de la misère à croire qu’un personnage peut changer du jour au lendemain ou, même, en quelques semaines.»
Sa trilogie maintenant derrière lui, Trogi planche sur différents projets, tous confidentiels pour l’instant. Mais l’envie de remettre ses frasques adulescentes à l’écran n’est jamais très loin. «Dans ma tête, la saga était terminée jusqu’à tout récemment… J’aimerais peut-être ça faire un 1994 avec tout ce qui s’est passé durant mon expérience à la Course destination monde», dévoile-t-il, en faisant référence à cette émission diffusée à Radio-Canada entre 1991 et 1999 durant laquelle des participants parcouraient des régions du monde pour réaliser des courts métrages. «L’affaire, c’est que sur le plan narratif, je sais pas comment je ferais pour raconter tout ce qui s’est passé dans 20 pays. Aussi, j’ai toujours peur de faire du cinéma qui parle de cinéma.»
Chose certaine, le réalisateur a déjà en tête des scènes incommodantes qui, tout comme dans sa trilogie, ont un potentiel humoristique certain grâce au détachement temporel qu’implique le médium filmique. «J’ai notamment passé trois jours à la douane égyptienne pour récupérer une caméra vidéo qu’on voulait pas me donner. Ça m’a pris du temps pour comprendre qu’il fallait juste que je donne 30$ on the side pour la ravoir, se souvient-il, en riant. Dans des situations comme ça, mon réflexe, c’est de continuer à m’enfoncer, car je sais que l’histoire va être drôle quand je vais la raconter plus tard. En fait, je dois avoir le même genre de réflexes que les humoristes.»
En salle le 27 juillet