Se (re)constituer pour (re)penser l'avenir
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Se (re)constituer pour (re)penser l’avenir

On définit la constitution comme la « loi des lois », ou comme la « loi suprême », tel que se qualifient elles-mêmes des dizaines de constitutions dans le monde, dont celles du Canada et des États-Unis1. C’est donc le texte qui encadre et oriente toutes les autres lois qu’on adoptera et interprétera à sa suite. C’est d’une importance considérable. Mais la portée d’une constitution n’est pas que juridique. Entre autres, une constitution possède une résonnance symbolique indéniable, qui peut parfois même friser un certain fanatisme (comme en témoigne souvent la relation quasi religieuse qu’entretiennent nos voisins états-uniens avec leurs textes suprêmes).

Par l’écriture d’un texte constitutionnel, on contribue à définir l’idée que l’on se fait de nous-même, comme collectivité historique et politique, et on enchâsse notre avenir commun dans un certain cadre prédéfini. Cela confère une responsabilité formidable à ceux et celles qui ont pour charge de l’écrire.

Ce texte est le deuxième d’une série qui vise à couvrir le projet Constituons! orchestré par le metteur en scène Christian Lapointe avec la collaboration de l’INM et de nombreux autres partenaires. Si ce n’est déjà fait, passez ici pour lire le premier billet, qui décrit le projet.

Ceux qui nous constituent

Les assemblées constituantes qui ont rédigé les premières constitutions de la majorité des pays d’Amérique et d’Europe de l’Ouest se sont tenues, principalement, entre la fin du XVIIIe et le début du XXe siècle2. Si on peut dire que ces assemblées étaient constituées de « citoyens » (le masculin est important), on peut bien sûr douter de leur représentativité.

L’assemblée de Constituons!, elle, a été tirée au sort en respectant des critères de représentativité de la population québécoise. On retrouve, derrière ce processus, l’idée qu’une constitution devrait être élaborée de la manière la plus démocratique qui soit. On retrouve également l’idée que, même si ce sont des textes de loi, les écrits constitutionnels devraient être compris par tous et toutes, comme l’ont souligné les co-présidents du projet Constituons!, Daniel Turp et Claudia P. Prémont, aux 42 constituant·e·s désigné·e·s.

Néanmoins, l’écriture d’un texte de cette ampleur n’est pas un exercice facile.

La complexité de réécrire les constitutions

Le processus d’écriture d’une constitution, qu’il soit mené par des élites ou qu’il ait recours à des consultations citoyennes, est particulièrement complexe3. Entre autres raisons – les 42 membres de l’assemblée de Constituons! l’ont souligné, comme le font ceux et celles qui participent aux consultations menées actuellement par l’INM à travers le Québec – : le consensus n’est pas toujours simple à trouver.

Les essais récents, en Islande notamment, démontrent que le processus même de repenser sa constitution peut faire face au rejet d’une part importante de la population. En 2012, le référendum islandais visant à reconnaître la constitution réécrite à travers un processus participatif et transparent, n’a obtenu qu’un taux de participation de 48 % . Même si les deux-tiers des votants ont approuvé les six articles proposés dans cette réforme constitutionnelle, le projet a ensuite été rejeté par le parlement.

Par ailleurs, la crise actuelle dans laquelle est plongé le Venezuela démontre, quant à elle, combien la volonté de réécrire une constitution peut laisser craindre des dérives autoritaires. L’assemblée constituante, nommée par le président Nicolás Maduro en juillet 2017, d’abord jugée partiale par les partis d’opposition, puis s’étant arrogé les pouvoirs du parlement, a en effet servi de levier au contexte actuel.

Que dire, finalement, des pays, comme en Espagne, où ceux et celles qui tentent de remettre en question les termes de leur constitution, comme le font les indépendantistes de la Catalogne, font les frais de la rigidité de cette même constitution et de la violence de ceux qui la défendent…

Pourtant, il semble que les constitutions ne devraient pas être des textes fixes. Ce ne sont pas des textes de foi. Ne doit-on pas exiger de sa constitution d’être un tant soit peu réactive et amendable ? Les constitutions ne devraient-elles pas être capables de s’adapter à l’évolution de l’identité des peuples, mais surtout aux exigences de l’accélération de notre société, en général, et de l’accélération de l’extinction des espèces et des bouleversements climatiques, en particulier ?

Penser l’avenir ensemble

Dans un article de 2003, le sociologue Jean-Philippe Warren remarquait que dans le discours politique, notamment, on avait évacué l’avenir, comme promesse, au profit d’un futur prévisible, programmatique, contrôlable. Cela semble toujours vrai, quand on écoute les politiciens, bien que l’avenir semble plus présent que jamais dans les préoccupations actuelles de la société civile et des scientifiques. Toutefois, cet avenir est de très mauvais augure : catastrophes climatiques, humanitaires, dérives politiques et technologiques… tant de menaces auxquelles les États ne semblent pas aptes à répondre. En fait, il est rendu ardu de rêver d’un avenir prometteur.

C’est là où un exercice comme celui d’écrire une constitution par la base, par un processus ouvert, participatif et transparent, prend tout son sens. Écrire une constitution, c’est se tourner résolument vers l’avenir. Penser nos droits et nos devoirs envers les autres, envers l’environnement, envers nos enfants et leurs enfants, etc.

En participant aux activités menées dans le cadre de Constituons! (ce que j’ai fait lors de la tournée de consultations toujours en cours), on se surprend à suspendre un instant le présent pour réfléchir l’avenir. Bien sûr, on y réfléchit à partir du passé, et beaucoup du présent. Il n’est pas rare que les réflexions soient nourries par les expériences personnelles ou par les thèmes de l’actualité récente. Mais le passé et le présent servent surtout à penser à un avenir tel qu’on souhaiterait le voir. Un exercice collectif qui fait beaucoup de bien et qui repose sur ce qui nous rassemble, alors que tant de choses importantes, comme notre politique, semblent désormais fondées sur ce qui nous sépare…

L’écriture d’une constitution permet de se repositionner face à l’avenir, de penser l’avenir à nouveau en se constituant à un nouveau moment de l’histoire. C’est complexe, délicat, risqué, mais ô combien nécessaire…

La tournée des forums citoyens autour des questions de Constituons!  sera à Victoriaville ce 5 février, à Rouyn-Noranda le 9 février et à Sherbrooke le 13 février. Vous pouvez cliquer ici pour connaître les autres dates de la tournée de consultation. Le sondage sur les différentes questions posées par l’assemblée constituante est, quant à lui, toujours en ligne.


[1] Vous pouvez les consulter grâce au projet Constitute, développé par des chercheurs de l’Université du Texas à Austin, qui propose un site exceptionnel permettant de faire une recherche dans plus de 200 textes constitutionnels ayant été écrits, adoptés ou révoqués à travers le monde.

[2] Ici, je vous invite à visiter la ligne du temps proposée par le Comparative Constitutions Project.

[3] Nous reviendrons plus en détail sur la difficulté de son organisation concrète dans un prochain billet afin d’observer l’approche qu’a retenue l’INM pour mener l’écriture de Constituons!