La constituante, une opportunité unique pour bâtir l’avenir avec les nations autochtones
Depuis le début du processus consultatif de Constituons!, qui s’est terminé récemment1, l’une des préoccupations les plus vives de toute l’équipe qui mène le projet a été de susciter la participation des communautés diverses qui peuplent le Québec, et particulièrement des communautés autochtones.
Lors de leur dernière rencontre, en octobre, les 42 membres de l’Assemblée constituante ont, à plusieurs reprises, évoqué leur désir de connaître la perspective autochtone sur les différents thèmes et enjeux de la constitution qui sera écrite en avril. Cela constitue l’un des aspects les plus délicats, mais aussi les plus fondamentaux de tout exercice qui se veut réellement démocratique au Québec.
Malgré la participation de constituants métis à l’Assemblée constituante et quelques contributions d’autochtones à la large consultation menée par l’INM, l’apport des nations autochtones au projet Constituons! est demeuré bien en-deçà des espoirs. Il faut remarquer que les enjeux urgents de survie humaine et culturelle auxquels sont confrontées les communautés autochtones dans l’ensemble du Canada ne laissent que peu de temps à consacrer à une éventuelle constitution québécoise – d’autant plus quand le projet n’a pas été commandé par le gouvernement. Pourtant, aucun projet politique conséquent ne peut éluder la place primordiale des nations autochtones.
Ce texte est le quatrième d’une série qui vise à couvrir le projet Constituons! orchestré par le metteur en scène Christian Lapointe avec la collaboration de l’INM et de nombreux autres partenaires. Si ce n’est déjà fait, passez ici pour lire le premier billet, qui décrit le projet.
L’autonomie et la souveraineté des nations
Les revendications constitutionnelles des autochtones sont nombreuses depuis plusieurs années. L’une des principales d’entre elles concerne le droit à l’autodétermination des peuples autochtones, qui ne s’applique toujours pas officiellement, même s’il est pourtant reconnu par le Canada qui a finalement appuyé la Déclaration sur les droits des peuples autochtones des Nations unies, après de longues années de tergiversation.
En 2016, l’Assemblée des Premières Nations demandait au premier ministre du Canada de reconnaître, à toutes les nations autochtones, un statut d’ordre de gouvernement, ce qui leur accorderait le pouvoir de négocier des compétences complètes en matière de santé, d’éducation, de chasse, de pêche, d’agriculture, de ressources naturelles, de culture, etc. Et si le gouvernement libéral s’est engagé à reconnaître l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, les résultats de la démarche de reconnaissance et de mise en œuvre des droits autochtones lancée par le gouvernement, l’an dernier, ne seront connus qu’après les prochaines élections fédérales… Cette démarche devrait permettre de définir enfin les « droits particuliers » qu’accorde la Constitution aux autochtones et qui font l’objet de débats constants depuis leur inscription dans la constitution en 1982.
Les retards et les aberrations de la loi canadienne envers les autochtones sont encore nombreux. Par exemple, le 8 février dernier, Femmes Autochtones du Québec lançait une pétition réclamant l’abolition de la Loi sur les Indiens du Canada (sic), qu’elles qualifient de loi « archaïque, patriarcale et assimilationniste qui n’a plus raison d’être ». Une loi à laquelle, pourtant, de nombreuses communautés refusent de se soustraire, entre autres par crainte de perdre certains droits établis.
Autant d’enjeux délicats qui ont pour effet de remettre en question les termes de la Constitution canadienne. Autant d’enjeux fondamentaux qui ne risquent pas de trouver une véritable solution, puisqu’on peut fortement douter de l’intérêt du gouvernement canadien, peu importe le parti au pouvoir, d’intervenir prochainement dans la Constitution afin d’y considérer les nations autochtones pour ce qu’elles sont véritablement, des nations avec qui il faut traiter d’égal à égal.2
Regarder ensemble vers l’avenir
La prise de conscience de la négation des droits et de la violence perpétrée par l’État et l’Église envers les peuples autochtones a suscité, depuis ces dernières années, une volonté de réconciliation et de réparation sincère de la part de plusieurs personnes au Québec et au Canada. Celle-ci, soutenue par une mobilisation sans précédent au sein des communautés autochtones à travers le pays, passe entre autres par la reconnaissance des rapports de colonisation qui ont structuré les relations entre les gouvernements et les autochtones. Même si les colons français ont pu être moins violents ou moins assimilationnistes que ne l’a été le régime britannique, cela n’efface pas le mépris et le déni dont on a fait preuve depuis plus de deux cents ans envers les populations autochtones. Un mépris et un déni qui persistent d’ailleurs, incarnés par l’attitude de plusieurs industries et dans certaines décisions de nos gouvernements.
Si la réconciliation et la réparation sont nécessaires, l’urgence de la crise humanitaire et culturelle que vivent les communautés autochtones, crise qui ne pourra qu’être exacerbée par les conséquences de la catastrophe climatique vers laquelle nous fonçons, nous oblige à repenser rapidement nos rapports. Cela ne suffit pas de reconnaître, à qui veut l’entendre, que nous sommes en « territoire non cédé » – ce qui n’est pas toujours juste en regard des faits historiques. Il faut établir de véritables relations démocratiques sur la base d’un réel statut politique et d’un respect sincère.
Au-delà de la réconciliation et de la réparation, qui tournent le regard vers le passé, il est donc crucial de trouver une perspective qui permette de porter le regard vers l’avenir, vers un avenir commun sur le territoire que nous avons en commun.
L’écriture d’une constitution citoyenne avec les communautés autochtones du Québec pourrait permettre de repenser les bases de ce destin partagé.
La constituante : une opportunité unique
La mobilisation pour l’autonomie et la souveraineté des peuples autochtones n’est pas dissociée de la mobilisation pour la préservation de la nature. Les auteurs de la Déclaration de souveraineté adoptée en 2012 par la nation atikamekw Nehirowisiw sur le territoire de Nitaskinan, qui s’étend au nord de Trois-Rivières, reconnaissent, entre autres, que ce territoire est un « patrimoine et un héritage des plus sacrés », et que le devoir de protéger la Terre Mère est indissociable du droit de l’occuper.
Ceci dit, cette souveraineté est foncièrement limitée, tout comme l’est celle des provinces, face aux décisions « d’intérêt national » qui justifient le soutien du Canada à des industries et des projets polluants qui ne bénéficient que trop peu aux communautés qui en subissent les conséquences, entre autres.
Ces préoccupations face à la protection du territoire et de la nature ont souvent été soulevées par les 42 membres de l’Assemblées constituante, comme par les personnes ayant participé aux consultations régionales. Parmi les approches évoquées, d’ailleurs, certaines personnes soulignaient qu’il pouvait être intéressant de s’inspirer des connaissances et du savoir autochtone, qui forcent à repenser les rapports que nous entretenons avec la nature.
L’écriture d’une constitution québécoise est une occasion unique pour le faire, en considérant le fait que rien ne nous permet de légitimer notre domination sur les autres espèces vivantes, encore moins sur d’autres humains. Tout projet d’écriture d’une constitution respectueuse de la nature et des êtres vivants au Québec ne peut se faire sans la participation active de toutes les nations autochtones avec qui nous peuplons ce territoire. En fait, comme le remarquait Roméo Saganash, ex-député fédéral et l’un des artisans de la Déclaration des Nation unies sur les droits des peuples autochtones, « il n’y a jamais eu de pays constitué avec la participation des autochtones ». En ce sens, l’écriture d’une constitution commune pourrait être une occasion inédite.
1 Les consultations de Constituons! se sont terminées le 20 février dernier. Au terme des trois mois de consultation publique, près de 2500 contributions ont été reçues. D’ici peu, les résultats des discussions des 10 forums citoyens, la quarantaine de mémoires et les plus de deux mille réponses au questionnaire seront analysés et seront remis aux 42 membres de l’Assemblée constituante qui se réuniront au début du mois d’avril.
2 À noter qu’à ce jour, seul le Québec a reconnu formellement les peuples autochtones comme nations à part entière, reconnaissant du même coup que les droits autochtones s’appliquent également aux hommes et aux femmes.