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Jean Charest, le Plan Nord et une leçon de radio poubelle.

Le 31 janvier dernier, je vous parlais de Carl Monette, animateur à CKYK Radio X à Saguenay qui, dans un élan d’inspiration, offrait à ses auditeurs une manière d’humour assez personnelle.

Il proposait tout bonnement, dans le contexte du Plan Nord, d’envoyer tous les sans abris vers ces contrées glaciales, dans une sorte de colonie, en prenant soin au préalable de les castrer pour éviter qu’ils ne se reproduisent. Une manière d’avoir la paix.

Carl Monette est un champion olympique de l’idiotie. C’est bien connu. Lui et ses collègues se sont défendus en prétextant qu’il fallait replacer ses propos dans leur contexte. Il fallait saisir, disaient-ils, le second degré de leur humour (comme si la notion de mesure était à ce moment d’une quelconque utilité…)

C’était de la radio poubelle. Plus personne ne s’étonne de ces sottises. Nous nous sommes moqués, nous avons pris une bouchée de jambon et nous sommes passés à autre chose.

Mais contre toute attente, aujourd’hui, c’est le Premier Ministre du Québec qui a repris essentiellement le même parcours rhétorique.

Prononçant un discours lors de l’ouverture du salon du Plan Nord au Palais des Congrès de Montréal, alors que des manifestants occupaient bruyamment les rues avoisinantes, Jean Charest a cru bon de s’amuser un peu. En se moquant de ces protestations –qui sont loin d’être étrangères aux manifestations étudiantes et au mouvement du 22 avril qui prendra la rue ce dimanche- il a proposé un mot d’esprit : « le salon du Plan Nord que nous allons ouvrir aujourd’hui, qui est déjà très populaire, les gens courent de partout pour entrer (rires et applaudissements), est une occasion notamment pour les chercheurs d’emploi (sourire en coin, rires et applaudissements). Alors à ceux qui frappaient à notre porte ce matin, on pourra leur offrir un emploi (sourire narquois), dans le nord autant que possible. »

 

 

Vous avez remarqué la sémantique pour le moins similaire à celle de Carl Monette de CKYK. Soulignons au moins deux lignes directrices :

1) Ceux qui manifestent sont probablement de pauvres gens qui n’ont pas d’emploi.

2) À ce titre, nous allons leur offrir une opportunité et, autant que possible, loin dans le nord.

Tout cela sur le ton de la blague, évidemment. C’est important, la blague.

Plus tard en soirée, le gouvernement a diffusé une déclaration du premier ministre dans lequel on pouvait lire les affirmations suivantes :

« Les propos que j’ai tenus lors de mon discours ont été cités hors contexte et interprétés par certains comme si je prenais la situation à la légère. Ce n’est pas le cas. Les gens dans la salle l’ont très bien compris.»

Il s’agit de la même ligne de défense classique des radios poubelles. Jean Charest en appelle au contexte. Ahhh! Le fameux contexte! Il aurait été mal interprété par des médias et ses détracteurs, mais ses auditeurs qui riaient dans la salle, eux, ont bien compris ce qu’il voulait dire. Une leçon de radio poubelle.

Le contexte !?! Mais punaise de morbleu des enfers !!! Voulez-vous vraiment qu’on vous l’explique le contexte !?!? Il ne se limite pas à un discours de salon mondain pour entrepreneurs en mal de minerais et de gisements de je-ne-sais-trop-quoi assiégés par quelques renverseurs de boîtes postale qui désirent tâter du complet cravate pour passer le temps les jours de pluie!

Le contexte, c’est le Québec actuel. Ce sont les luttes étudiantes qui durent depuis des semaines. Ce sont les présomptions de corruption qui minent de bout en bout le socle démocratique depuis des mois, ce sont nos artistes, poètes, intellectuels et citoyens de tous les horizons qui marcheront dans les rues ce 22 avril, dimanche prochain, pour une raison bien simple : ils en ont soupé de cette bouffonnerie.

C’est ça le contexte, et pas autre chose. Si vous ne le voyez pas vous êtes au mieux malhonnête, au pire incompétent.

Les événements d’aujourd’hui au palais des congrès, à l’intérieur comme à l’extérieur, ne sont pas des faits isolés  en marge de l’actualité sociale québécoise. Il s’agit d’une manifestation d’un phénomène large et englobant. On peut ne pas être d’accord avec cette opposition, mais la réduire à quelques quidams sans vie, nuisances urbaines qui se cherchent un boulot et qu’il vaudrait mieux déporter très loin au froid, ce n’est pas simplement idiot, mais bien être dépourvu de tout flair politique et de toute sensibilité à l’air du temps.

Dimanche, est-ce que Jean Charest ira proposer en rigolant tout bonnement à Gilles Vigneault, qui a pris position pour la mobilisation pour le bien commun, qu’il pourra se trouver un emploi dans le Plan Nord ?

Mais qu’est-ce que c’est que cette rhétorique du genoux ???

= = =

Monsieur Charest, vous êtes le premier ministre des Québécois. Une population qui compte un bon nombre de gens qui, à tort ou à raison, se sentent dépossédés, qui ont peur, qui voient leur bien collectif vendu à des entrepreneurs qui n’ont comme seul argument que de créer de l’emploi. Il est bien possible qu’ils se trompent, qu’ils n’ont aucune raison de craindre ce développement. Mais une chose est certaine: vous avez échoué à les rassurer.

Or, rassurer la population et créer un climat de confiance n’est pas un accessoire de scène en politique. C’est votre tâche première.

Que direz-vous à ceux qui seront dans la rue le 22 avril? Des blagues?

Le temps n’est pas au boniment et à la rhétorique sauce radio poubelle. Il n’est pas question de réduire le contexte à une ouverture de congrès ou de salon où on se gargarise à la création d’emploi. L’enjeu le plus urgent n’est pas de faire rire vos auditeurs.

Le temps est à rassurer la population. Faute de mieux, je dirais même que le temps est à vous faire élire.

Déclenchez des élections, monsieur Charest, et promettez, à tous ceux qui ne se sentent pas en pleine confiance envers vos politiques, des emplois loin dans le nord afin qu’on ne les entende plus. Faites-en un enjeu, une promesse.

On pourra alors parler de contexte.

Et rigoler avec vous.