BloguesCyber-boom!

Charte des élections: Le DGE contre 99%média

Ceux qui ont suivi le mouvement des indignés « Occupons Montréal », qui campait dans le Square Victoria à l’automne 2011, ou le printemps étudiant saveur érable de 2012 connaissent bien les initiatives médiatiques comme GAPPA, 99%Media ou les Alters Citoyens, qui se présentent comme des « médias indépendants pour la justice sociale ». Il s’agit de regroupements volontaires de citoyens, bien campés idéologiquement, qui luttent, selon leurs prétentions, contre la désinformation des médias de masse. On les a vu couvrir des manifestations, des opérations policières, des initiatives plutôt à gauche et plusieurs autres sujets d’actualité depuis plusieurs mois.

Leur biais politique ne fait aucun doute, à l’instar d’autres médias officiellement reconnus, comme Sun News par exemple, qui ne tente même pas de dissimuler ses allégeances de droite conservatrice, ou encore les publications de Gesca, résolument portées par une position éditoriale fédéraliste.

Or, comme le rapportait Le Devoir, le Directeur Général des Élections (DGE) a cette semaine sommé ces médias alternatifs indépendants de retirer une capsule vidéo intitulée « la charte des élections », mise en ligne suite au déclanchement de la campagne électorale sous prétexte qu’elle contrevient à la Loi électorale. Vous pouvez lire la lettre qui leur a été envoyée en suivant ce lien.

Pour mieux comprendre ce qui leur est reproché, vous pouvez aussi visionner la vidéo mise en ligne qu’ils ont été forcé de retirer. Je la diffuse ici simplement par souci d’information, afin que le lecteur puisse comprendre ce dont il est question.

Comme on peut le voir, il s’agit d’une vidéo, diffusée par un média alternatif, qui rapporte la position de divers intervenants à propos de la charte des valeurs dont on a tant parlé depuis cet automne. J’espère que si d’aventure le DGE lit ce billet, il comprendra que cette vidéo est ici diffusée dans le seul but d’étayer une réflexion sur un sujet d’actualité et non dans le but d’influencer l’opinion des électeurs sur l’enjeu de la charte.

Évidemment, le titre et les propos entendus ne laissent aucun doute et on comprend que le projet de charte est ici dénoncé comme une tentative de diversion purement électoraliste. Pourtant, le PQ lui-même n’a jamais cessé de solliciter l’avis des citoyens en appelant tous et chacun à se prononcer sur cette question de toutes les manières possibles, allant même jusqu’à publier un guide de conversation pour les partys des fêtes. Même Janette Bertrand a cru bon de mettre en ligne son « mémoire des janettes » alors que le déclenchement des élections avait mis en veilleuse les audiences de la commission parlementaire à cet effet.

Je reprends les articles de la loi électorale invoqués pour exiger le retrait de cette vidéo:

402. Est une dépense électorale le coût de tout bien ou service utilisé pendant la période électorale pour:

1° favoriser ou défavoriser, directement ou indirectement, l’élection d’un candidat ou celle des candidats d’un parti;

2° diffuser ou combattre le programme ou la politique d’un candidat ou d’un parti;

3° approuver ou désapprouver des mesures préconisées ou combattues par un candidat ou un parti;

4° approuver ou désapprouver des actes accomplis ou proposés par un parti, un candidat ou leurs partisans.

Relisez bien cet article de loi. relisez-le encore une fois. Je vais vous poser une question compliquée.

En quoi, la vidéo que j’ai intégrée ci-haut à ce billet, est-elle différente de ce que font à tous les jours à peu près tous les médias du Québec?

Il faut vivre caché sous une roche pour ne pas voir que Mathieu Bock-Côté, chroniqueur au Journal de Montréal, par exemple, s’emploie jour après jour à « désapprouver des mesures préconisées » par le PLQ et ses candidats. Inversement, Alain Dubuc, éditorialiste pour Le Soleil fait la même chose envers le PQ. Ce ne sont que des exemples que j’ai choisi pour la forme. Il y en a des centaines, voire des milliers par semaine. Je fais humblement la même chose au gré de l’actualité. Il n’y a pas un commentateur dans les médias qui ne s’emploie pas à « approuver ou désapprouver des actes accomplis ou proposés par un parti, un candidat ou leurs partisans », tous, par leurs commentaires, défavorisent ou favorisent, au moins indirectement, « l’élection d’un candidat ou celle des candidats d’un parti ». Tous approuvent ou désapprouvent des « mesures préconisées » par telle ou telle formation politique.

Tous les médias qui engagent des commentateurs -et ils sont légion- engagent des dépenses en biens et en services pour faire exactement ce qui est stipulé à l’article 402 de la loi électorale. Et à l’heure des médias sociaux, il y a une bonne part de citoyens qui se joignent au bal, engageant des dépenses en abonnement internet et en bande passante pour s’informer et s’exprimer publiquement sur les enjeux politiques.

Mieux encore! C’est une tradition: Au tournant de la campagne, on lira André Pratte dans La Presse et autres éditorialistes livrer aux lecteurs les préférences électorales de l’éditeur. C’est quelque chose de connu, d’assumé, d’accepté et on s’entend généralement, en tout cas du côté des médias, pour se réjouir de cette participation médiatique à la vie démocratique.

La question se pose donc au DGE: En quoi les médias indépendants, ici sommés de retirer leur vidéo qui rapporte les opinions d’intervenants, font-ils quelque chose de différent que tous les autres médias qui engagent des éditorialistes, chroniqueurs, commentateurs ou qui publient des lettres ouvertes?

Comprenez-moi bien. Tenez, je vais écrire dans ce billet l’essentiel de ce qui est véhiculé dans cette vidéo. Notez bien mes propos::

La charte des valeurs québécoises telle qu’élaborée et présentée par le PQ est une diversion purement électoraliste, démagogique à bien des égards, qui n’a pour seul objectif que de rassembler une majorité de citoyens à des fins partisanes dans le but de de former un gouvernement majoritaire en misant de manière populiste sur la division identitaire.

Voilà. Je l’ai écrit mille fois et je l’écris encore aujourd’hui dans le cadre de cette campagne électorale. Je viens d’engager une dépense en bien et en service pour désapprouver une mesure préconisée par le PQ.

Vais-je être sommé de retirer ces propos? Ils contreviennent pourtant, selon ce que j’en comprends, à l’article 402 invoqué par le DGE pour faire retirer la vidéo de 99%media.

D’autres questions se posent.

Pourrait-on empêcher un artiste d’enregistrer une chanson pour ou contre telle ou telle position d’un parti politique pendant la campagne électorale et de la diffuser sur les médias sociaux?

On me dit que les Zapartistes vont présenter un spectacle pendant la campagne. Devront-ils faire approuver leurs sketchs par un agent officiel d’un parti? Ils se moquent de tout le monde. Ce sera compliqué…

Dans les faits, il s’agit essentiellement de la même chose.

//

On comprend bien l’esprit de la loi. Il s’agit de faire en sorte que les partis politiques, par le truchement d’organisations tierces, ne puissent diffuser des messages électoraux en outrepassant leurs droits.

En permettant à tous de devenir des « médias », on peut aussi s’inquiéter que de puissants groupes de pression ou des corporations puissent passer des ententes avec des partis politiques pour les favoriser ou défavoriser leurs adversaires. Il est plus facile d’être sympathique à la cause d’un média « citoyen » qui diffuse la position d’intellectuels issus de divers milieux. On pourrait sourciller si une puissante compagnie pétrolière engageait des millions de dollars pour tapisser la provinces d’affiches pour vanter les mérites d’un politicien ou d’un parti. Ces questions ne sont pas à prendre à la légère et nous convient à une réflexion sérieuse dans un contexte médiatique désormais fort complexe.

Mais faute de se pencher sérieusement sur ces questions à l’ère des médias sociaux, le DGE me semble bien mal avisé de sommer un média citoyen de se comporter autrement que tous les autres médias qui, pour la plupart, appartiennent à de grandes corporations. On sait même qu’une d’entre elle appartient à un candidat qui fait actuellement campagne…