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Médias et publicité : Ma déclaration d’intérêts

Dans la foulée de «l’affaire David Desjardins», alors qu’on a beaucoup discuté sur diverses tribunes des rapports entre journalisme et publicité, je me suis un peu emporté, un beau samedi soir, sur mon compte Facebook après avoir lu quelques chroniques qui, à mon humble avis, suintaient l’hypocrisie.

(Pour le lecteur qui viendrait de débarquer, pour comprendre le fond de toute cette histoire, vous pouvez lire ce billet de votre humble serviteur, cette chronique de Patrick Lagacé et cet éditorial de Josée Boileau. Notez au passage que pour ma part, je comprends et respecte à peu près les positions de tout le monde dans cette histoire.)

Je disais donc que je m’étais un peu emporté, par découragement devant la tournure du débat, notamment en lisant Nathalie Petrowski, qui, dans sa chronique, reprenait la ligne bien connue de la pureté journalistique. Je vais la citer ici:

«La pub et le marketing ne sont pas compatibles avec le journalisme. Ce sont deux camps, toujours opposés, parfois ennemis.»

Et un peu plus loin:

«Ne sait-il pas que les journalistes d’une salle de rédaction ne traitent jamais, jamais, avec les annonceurs? Qu’il y a un mur étanche, un pare-feu entre les deux?»

En principe, c’est vrai. C’est un idéal noble qu’on peut vouloir atteindre. Il faut le dire. Mais il y a un mais.

J’ai déjà écrit, à quelques reprises, sur les placements de produits à La Presse auxquels s’adonnent les chroniqueurs qui écrivent sur les ouvrages de leurs collègues et qui vont même jusqu’à publier en chronique des extraits de leurs ouvrages dont ils font la promotion. Depuis ce beau samedi soir, comme tout se bouscule à grande vitesse dans les médias, deux autres exemples sont apparus. D’abord, Marc Cassivi, qui prend part à une opération de marketing de contenu pour ICI ARTV, dans un magazine produit par ICI ARTV afin de promouvoir les contenus d’ICI ARTV. Manifestement ici, le département de la publicité et le journaliste marchent main dans la main vers un même objectif.

Autre exemple, une opération publicitaire de La Presse+ où on retrouve tous les ingrédients de la pub nouveau genre : storytelling, déballage de produit, concours, mise en scène. Des journalistes chroniqueurs bien en vue, Patrick Lagacé et Yves Boisvert, prennent part à cette opération publicitaire. Encore une fois, aucun doute, il s’agit ici de vous vendre les vertus du iPad et plus généralement de la tablette, nouveau support du média qui fait ici sa promotion.

À ces exemples s’ajoute un cas notable, celui d’Alain Dubuc, chroniqueur vedette du même groupe de presse (à l’époque), lauréat du prix Hyman-Solomon de la FPJQ en 2008, qui a signé de multiples chroniques pour «Simplement Brillant», une opération de marketing de contenu pour Sun Life… Curieux que personne n’ait jugé bon de réaffirmer les idéaux nobles du chroniqueur journaliste à ce sujet, à l’époque.

Je vais l’écrire en gras pour être certain d’être entendu: sauf pour rigoler un peu, je ne crois pas que ce soit très grave. Je ne pense pas que les droits des lecteurs et auditeurs soient ici bafoués. Je ne crois pas que la démocratie soit en danger au point de déchirer sa chemise.

Mais je ne crois pas non plus qu’on puisse réaffirmer avec suffisance les psaumes du code de déontologie en faisant valoir purement et simplement que «la pub et le marketing ne sont pas compatibles avec le journalisme».

Certes, on me dira qu’il est parfois question de produits internes, les journalistes faisant la promotion de la compagnie pour laquelle ils travaillent, mais ça ne change rien. Car les notions en jeu ici sont celles de l’intérêt particulier et de l’intérêt public. En principe, on nous dit que le journaliste ne devrait jamais être guidé, dans son travail, par autre chose que l’intérêt public. Or, dans tous ces exemples, ce sont bel et bien des intérêts particuliers qui sont aussi servis. Je dis «aussi», car nous pourrions envisager – et je crois que ce serait une bonne piste de réflexion – que les intérêts particuliers et l’intérêt public sont des vases communicants et que servir l’un ne se fait pas nécessairement au détriment de l’autre.

Cela dit, je dois confesser mon exaspération. Je suis tout bonnement sidéré de voir qu’on peut se permettre des leçons de morale alors que, comme par hasard, on dénonce les pratiques d’un collègue d’un autre média sans n’avoir jamais rien écrit sur ce qui se passe dans sa propre boîte. Tout ça en faisant valoir les grands principes de la transparence et de l’impartialité. Cette hypocrisie me tue.

J’ai ressenti le même malaise à la lecture d’une chronique de Lise Ravary sur le sujet. Je la cite, elle aussi.

«J’ai beau fouiller tous les racoins des nouvelles réalités qui frappent de front les médias traditionnels depuis l’arrivée du numérique, et je n’arrive pas à imaginer qu’il existe désormais une dimension alternative où il serait permis de faire cohabiter journalisme et publicité au sein d’une même carrière.»

Venant d’une chroniqueuse qui s’exprime dans un média où l’intégration de contenus et la promotion des tentacules de la convergence sont bien souvent la norme, il est difficile de ne pas ressentir un certain agacement à la lecture de tels propos. Il faut croire qu’elle n’a pas cherché bien longtemps. Que faut-il penser d’une section spéciale «Centre Vidéotron» au Journal de Québec, ou encore de la section «La Voix» qu’on retrouve au Journal de Montréal? Difficile de croire que le journalisme ne sert pas ici une stratégie publicitaire au profit d’intérêts particuliers. Encore plus difficile de croire que de telles stratégies ne permettent pas de générer des revenus pour payer le salaire de chroniqueurs qui jouent aujourd’hui la carte de l’étonnement. Et que penser de cet article publié en grande pompe dans la section «Techno» du Journal de Montréal à propos des articles instantanés qui seront publiés sur Facebook? Sans doute, le lecteur du journal a appris quelque chose, mais était-ce l’unique but de cette publication? Sincèrement, je ne le crois pas.

Encore une fois, je vais l’écrire en caractère gras, je ne déchirerai pas ma chemise et je ne souhaite pas lancer des missiles d’indignation. Media as usual. Dans le contexte actuel, chacun cherche un peu comment se sortir de la morosité économique en conservant ses parts de marché tout en informant aussi le lecteur et ultimement le citoyen.

Sans aucun doute, il faut croire que ces stratégies sont mises en place pour garder en vie des médias locaux et préserver un écosystème d’information que je considère comme essentiel.

Ce qui m’assassine, je vais le redire, c’est l’hypocrisie, ce déguisement de pureté qu’on porte lorsqu’on dénonce un pigiste dans un autre média alors que le fric qui nous permet d’écrire cette même critique est généré exactement par les pratiques qu’on souhaite dénoncer. Si ce n’est pas le contraire exact de la transparence et de l’impartialité, je me demande bien c’est quoi.

Qu’on me comprenne bien. Je ne me contente pas ici de déployer un argument qui consisterait simplement à affirmer qu’on fait bien pire, ou pareil, ailleurs. Ce serait trivial et sans intérêt. Ce qui m’inquiète, c’est que cette hypocrisie, ce manque de transparence, gomme tout le débat que nous devrions collectivement mener, devant nos lecteurs, nos annonceurs et entre collègues.

Puisque tout le monde semble avoir un petit quelque chose à cacher, pourquoi ne pas choisir de dévoiler simplement nos intérêts et nos partis pris? Pourquoi ne pas assumer ce que nous faisons, en toute transparence, sans tenter de nous défiler en récitant les prières habituelles que nous avons apprises par cœur?

C’est pour répondre à ces questions que j’ai pris la décision d’écrire et de publier les pratiques qui sont en cours dans le média pour lequel je travaille et de raconter le rôle que j’y joue personnellement. J’ai l’intime conviction que c’est uniquement à ce prix que nous pourrons être transparents et discuter de manière constructive sur le rôle des médias et sur les limites du titre de « journaliste » au sens strict.

Je fais sans doute un souhait qui ne se réalisera pas en imaginant que d’autres médias pourraient faire le choix de publier eux aussi leurs intérêts et leurs partis pris ou plus simplement, s’ils ne le font pas, de demander à leurs chroniqueurs de se garder une petite timidité lorsque vient le temps de rédiger des homélies sur la déontologie journalistique ou médiatique. Disons que ce serait mon vœu de Noël et que nous pourrions peut-être, l’an prochain, avoir un débat serein sur ces questions.

Voici donc, sans détour, ma déclaration d’intérêts. Sur ce, je vous souhaite de joyeuses fêtes et une excellente année 2016.

 

1– La routine habituelle

[1] À titre de rédacteur en chef, j’ai discuté sur une base régulière avec l’équipe des ventes de Voir. Il m’est même arrivé à plusieurs reprises d’assister à des rencontres avec les attachés de presse d’un organisme culturel (théâtres, maisons de disques, musées, etc.) auxquelles se joignaient aussi des responsables du marketing et des représentants des ventes. Parfois, lorsque j’ai été convaincu de l’intérêt que représentaient leurs propositions, ces rencontres ont donné lieu à une couverture journalistique ou à des achats publicitaires. Dans tous les cas, après que les journalistes eurent reçu leur mandat, aucun texte n’a été modifié et jamais le client publicitaire n’a eu droit de regard sur le fond ou la forme des articles publiés.

[2] Toujours à titre de rédacteur en chef, j’ai autorisé des voyages payés à des journalistes (transport, hébergement, repas) par des producteurs afin de couvrir des événements particuliers (sorties de disque internationales, festivals dans diverses régions au Québec, événements à l’étranger). Dans certains cas, il a parfois été question de publier un article sur l’événement proposé avant que le voyage ne soit effectué, d’un commun accord avec l’équipe de rédaction, car l’événement nous semblait de toute façon d’un intérêt certain. Ces événements pouvaient donner lieu, ou pas, à des placements publicitaires de la part du producteur. Dans tous les cas, jamais un producteur n’a eu droit de regard sur le contenu que nous allions publier.

[3] À de multiples occasions, nous avons proposé des cahiers spéciaux (rentrée culturelle automnale, revue de l’année, rentrée culturelle hivernale, voyages touristiques dans les régions, dans des quartiers, salon du livre, festivals, etc.). Ces thématiques sont toujours offertes à des clients qui souhaitent y placer de la publicité et l’équipe de rédaction y participe sans que les clients n’aient un mot à dire ou un droit de regard sur les contenus que nous publions.

[4] Il arrive très souvent qu’un collègue des ventes vienne me voir dans mon bureau pour me demander si nous pouvons publier une nouvelle à propos d’un événement organisé par un de ses clients. La plupart du temps, dans la mesure où ça m’apparaît justifié, je réponds oui.

À ces confessions, il me faut ajouter quelques éléments importants:

[1] Jamais une critique favorable ou défavorable pour un disque, un commerce ou un spectacle n’a fait l’objet d’une entente financière entre la rédaction, un producteur ou un commerçant. Même si nous acceptons de discuter avec les attachés de presse et les chargés de marketing, un respect mutuel de nos compétences est toujours de mise et je n’ai jamais rencontré de situation où ce respect était remis en question.

[2] Aucune conclusion d’un article, d’une entrevue ou d’un reportage n’a pu être influencée par une transaction publicitaire, que ce soit par échange ou par versement d’argent. Jamais un membre de l’équipe de rédaction ne s’est fait indiquer de changer un seul mot dans un texte pour des motifs économiques.

[3] Pour ce qui est des chroniques, jamais, d’aucune manière, un chroniqueur n’a vu ses textes modifiés par la rédaction ou ne s’est vu suggéré un sujet par la direction, exception faite de la correction et de discussions normales sur l’actualité pour trouver des sujets intéressants à traiter.

2– Intégration de contenus de marque

a) Blogues partenaires et espaces culturels

Depuis quelques années, comme produit publicitaire, nous offrons à nos partenaires publicitaires qui œuvrent dans le milieu culturel un espace de publication sur voir.ca.

Comme directeur du développement web, j’ai été l’instigateur de ce projet pour la toute première fois pour le Musée des beaux-arts de Montréal avec le projet Big Bang:

Big Bang (Musée des beaux-arts de Montréal):
https://voir.ca/bigbang/

Cette formule a connu un vif succès. Plus tard, à titre de rédacteur en chef, j’ai proposé à divers organismes culturels ce produit publicitaire qui leur permet de diffuser des contenus sur nos plateformes.

À titre de rédacteur en chef, il m’est même arrivé de conseiller et de guider les clients dans la création de contenus qu’ils souhaitaient diffuser. Parmi ces projets, en voici quelques-uns que j’ai trouvés particulièrement intéressants:

Le Petit Prince (Grands Ballets canadiens):
https://voir.ca/lepetitprince/

Théâtre Aux Écuries (saison 2013-2014):
https://voir.ca/auxecuries/

Théâtre Le Trident (saison 2012-2013)
https://voir.ca/letrident/

Dead Man Walking (Opéra de Montréal, 2013)
https://voir.ca/deadmanwalking/

Ligue nationale d’improvisation:
https://voir.ca/lni/

Coup de cœur francophone:
https://voir.ca/coupdecoeurfrancophone/

Ces contenus étaient – et sont toujours – intégrés dans les sections pertinentes (scène, musique, cinéma, etc.). Nous les intégrons dans nos infolettres et nous les diffusons sur nos médias sociaux.

b) boutique.voir.ca

Notre média est désormais principalement financé par notre site de vente en ligne, boutique.voir.ca, qui offre à nos lecteurs la possibilité de se procurer un certain montant d’argent à dépenser dans un commerce. Nous bonifions cet investissement de 25% à 40%. Autrement dit, vous choisissez par exemple de dépenser 100$ dans un commerce partenaire de ce programme, nous y ajoutons 25$ à 40$.

C’est par la vente et la promotion de leurs produits que nous finançons les campagnes publicitaires de ces commerces.

Nous travaillons ainsi, en convergence, avec plus de 500 commerces. Nous entretenons avec ces derniers une relation de partenariat.

Le choix des commerces avec lesquels nous décidons d’établir de tels partenariats est guidé par une réflexion éditoriale. La direction de la rédaction prend part à ces choix.

Pour la vaste majorité de ces commerces, nous nous engageons en contrepartie à rédiger et à publier des contenus dans les sections appropriées (mode de vie, restos, alimentation, etc.) du site web voir.ca.

Ce choix de publier ou non des contenus sur un commerce est entièrement assumé par la direction de la rédaction. C’est le rédacteur en chef qui détermine si, oui ou non, il est intéressant de publier un ou des articles sur tel ou tel commerce partenaire. Il appartient aussi au rédacteur en chef et au chef de pupitre «mode de vie» de déterminer des sujets à traiter.

Ces contenus peuvent prendre diverses formes. Il peut s’agir, notamment, de nouvelles écrites ou de mentions dans des vidéos où nous utilisons le commerce comme lieu de tournage. Par exemple, pour un restaurant, nous pouvons proposer de publier une nouvelle à propos d’un nouveau menu ou de ses spécialités. Nous proposons aussi d’insérer l’image de marque du restaurant dans le générique d’une vidéo en faisant un lien vers le site du commerce.

https://voir.ca/video/long-sur-le-web/2015/11/23/michele-audette-une-femme-autochtone/

https://voir.ca/video/cinq-objets/2015/11/04/5-objets-inspirants-avec-fanny-bloom/

https://voir.ca/video/cinq-objets/2015/03/16/5-objets-inspirants-avec-milk-bone/

https://voir.ca/video/long-sur-le-web/2015/11/04/martin-coiteux-austerite-ou-responsabilite/

Les contenus écrits concernant les commerces se trouvent tous répertoriés à l’adresse nouvelles.voir.ca:

http://nouvelles.voir.ca/

Ces contenus étaient – et sont toujours – intégrés dans les sections pertinentes (restos, gastronomie, mode de vie, etc.). Nous les intégrons dans nos infolettres et nous les diffusons sur nos médias sociaux.