Moi, vous savez, je n’ai pas grand-chose à dire sur Jeff Fillion. Pas plus que sur les recettes de nachos et les trucs de porc à la mijoteuse. Rien. Le vide. Je sais que certains en mangent, mais ça ne provoque chez moi qu’un haussement d’épaules. Vous irez lire Claude Villeneuve si ça vous intéresse. Avec peu de mots, il a réussi à dire tout ce qu’il y avait à dire à ce sujet sans sortir le tube de vaseline. Je n’en rajouterai pas. Il a une plume ce Villeneuve.
Toujours est-il que bien malgré moi, même si je n’ai pas grand-chose à dire, j’ai été aspiré aujourd’hui dans ce grand vortex de l’actualité. J’ai bien reçu une dizaine de messages cet après-midi. « Jodoin! Martineau parle de toi et de Jeff Fillion à la radio! »
Hein? Moi? Quoi? S’il vous plaît, ne m’en parlez pas!
D’abord, je m’inquiète un peu pour Martineau. Il est constamment en colère. On ne peut pas interagir avec lui. On ne peut que réagir. C’est comme un torticolis. Je le sens nerveux depuis quelques années.
Ensuite, bon, quand même, aller pêcher des niaiseries dans ses écrits et ses multiples prises de position qu’il taille à la scie ronde, ce n’est plus très sportif.
Martineau est à la niaiserie ce que la pisciculture est à la truite.
Et encore, dans un étang artificiel. Il loue même les cannes à pêche pour les touristes qui n’ont pas d’équipement. Une prise à tous les coups, c’est garanti. Parking gratuit. Il offre même la pêche sur glace en juillet. Une aubaine.
Pas très sportif, donc. Mais oui, vous l’avez deviné, je vous charrie un peu. C’est vrai. Car perso, la pêche, ça me sèche un peu l’orteil. Ça m’ennuie. Je n’y vois aucun sport anyway.
Toujours est-il, donc, qu’on m’apprenait aujourd’hui qu’il tient une rubrique intitulée « buffet chinois » dans l’émission Maurais Live sur les ondes de CHOI à Québec. Le titre est bien choisi. Je n’imagine pas des truites de pisciculture dans un buffet chinois, mais je comprends le principe. Toujours une assiette propre, tu la changes à tous les services, tu t’en mets plein le bide. C’est, simultanément, sucré, gras et croustillant. Tu peux te resservir.
C’est ainsi que je me suis retrouvé entre les egg rolls et le poulet aux ananas. Aujourd’hui, j’étais entre Melanchon — qui serait, selon l’analyse entendue, à la gauche ce que Marine Le Pen est à la droite — et Karla Homolka. Mais punaise! Qu’est-ce que je pouvais bien faire là, moi? Ai-je l’air d’un spare ribs?
Peut-être. Que voulez-vous, je vieillis moi aussi.
Martineau, donc, parlait de moi. Il avait reçu un courriel d’un lecteur qui venait de l’aiguiller vers la section dessert du buffet. Si on a retiré le micro à Jeff Fillion cette semaine, disait-il en substance, il faudrait bien me renvoyer, moi, du Voir à peu près pour les mêmes raisons. Car, c’est connu, j’aurais traité Guy Nantel de raciste et Michelle Blanc de femme à barbe et, après tout, Alexandre Taillefer est désormais actionnaire du Voir. Alors hein, 1+1 = 11, non?
Je vous laisse écouter.
Je ne sais pas ce qu’ils mettent dans les buffets chinois par les temps qui courent. Peut-être des drogues du futur.
Car il y a un os : je n’ai jamais traité Guy Nantel de raciste et il ne m’est jamais passé par la tête d’insulter Michelle Blanc en l’affublant du costume de femme à barbe. D’aucune manière. Ces histoires sont connues et documentées. Il est bien vrai que j’ai été poursuivi par madame Blanc pour une chronique et une caricature. Une chronique fort polie, d’ailleurs. Mais la seule fois où j’ai prononcé les mots « femme à barbe » de ma vie, c’est justement devant un juge pour dire tout simplement que je n’avais jamais eu ces mots à l’esprit. La requête de madame a d’ailleurs été rejetée.
Autrement dit, Richard Martineau ment. Il rapporte sur les ondes une fabrication, un réel fantasmé, imaginé, auquel il n’a jamais eu accès. Il ne sait pas. On lui a dit que… Et ça suffit.
C’est quand même étonnant. Comment peut-on, du même souffle, induire ses auditeurs en erreur tout en proposant une réflexion sur l’éthique médiatique?
— Je vous le dis, c’est de la vraie bonne truite! Pareil comme la sauvage! Elle a le même goût! Et le parking gratuit!
Bon, ça va, je n’en ferai pas un fromage. C’est la vie. Quelque part, je le comprends. J’aimerais le serrer dans mes bras.
Il m’apparaît impossible qu’un individu, qui fait une émission de radio quotidienne, qui doit signer je ne sais combien de chroniques par semaine, en plus de devoir se pointer au buffet chinois pour le lunch, puisse avoir le temps de lire et de réfléchir sur les sujets dont il traite. Il y a des limites à être héroïque.
C’est le buffet chinois. Ça arrive congelé. Suffit de réchauffer. C’est bon hein? On dit que c’est du poulet. C’est écrit sur la boîte. Pas besoin de cuisiner.
Et le parking est gratuit.
Je n’en ferai pas un fromage, comme je vous disais. C’est la vie. Le quotidien du chroniqueur. Ça va. On rigole quand même. Et le printemps est à nos portes. On ne va quand même pas chier un pendule pour deux minutes de Martineau.
Mais j’ai quand même une question. Un peu plus importante.
Sur combien de sujets peut-on inventer des informations et les rapporter devant des dizaines de milliers d’auditeurs? Parlons de sujets autrement plus complexes : la politique, la religion, la justice, l’économie, les opérations militaires, la culture. Combien de fois par semaine Richard Martineau peut-il aller au buffet chinois pour s’improviser un menu sur mesure? Tu prends ce que tu veux, autant de fois que tu veux. C’est du poulet. C’est écrit sur la boîte.
Et sans payer pour le parking.
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