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Joyeux Noël à tous les musulmans, juifs, sikhs, chrétiens et athées

Noël est bien antérieur au christianisme

En cette période d’intense débat sur la « charte des valeurs québécoises », personne ne s’est encore offusqué de la présence de sapins de Noël dans les services publics. Ce qui retient l’attention cette année, ce sont plutôt les propos tordants de cet idiot de salafiste qui, dans cette vidéo, déclare que si un musulman souhaite Joyeux Noël à un chrétien, il commet un péché plus grave que boire de l’alcool, que de forniquer et même que de commettre un meurtre. Si si.

À ma connaissance, personne ne s’est offusqué non plus du fait que certains commerces et personnalités publiques souhaitent « Joyeuses Fêtes » plutôt que « Joyeux Noël ». Pas même Denise Bombardier.

Aussi loin que je puisse remonter dans mon enfance (et c’était dans les années 50…), on se souhaitait tout autant Joyeux Noël que Joyeuses Fêtes et cette dernière formule était inscrite sur des cartes… de Noël. Cette expression est tout simplement le Season’s Greetings anglais et inclut à la fois Noël et le Jour de l’an. Rien à voir donc avec une rectitude politique qui commanderait de ne pas mentionner le mot Noël afin de ne pas heurter les oreilles non chrétiennes. C’est au nom de la durabilité des souhaits que l’expression Joyeuses Fêtes est souvent préférée, voire plus de mise, que Joyeux Noël.

La naissance de Mithra

L’ironie, c’est que ceux qui n’en ont que pour l’expression Joyeux Noël s’en remettent à un terme «païen» bien antérieur au christianisme. Le mot Noël est une contraction du mot latin natalis (naissance), lui-même tiré de l’expression « natalis dies sol invictus », c’est-à-dire le « jour de naissance du Soleil invaincu ». Bien avant l’apparition du christianisme, cette fête était célébrée chez les Romains le 25 décembre, date à laquelle correspondait le solstice d’hiver avant la réforme du calendrier par Jules César. On fêtait cette divinité solaire à cette date parce qu’à partir du solstice d’hiver les jours commencent à allonger.

Les dictionnaires ne retiennent que la portion « jour de naissance » de l’expression d’origine. Chez les Romains, il s’agissait de la naissance de Mithra représenté par le Soleil triomphant des ténèbres. Le mithriacisme, apparu d’abord en Perse au 3e siècle avant notre ère, connut son apogée à Rome au 3e siècle de l’ère chrétienne ; les chrétiens en ont tiré une bonne part de leurs symboles, de leurs rituels et de leur mythologie. Noël, christianisé au 4e siècle après que l’empereur Constantin eut imposé le christianisme comme religion d’État, n’est que l’un de ces emprunts. Le natalis dies dont il est question dans Noël n’est donc pas celui de Jésus mais celui de Mithra.

Une autre origine possible du mot Noël est le terme gaulois noio (nouveau) combiné au grec hel (soleil), ce qui donne noio hel pour nommer le jour du solstice (1). Que l’on adopte l’une ou l’autre des étymologies, Noël nous renvoie, dans les deux cas, aux fêtes du solstice d’hiver. Même les Vikings s’adonnaient à des festivités à l’approche de ce moment de l’année, festivités appelées yul ; dans les langues scandinaves d’aujourd’hui, Noël se dit Yul, mot que l’on retrouve aussi dans l’anglais classique comme dans le terme yul log, la bûche de Noël.

Le fait que le christianisme précise que la célébration religieuse qui a lieu le jour de Noël est la Nativité (Natal, Natividad et Natale en portugais, espagnol et italien) montre bien qu’il y a deux éléments qui se chevauchent le 25 décembre. L’existence de deux termes pour désigner les célébrations du 25 décembre pourrait s’expliquer par le fait que, en français, le mot «Nativité» n’a pas réussi à déloger le Noël de Mithra. Pas plus que la symbolique chrétienne de l’enfant-dieu n’a réussi à éclipser les fêtes populaires et carnavalesques qui se sont toujours tenues et continuent de se tenir pour souligner le solstice.

Coutume celtique

Le sapin et les lumières de Noël ne sont pas plus chrétiens que le nom de la fête. Plus de 1000 ans avant le christianisme, les Celtes décoraient un sapin (symbole de vie) avec des fruits et des fleurs lors du solstice d’hiver. La pratique serait passée au christianisme par les Alsaciens qui en avaient maintenu la tradition. Mais ce n’est qu’au 19e siècle que le protestantisme allemand l’a adopté alors que le catholicisme ne s’y est résigné qu’au 20e siècle. Jusqu’aux années 40, l’Église catholique considérait encore le sapin de Noël comme une pratique païenne condamnable.

Aujourd’hui, Noël est souligné même au Japon et en Chine, un effet davantage dû à la commercialisation qu’aux missionnaires. Les athées ont eux aussi placé au 23 décembre la date de l’une de leurs principales fêtes annuelles, la Fête de la lumière humaniste (HumanLight).

On peut donc choisir de fêter ce que l’on veut autour du 25 décembre et les chrétiens n’ont pas l’exclusivité de ces festivités de fin d’année. Que l’on soit musulman, juif ou athée, on aurait bien tort de ne pas participer à ces réjouissances populaires et de ne pas éclairer, par un sapin illuminé, ces nuits les plus longues de l’hiver.

Alors Joyeuses Fêtes et même Joyeux Noël à tous, tant aux musulmans, juifs, sikhs, bouddhistes, animistes, raëliens,  et athées.

 

1. Cette étymologie est donnée par l’historien Michel Coindoz («Les origines de Noël et de son imagerie», Archeologia, décembre 1992) et par la sociologue Martyne Perrot (Ethnologie de Noël – Une fête paradoxale, Grasset, 2000).