Ce texte est maladroit, incomplet et un peu dispersé, mais comme beaucoup de mes blogues, ça vient d’une idée qui culbute dans ma tête jusqu’à ce que je sente qu’elle doive sortir. Ces mots m’appartiennent, mais en un sens ils sont aussi le fruit de tout ce qui flotte autour de nous que nous arrivons parfois à saisir au bond.
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Je suis passablement irrité quand j’entends des journalistes, animateurs, chefs d’antenne répéter comme des automates que les tueurs de militaire se sont radicalisés en fréquentant des sites jihadistes, comme s’il y avait dans une page Web une sorte de poison mental contre lequel on ne peut rien, et que si on s’y expose un peu trop, on perd complètement la carte et on devient un fou de dieu. La santé mentale de l’individu, l’absence de la famille et des amis, et un trop mince filet de sécurité social ont parfois autant d’impact. Je n’ai pas de preuve de ça, que mes intuitions.
Il serait faux pourtant de dire que l’exposition répétée à des idées radicales n’a aucun effet. On n’a qu’à repenser à la débâcle de la « charte », le folie du bogue de l’an 2000 ou l’obsession de la sécurité post 11 septembre tous azimut pour comprendre que c’est dans les expériences seuils qu’on voit la vraie nature des gens. L’inconnu demeure la plus grande source d’angoisse, l’ignorance est le terreau fertile de la bêtise et la peur notre pire guide.
Depuis quelque jours, le Canada est enflammé pour une autre sorte de terrorisme : le terrorisme sexuel. Le problème c’est qu’on ne le nomme pas ainsi et pourtant ça en est.
« Au Canada, l’article 83.01 du Code criminel[1] définit le terrorisme comme un acte commis « au nom — exclusivement ou non — d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique » en vue d’intimider la population « quant à sa sécurité, entre autres sur le plan économique, ou de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s’en abstenir ». Tiré de « Définition du terrorisme et contexte canadien »
Relisez le paragraphe ci-dessus, en vous attardant aux mots soulignés et imaginez qu’il s’agisse d’un viol. Le viol et/ou l’agression à caractère sexuel sont des actes de terrorisme puisque l’objectif c’est l’auto-glorification du bourreau par l’application de la peur, la blessure, parfois la mort. Certains hommes ont ça en eux, mais d’autres sont comme ces loups solitaires perdus et en quête de sens, sinon de sensations. Ils se laissent empoisonner par les idéologies des autres qui leur dit que parce qu’ils sont des hommes, plus fort, plus gros, plus violents, ils peuvent utiliser ce pouvoir pour contraindre une femme, la frapper, la violer.
Contrairement aux évocations alambiquées de certains de nos élus sur le terrorisme islamique au Canada, le terrorisme sexuel frappe ici depuis longtemps, il fait un nombre important de victimes et peut paraitre aussi difficile à détecter que ces loups solitaires dont on nous parle tant. Les victimes sont majoritairement des femmes et elles ne recevront pas de funérailles nationales parce que la quasi totalité d’entre elles sont encore vivantes. Certaines ne vivent plus vraiment, elles survivent bien malgré elles, cachant chaque jour leurs blessures et jouant cette tragique mais nécessaire pièce de théâtre parce que les gens autour d’elles ne sont pas très réceptifs.
Pourquoi est-ce si difficile pour les femmes de parler de leurs traumatismes, de leurs agressions sexuelles, de leurs viols, de la violence physique et mentale qu’elles ont subies?
Je pense qu’un début de réponse vient du fait que certaines personnes pensent pas que la victime a une certaine responsabilité et qu’elle n’a qu’à se prendre en main. Comme la dépression, comme l’alcoolisme. Il y a pourtant une différence majeure : pour qu’il y ait une victime de terrorisme sexuel, il faut qu’il y ait un bourreau, un criminel, un terroriste. Les personnes victimes de torture dans des pays totalitaires ont souvent confessé se débattre avec une sourde culpabilité, une culpabilité sans objet, alors qu’ils ont été les victimes d’un régime brutal qui a instrumentalisé des hommes sans scrupules. Les victimes de viol vivent la même chose.
Si le gouvernement veut criminaliser l’apologie du terrorisme, il pourrait regarder un peu plus largement la société et criminaliser aussi la culture du viol, les commentaires dégradants envers les femmes sur les réseaux sociaux et les comportements inacceptables que les hommes adoptent en public et en privé, et qui pourraient laisser croire qu’ils vont passer à l’acte contre une femme parce qu’ils tiennent un discours sur la supériorité des hommes ou sur l’infériorité des femmes.
La mort de deux soldats est tragique. Ne les oublions pas, mais donnons maintenant la place qu’elles méritent au plus grand contingent de victimes. Ces femmes sont parmi nous. La plupart des terroristes sexuels sont encore libres. C’est impossible qu’il y ait un jour une justice pour toutes ces femmes. C’est comme un génocide, les moyens manquent pour inculper et condamner tous les coupables. Parfois les événements sont trop floues pour que le système de justice tranche. Ça ne veut pas dire qu’il faut permettre que ça continue. Le système judiciaire n’est qu’un outil de sanction. Je n’ai pas assez de doigts pour compter le nombre d’amies qui ont été agressées sexuellement et je sais que la solution à ces crimes ne se trouve pas dans l’usage ciblé de nos poings contre les agresseurs, nos poings individuels et ceux anonymes de l’État.
J’ai depuis quelques années la conviction que la seule chose qui puisse aider la guérison des personnes qui ont été blessés par d’autres personnes, c’est l’amour, la compassion, l’accompagnement d’une personne, de plusieurs personnes qui les aiment.
La comédienne Jamie Lee Curtis citait dans une entrevue cette phrase simple : hurt people hurt people. Les gens blessés blessent les gens.
En voyant l’histoire des deux tueurs de militaires étalée dans les médias, j’ai tout de suite senti qu’on avait affaire à des hommes blessés. Mon texte Aveu d’impuissance résume bien ma pensée là-dessus. Je ne suis pas criminologue, mais je sais que les hommes qui agressent les femmes ne sont pas tous irréformables. Nier que ce sont des personnes blessés n’aide en rien à arrêter la violence. La plupart ont probablement adopté des comportements symptomatiques bien avant de poser leur geste regrettable. Il serait temps de reconnaitre ces signes pour ce qu’ils sont et aller au devant des coups pour désamorcer ces bombes ambulantes. Le plus tôt on commence, plus facile ça sera de changer le cap. Je pense surtout aux adolescents et aux jeunes hommes.
Il est temps de sortir de cette autre grande noirceur qui nous enveloppe.
Et si on se donnait un projet de société, un objectif de faire un gros examen de conscience sociale et qu’on essayait collectivement et individuellement de changer notre monde, notre rapport aux autres, pour aider celles et ceux qui souffrent et pour arrêter le terrorisme sexuel. Le blessures des victimes passées ne peuvent pas toujours guérir, mais on peut au moins travailler ensemble pour éviter ça aux autres femmes, aux jeunes femmes, aux fillettes, à celles qui viendront après.
Laisser notre monde aux générations futures dans un meilleur état qu’on l’a reçu.
À mon avis, les matamores qui ne trouvent rien de mieux à faire que de s’en prendre verbalement ou physiquement aux autres sont surtout – à leur propre désarroi, car ils s’en rendent compte – des faibles. Des idéologiquement désoeuvrés. Des égarés dans ce monde où ils se sentent comme des minus, des inutiles et des sous-performants.
Un tel état dégradant pourra ainsi en pousser certains à rechercher une quelconque valorisation en posant alors des gestes qu’ils croiront hardis, bien que ces gestes soient d’une grande lâcheté.
Le seul remède pour ces matamores serait peut-être que l’on puisse leur faire voir les qualités encore latentes sommeillant sous leurs carapaces de primates mal dégrossis. Car tout le monde a des qualités et des talents. Et, suite à cette révélation, une nouvelle estime de soi pourrait alors prendre la relève de leur habituelle muflerie.
Du coup, le matamore se transformerait en un ex-matamore. Faisant enfin œuvre utile dans la société.
En neutralisant le maximum de bidons de nitroglycérine sur deux jambes qui se trouvent en circulation autour de nous, de la sorte on déplorerait vraisemblablement moins de victimes. De toute façon, on ne perd rien à tenter cette approche plus positive. D’autant plus que celle coercitive actuellement mise de l’avant ne semble pas très efficace, bien au contraire même…
Petit addenda:
Il y aura toujours des imbéciles. Mais, à tout prendre, vaudra toujours mieux être entourés d’imbéciles heureux que d’imbéciles violents…