BloguesInternet vernaculaire

Montréal va crever d’ennui

Duane Hanson (1925-1996) Old Couple on a Bench

Si vous vous demandez pourquoi le mouvement des indignés n’a pas connu le succès qu’il méritait alors que ses revendications étaient partagées par près de 80 % de la population, la réponse est sûrement à chercher du côté du vieillissement de la population. Oui, les révolutions ont presque immanquablement été portées par les jeunes générations. Demandez donc aux révoltés arabes, en Égypte, en Lybie et en Tunisie, les moins de 25 ans représente plus de 50% de la population.

Dans les années 60, années de révolte s’il en est, la contestation dans les pays occidentaux étaient le fait de la génération des 17-30 ans issue du baby-boom. Selon Statistique Canada, en 1961 une personne sur trois (34,0 %) était âgée de moins de 15 ans, cette catégorie atteint aujourd’hui son plus faible niveau de l’histoire avec un peu plus de 17,7 %[1].

Quand votre population est composée à 50 % de jeunes de moins de 25 ans, elle est logiquement plus portée à la révolte contre le système en place. La jeunesse est pleine d’énergie, de désir, de rage, elle n’a rien à perdre. Cela devient un peu plus compliqué avec une population composée majoritairement de personnes de plus de 40 ans, des gens qui pensent plus à payer leur hypothèque qu’à changer le monde.

Le vieillissement n’est pas qu’un frein important à la réforme et au changement, c’est aussi la plupart du temps une des raisons du durcissement des politiques à l’égard des jeunes et du monde de la nuit. Aujourd’hui, la grande cohorte des baby-boomers nés entre 1946 et 1965 a entre 45 et 64 ans et représente la classe la plus aisée et celle qui est généralement propriétaire.

Ce n’est pas nouveau, mais plus les gens vieillissent, plus ils veulent de l’ordre, de la sécurité et de la tranquillité. L’exubérance juvénile s’oppose logiquement à l’involution « sénile ». C’est aussi une question de nombre : quand les jeunes sont majoritaires leurs revendications sont écoutées (1968), quand ils sont minoritaires non (2011). Le rapport de force fait qu’aujourd’hui l’ennui gagne du terrain sur l’euphorie.

C’est mon ami Mathieu Grondin, DJ du milieu interlope qui raconte l’anecdote, elle résume très bien la situation :

« Bilan de l’année d’un DJ : la police a arrêté mon set HUIT fois en 2011. Merci au SPVM et aux citoyens qui désirent vivre en ville comme à la campagne. Vous contribuez à rendre cette ville dynamique ! Alors au seul voisin qui voulait dormir le 1er janvier au matin, incapable de laisser aller et prendre sur lui, et au SPVM au grand complet ainsi qu’à Ferrandez, toujours prompt à défendre les droits des “propriétaires”, je vous souhaite que 2012 soit réellement votre fin du monde. Merci. »

Arrêté huit fois, dont le premier janvier  ! Chaque fois au nom de la tranquillité et de la quiétude, dans une ville qui pourtant  crie sur tous les toits qu’elle aime faire la fête et qu’elle est plus « récréative » que ses voisines canadiennes.

Montréal n’aime plus la fête. Montréal et ses administrations aiment l’idée de la fête, une idée bien emballée par ces compagnies de pub qui font notre fierté à l’international. La fête a été prise en otage et transformée en une chose affreuse et édulcorée, laide à souhait : la fête est devenue le quartier des spectacles, la métropole culturelle, les festivals… Vous savez le truc où des artistes chantent devant des Fords Fiesta.

Attention, si t’es un peu chaud, après avoir bu trop de bière à 7$ au bar Ford du festival, ne t’avise pas de pisser nonchalamment dans la ruelle. La guerre à la propreté et la sobriété est telle que tu risques  250 $ d’amende, oui tu as bien lu 250 $, plus cher que de brûler un feu en auto (154 $ et 3 pts). Mon ami en a fait les frais la semaine dernière, voilà son constat d’infraction.

 

 

À la fin des 80, La Mano Negra, formation rock mythique parisienne, voyait exactement la même logique sécuritaire, policière et hygiéniste transformer Paris en un grand musée sans vie. Ils voyaient déjà les bars miteux et les squats culturels se faire harceler par la police, ils voyaient les anciens soixante-huitards repentis commencer à demander le calme et la sécurité. Ils en ont fait une chanson: Ronde de nuit, « Dans la rue ya plus qu’des matons, Tous les apaches sont en prison, Tout est si calme qu’ca sent l’pourri, Paris va crever d’ennui ». Ils ne se sont pas trompés, aujourd’hui Paris ce n’est plus Pigale, c’est Paris Plage.

 


Mano Negra – Ronde De Nuit

 

Pour 2012, vous pouvez être sûr d’une chose, il y aura moins d’after party à Montréal, moins de fêtes exubérantes et autant de ces évènements insipides, sans alcool, sans drogue, sans envie, dans le beau quartier propre des spectacles. Et pour ceux qui voudront dire non, il y aura toujours plus de contraventions.

 


[1] http://www12.statcan.ca/census-recensement/2006/as-sa/97-551/p3-fra.cfm