Des amis font des clips, des beaux clips, des clips de rap même des fois. Ils ont plein d’idées comme remplacer la drogue par des saucisses pour un clip de Maybe Watson ou ajouter des détails issus de la culture internet et 4chan pour Alaclair ensemble. Plein d’idées je vous dis, ça bouillonne. Ils ont même un très bon site sur la culture hip-hop, 10kilos.us.
Il y a quelques jours, ils ont décidé de rendre hommage au groupe qui a marqué leur adolescence pour un clip du collectif montréalais K6A. Ils ont repris plan pour plan le 1er vidéoclip du Wu Tang Clan Protect your neck. Gros travail, bon résultat.
L’hommage et le remix sont des composantes indépassables de la création artistique : tous les artistes depuis les prémices de l’art s’influencent, se copient et font des références explicites à leurs pairs et prédécesseurs. Cela est particulièrement vrai dans le rap, milieu où il n’est pas rare de voir des artistes rapper sur des instrumentations appartenant à d’autres artistes qui les ont eux-mêmes samplés sur des vieux disques souls et funks, eux-mêmes…
Et bien, il y a des gens qui n’ont pas aimé le clip ; ça arrive, mais le pire c’est qu’ils avaient des conviction politiques! Ces tenants de la critique pure et dure ont ressorti des boîtes à chaussures leurs vieilles théories de classe pour faire le procès de ce qu’ils considéraient comme une trahison et une récupération.
La rengaine de la théorie de la récupération est connue : en s’appropriant les symboles de la vraie culture hip-hop, les jeunes bourgeois (qui réalisent ce clip) en ont évacué le contenu révolutionnaire et social. Par ce procédé, le jeune bourgeois blanc institutionnalise une contre-culture et la rend stérilise et inoffensive tandis que lui accroît son capital social et économique.
Plusieurs remarques :
1 – En écoutant du Hip-Hop, les tenants d ela critique, eux aussi bourgeois et blancs, ne participent déjà t-ils pas déjà à la récupération et à l’assimilation du Hip-hop par la bourgeoisie?
2 – La vraie culture hip-hop , est-ce que ça veut dire quelque chose fo’real ?
3 – La récupération, n’est-elle pas simplement un mécanisme d’adaptation ?
4 – Faut-il partager une position de classe pour aimer vraiment le hip-hop et avoir le droit de faire des hommages ?
5- Ce jeune homme, ci-bas, est-il assez typé « banlieue » pour avoir le droit de rendre un hommage ?
Fuck-off, de toute façon il tue et c’est bien l’essentiel.
Les gars du Wu-Tang Clan n’ont peut être pas été les plus sages d’entre tous mais est-ce là l’unique et seule raison pour laquelle ils ont pu accoucher d’un album comme The 36th Chambers of Shaolin? J’en doute.
Comme Old Dirty Bastard, j’ai déjà été mis en joue par une bande de jeunes cagoulés – est-ce que ça me donnerait le droit de faire quelques rimes, moi? Et mes rimes seraient-elles meilleures à cause de cela? Ça aussi j’en doute.
Si un petit blanc bourgeois peut aimer et comprendre la culture hip hop?
Pourquoi pas! De la même façon qu’un Black de South Central L.A. peut se partir un band d’Americana si ça lui dit…
Ça me rappelle la pièce « Bourrée » de NSD, une bande de jeunes blancs bourgeois qui font du hip hop dans les règles de l’art:
« Qu’est-ce qui vous fâche tant? Trop souvent, on m’boude
C’est-tu gossant un p’tit blanc qui trippe su’l’beat du hood?
Pourquoi que j’devrais faire comme tous les dégénérés
Qui portent des t-shirts Pantera avec des jeans serrés? »
Tu fais un piètre sociologue, Fabien. La bourgeoisie, ni toi ni moi n’en faisons partie. Nous sommes tous les deux des prolétaires, ne t’en déplaise. Et la différence entre nous réside précisément là, dans cette reconnaissance non partagée de nos origines. Ta méprise ici, ce transfert de classe magique si révélateur de tes intentions, a le mérite de pointer dans la bonne direction : ton projet de vie. Les producteurs de culture, pour atteindre leur objectif, se réifient. Ils s’identifient, pour ce faire, à cette catégorie qui contrôle le flux du cash, la seule qui puisse les aider. Ils doivent les séduire, ceux-là, à tout prix. Toi et tes amis, que j’amalgame à loisir dans une autre catégorie, celles des travailleurs de la culture en quête d’autonomie, eh bien, comment dire, vous défendez l’idéologie dominante pour y parvenir. Oui, oui, l’idéologie dominante. Maudit marxiste, diras-tu, toujours en train de dire qu’on n’est pas vraiment ce qu’on prétend être.
Question première : est-ce que l’idéologie dominante, ça existe fo’real dude?
C’est p’tit Montréal. Du moment qu’on s’en prend au travail d’un producteur en vue, ses amis arrivent à la rescousse et aboient pour protéger leur territoire. Des fois, ils profitent de leur tribune, tel un perchoir sur la masse, et écrivent un beau billet en moins de deux. La vitesse avec laquelle on s’exécute est une difficulté du débat aujourd’hui, mais la plus importante d’entre toutes les difficultés réside selon moi dans le fait que le marché est saturé et minuscule, et que, ce faisant, on s’haït et se jalouse beaucoup. Chaque situation est une occasion à saisir pour se mettre en valeur. Rares sont ceux qui abordent la question aussi franchement, tu m’excuseras, mais ton billet en est un excellent exemple. Certains m’accuseront de faire de même, inévitablement. C’est structurel ce comportement. L’hypocrisie corollaire à ce phénomène de compétition, lié à notre capacité d’adaptation, est ce qu’on appelle le professionnalisme, tu le sais bien, cette capacité qu’on a de cacher ses dents lorsqu’on rit des autres. Mais t’inquiète : ton mépris, on le renifle facilement en te lisant. La critique négative est pratiquement impossible dans ces conditions, et très rarement prise au sérieux. Défendre l’intégrité d’un collègue est, en pareilles circonstances, un geste de courtoisie minimale que se doivent d’exécuter « nos amis ». Au cas où une opportunité se présenterait, tu vois? Vous marchez en gang jusqu’à nouvel ordre, mais l’équilibre est fragile. Beaucoup tomberont au combat pour se tailler une place au soleil. La critique qui ne fait aucun compromis, celle qui refuse la réconciliation tranquille de l’art et de l’argent, du travail et de la liberté, eh bien celle-là n’a aucun espace public dans ce fameux débat démocratique, reprenant ici les termes issus de l’un de tes plus beaux élans de twittérature. Celui qui veut parler au public doit d’abord se conformer à toutes les exigences du libéralisme.
Question deuxième, un classique : les classes existent-elles fo’real my nigga?
La suite de cette tentative de débat est prévisible… entre le silence et la dérision s’immisce le mépris. On nous répète sans cesse qu’on a le droit d’avoir nos opinions, mais on dirait par contre qu’elles doivent pour avoir droit de cité être vidées de leur substance. Aucun argument ne sera toléré. T’aimes ou t’aimes pas ok!? Blessé par la critique parce que, veut veut pas, quoi qu’en dise Baz, on rêve tous d’être artiste. C’est l’écueil du travailleur de la culture que de courir pour survivre tout en faisant vivre ce rêve déchu et, renonçant à l’examen de sa pratique réifiée de force, rien de bon n’est à prévoir de son vivant.
Petite anecdote. Lors de mon dernier passage chez Fabien, j’aperçus un tableau on ne peut plus hipster ornant un mur de son salon. Ce genre de tableau, vous voyez, aux couleurs pastel de l’arc-en-ciel avec, au centre, une tête de cervidé quelconque. Un peu écœuré, je lui demande alors pourquoi un tel objet décore son salon. Notre ami hipster avant la lettre, entrevoyant par ma question la suite de la discussion, me répond sèchement que son colocataire en est le producteur. Oui, j’étais intrigué, alors je lui demande s’il a commencé à peindre ce truc avant ou après la multiplication de cette esthétique désormais hyperconvenue et insipide. La réponse de Fabien, agacé il va sans dire, fut sans surprise : « Moi, je ne crache pas dans la soupe! »
Si je raconte cette histoire tellement banale, mais vraie je vous assure, c’est qu’elle explicite parfaitement mon propos. La critique est pour ainsi dire enrayée par l’obligation de maintenir nos rapports sociaux, condition essentielle du succès dans un petit marché, et c’est particulièrement vrai pour le travailleur de la culture, réputé avoir 2000 amis sur Facebook. Au cas où. Même si Fabien semble se crisser carrément du jugement selon lequel la réplique est moins original que le produit premier, (car il n’y a pas de premier, rien de nouveau jamais) et davantage encore du fait que ce jugement soit un critère de la valeur d’une œuvre, cette soirée-là, il comprenait bien où je voulais en venir. Ce n’est pas de l’art; ce n’est pas fort. C’est beau, peut-être, mais c’est trop facile de faire le beau, tu en conviendras. Tout ça pour vous dire que je défends l’idée selon laquelle de vrais artistes ne se seraient pas gênés de dire le fond de leur pensée et pas juste des artistes, mais tous ceux et celles pour qui le respect conserve sa charge négative, son mouvement. Et ça tombe à point cette remarque, puisque la confrontation critique, qui n’a rien du mépris petit-bourgeois, s’inscrit à merveille dans la culture du hip-hop : diss.
Attardons-nous à ton billet, Fabien. Tu commences par encenser tes amis. Ça foisonne fort dans la tête de ces gens-là nous assures-tu, citant au passage quelques exemples peu convaincants. Je laisse aux lecteurs le soin d’en juger par eux-mêmes. C’est comme du placement de produit, à l’image de l’avenir du journalisme de chroniqueurs. Ton analyse de l’art, fort lucide par ailleurs, tente de réconcilier l’original et la copie. Tu proposes donc de les renvoyer dos à dos comme Debord, que je paraphrase pour les besoins du présent texte, pour qui l’art n’est qu’une série de répétitions maquillées, démystifiant du coup toute la magie de l’acte créateur, préférant en cela ne voir que le travail productif lui-même et son résultat. Hommage ou récupération constituent des genres indépassables.
Or, voilà que tes amis n’essaient même plus de maquiller quoi que ce soit. Ils copient, intégralement. C’est un peu, comment dire, la fin de la subjectivité. Car l’idée de copier n’est pas une grande idée, et par le fait même elle se transforme en pure technique. Si on admet que le commencement d’un travail est ce qui y a de plus important, le problème avec ce vidéoclip, c’est vraiment l’idée de départ. Elle a bloqué tout le processus de création au stade d’un stunt ridicule. Singez parfaitement, criaient les producteurs aux interprètes, nous en ferons autant derrière la caméra! Il s’agit une véritable répétition du passé, jokes homophobes comprises. Il s’agit là de la limite objective du détournement qui, ironiquement, s’est renversé sur lui-même au point de nier la subjectivité, de se répéter inlassablement, conséquence d’une société en perte d’historicité. Et j’évite ici l’emploi du terme radical, je me garde une petite gêne. En suivant ce raisonnement, on peut affirmer que le titre du vidéoclip annonce un combat perdu d’avance : il n’y a pas de combat, ni d’adversaires dignes de ce nom là-dedans. Cet hommage est vide et ses producteurs, qui n’ont d’autre prétention que d’être de parfaits hédonistes, même s’ils refusent de le reconnaître, capitulent d’office devant la critique. Raps, lols et autres amusements, disaient-ils. Ce jugement qui, effectivement, repose sur une analyse de classe, une classe en mouvement depuis que nous sommes des prolétaires éduqués mais n’ayant pas les moyens de leurs ambitions, n’a rien de caricatural, contrairement à la manière dont tu le dépeint dans ton billet, toujours, comme je l’expliquais, pour te mettre en valeur, toi pis tes chums.
Cette critique radicale des productions culturelles réifiées ne doit pas nier le caractère potentiellement original du remix ou de l’hommage. Étant un amateur de Wu-Tang, je le sais bien. Seulement, il y a des conditions pour réussir la chose, énumérées sommairement dans le Mode d’emploi du détournement, et inutile de préciser que cette production promotionnelle ne les réunissait pas.
Celui qui rend hommage rêve en secret d’un retour de bons procédés. Mais l’idole est morte, littéralement ou métaphoriquement, et donc ce souhait est vain… Il ne recevra rien en retour. Qu’il soit clair que les zombies ne rendent pas d’hommages et, selon toutes vraisemblances, du temps de leur vivant, ceux-là les auraient désavoués, rendant ainsi hommage à l’art dans son combat éternel pour la rupture d’avec la reproduction. Nous faisons de même en critiquant ce vidéoclip, à savoir rendre hommage à Wu-Tang humblement. « Seul celui qui a des idées personnelles, disait Arnold Schoenberg, est capable de rendre hommage aux idées d’autrui. Seul mérite un hommage celui qui est capable de rendre hommage à autrui. » K6A, en tant que mimes caricaturaux, faisant ainsi d’eux-mêmes des médiocres se sacrifiant au nom du génie, n’auront jamais d’hommages, c’est fort à parier.
Question troisième : depuis la critique postmoderne du génie créateur, qui n’arrive pas à concevoir les limites de son propre paradigme, la tradition a-t-elle perdu sa valeur?
Voilà ce que j’avais écrit hier, avant la réponse de Baz : « Si Fabien et sa gang admettaient qu’il ne s’agit pas d’art ici, le débat serait vite clos. Mais ils défendent l’inverse, c’est-à-dire qu’un vidéoclip, c’est une forme d’art valable. » Son renoncement n’enlève rien à la validité de ce commentaire. Une œuvre qui sert des intérêts propres, une œuvre dis-je qui s’inscrit dans les sillons de l’industrie comme un produit sur l’étalage d’un supermarché, ne peut offrir aucune résistance à l’interprétation et meurt tout de suite.
C’est intéressant de voir que ton ami, ce Grondin, vient poser les bonnes questions tandis que toi, malgré tes connaissances élargies en la matière, tu préfères t’en tenir à la publicité et à la justification lascive. Puisque tu aimes le citer, j’en fais autant; s’il fait autorité comme DJ, ça devrait être suffisant en matière d’art, non? Sur ses interrogations, mon analyse est que le système capitaliste a fait sienne la production culturelle à tous les échelons. L’aventure de la nouveauté semble impossible dans ces conditions. Le perfectionnement du Capital passe par une intensification du rêve de l’artiste. Mais ce qui est rêvé, ce n’est pas le travail nécessitant la rupture de l’œuvre originale d’avec son temps, c’est-à-dire ce qu’il y a de révolutionnaire dans l’art, mais plutôt l’oisiveté, le temps libre. C’est pour cette raison qu’au lieu d’écrire de bons livres, bien que tu en aies le talent, tu as fondé une entreprise d’hygiène corporative, en bon sociologue.
Le Capital a la mainmise sur la production culturelle, sur les moyens expérimentaux, c’est ça la postmodernité. C’est ça qui fuck tout le monde. Ce rêve de liberté qu’incarne encore la culture, même celle réifiée dans une certaine mesure, s’est renversé en cauchemar de l’obédience. Les conditions d’existence du travailleur de la culture l’empêchent de penser, noyé dans sa culture Internet. Pour survivre, il doit s’activer continuellement, se faire voir, se faire valoir. Il prend rarement le temps de réfléchir, de se remettre en question. Or, le temps est le matériau premier de la pensée et de la créativité. Mais la survie du travailleur de la culture l’oblige à multiplier les projets, au cas où. Il ne peut pas être fidèle. De deux choses l’une : soit il est à la recherche de subventions, soit il se vend lui-même sur le marché des producteurs. Son statut d’entrepreneur se base sur son capital culturel et non que sur l’argent, car il est ni plus ni moins qu’un prolétaire nouveau genre. De ce fait, la valeur de la culture a une influence décisive sur ses choix.
Question quatrième : le vrai, ça existe-tu fo’real?
Tu comprendras, j’en suis persuadé, que partir de mauvaises questions assure le naufrage de la réflexion. Alors je ferai fi d’elles.
Ma réponse aux tribulations de Maître Simard:
Ce philosophe à deux cennes, visiblement artistiquement et socialement frustré, n’a rien compris à l’origine du monde, de la vie.
Vie qui ancre tout ce qu’on est, c’qu’on fait, c’qu’on sait et dit, sur notre environnement et donc c’qui nous entoure, les gens, leur pensée, leur savoir, leur expérience … Vous ne pouvez le nier.
Nous somme le résultat d’une perpétuelle séance de sampling biologique, idéologique, culturel, technologique.
Même la démarche artistique, idéologique ou technologique la plus underground, la plus futuristique, la plus décalé, la plus imcomprise … Trouvera ses fondements sur ce que le créateur (l’artiste, pas jésus) aura vu, vécu, entendu … Comme une grosse séance de sampling continu. Et ses tant mieux, car dans notre monde, rien ne se cré rien ne se perd … Tout se partage. Même les idées.
C’est comme de reprocher à notre génétique d’avoir créé un être »pas complètement original » en associant simplement l’adn de papa et maman. C’est là qu’il se trompe …
Tout brassage, qu’il soit génétique ou culturel, résultera vers quelques choses d’unique et/ou artisque.
Qu’on aime ou trouve ca beau ou pas… C’est un autre débat.
Cet homme doit en vouloir à sa propre mère et ses proche de lui avoir appris à parler comme il parle et de ne pas lui avoir laissé la liberté artisque d’inventer son propre language à l’aube de sa douleureuse vie d’ultime philosophe de l’art.
Quoique sa facon de s’exprimer s’apparente beaucoup à de l’elfique.
Ps: J’haïs les haters