Le 18 octobre dernier, l’artiste canadien Mathieu Lefèvre perdait la vie dans un tragique accident de circulation au cœur de Brooklyn, là où il vivait et travaillait comme artiste depuis plus d’un an.
Avant de rejoindre New York, Mathieu Lefèvre a habité plusieurs années à Montréal, ville où il a été diplômé en art visuel à l’UQAM et où il a tissé de nombreux liens. Originaire d’Edmonton, il a participé à plusieurs expositions au Canada et à l’étranger. Le printemps dernier, Mathieu avait représenté le Canada à la Biennale de Prague en République tchèque.
Aujourd’hui sa famille se bat pour savoir ce qu’il s’est réellement passé le 18 octobre au soir au coin de Morgan Avenue et Miserol Street. Comment se fait-il que le chauffeur du camion qui l’a renversé ait continué son chemin sans s’arrêter? Comment se fait-il encore que ce dernier n’est pas été interrogé par la police avant plusieurs jours ou qu’il ait été innocenté si rapidement?
Depuis quelques semaines, les articles faisant état des manquements de la Police New Yorkaise sur cette affaire et de la mauvaise habitude de ces derniers à privilégier les automobilistes au détriment des piétons et autres vélocyclistes se multiplient.
Le 30 novembre, la mère de Mathieu Lefèvre et son frère Joël ont déposé au quartier général de la police une pétition de 2650 lettres réclamant justice et transparence.
Onze semaines après l’accident, ces derniers ont décidé de poursuivre la Police de New York pour qu’elle révèle enfin des éléments de l’enquête. En effet, le NYPD refuse obstinément de fournir des documents importants comme la vidéo de surveillance de la scène de l’accident, des photos, le rapport du coroner ou encore la déposition du chauffeur qui a affirmé n’avoir jamais eu conscience de l’accident.
Aujourd’hui Erika Lefevre, la mère de Mathieu est fatiguée et désespérée, cela fait trois mois qu’elle se bat contre un système qui lui ferme toutes ses portes. L’omerta est telle qu’en trois mois elle n’a presque pas réussi à obtenir de réponses et d’éléments de preuve. Erika cherche de l’aide et du soutien, vous pouvez l’aider et lui écrire à cette adresse : [email protected]
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Mathieu avait fondé avec quelques artistes joyeux et agités comme Vinh Truong, Catherine et Amélie Guérin, Mathieu Blanchette, Ziad Naccache, Mathieu Malouf, Ashley Wong, Ingrid Thompson, Chantal Musgrove, Simon Bilodeau et d’autres le Art Rulz, un collectif inspiré qui a réuni les talents des écoles d’art de Concordia et de l’UQAM entre 2004 et 2006. Le titre de ce texte y fait évidemment référence.
Si vous mettez la main sur la revue d’art ESSE (N0 74-savoirs faire, gratuit dans toutes les bibliothèques), vous pourrez lire un petit texte que j’ai écrit pour lui rendre hommage. En voici quelques lignes agrémentées de commentaires qui ont été coupé lors du processus d’édition de la revue.
« Réservoir d’idées intarissable, créateur irrévérencieux et drôle, Mathieu était sans contredit l’un des artistes les plus prometteurs de la relève Canadienne. Il avait 30 ans.
Ce que l’on retiendra de l’œuvre de Mathieu Lefèvre c’est dans la forme un amour de de la peinture et dans le fond une grande place pour l’humour et le comique. Mathieu aimait répéter que son travail était influencé par la dérision et l’humour slaptstick, un humour grossier et volontairement exagéré popularisé par le cinéma burlesque américain et personnifié par la figure de Buster Keaton. Des œuvres comme Hilarious Banana, Hilarious Rake (2010) et Action Painting (2010) qui représentent une banane et des râteaux faits de peinture à l’huile séchée et prêt à piéger le visiteur sont des clins d’œil exemplaires au genre.
[…]
Mathieu jouait et plaisantait avec le monde de l’art, il s’en moquait allégrement et tournait en ridicule les cachets, les collections, les galeries, les galeristes, les vernissages. À cet égard, on peut peut-être classer l’artiste dans la tradition de ce que Pierre-Michel Menger appelle « l’avant garde moqueuse et ironique »[1], avant garde qui englobe les artistes dans la tradition de Marcel Duchamp, de Dada et de leur successeurs : Schwitters, Cage, Warhol, Hirst, etc. Reniant la tradition classique qui faisait de l’art le moyen privilégié de s’élever au dessus du banal, ces artistes se sont amusés à le réduire au rang d’objet trivial, notamment en lui faisant subir les pires outrages.
Il faut rappeler, pour rendre justice à des artistes un peu trop passés sous silence, que la tradition moqueuse et ironique est antérieure à Duchamp et dada. En effet, c’est à la fin du XIXe siècle que l’on voit émerger les premiers avants gardes artistiques qui se signalent avec des œuvres résolument iconoclastes. Les clubs littéraires et artistiques comme les Incohérents, les Hydropathes, les Hirsutes, les Zutistes et autre Jemen-foutistes formaient autant de groupes humoristiques dont le but premier était de choquer le bourgeois. Ces artistes produisaient des œuvres à l’humour potache comme ces monochromes d’Alphonse Allais intitulés « Première communion de jeunes Filles chlorotiques par un Temps de Neige », et « Récolte de la tomate sur le bord de la mer Rouge par des cardinaux apoplectiques ». »
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En parlant d’art et d’humour, je vous présente Hennessy Youngman, aka Hen-Rock Allah, aka Henrack Obama, un jeune homme extrêmement talentueux qui donne des classes d’art intitulées Art Thoughtz où il bat en brèche les concepts de l’art contemporain avec un humour très décalé. Éxactement le genre de dérision que mathieu affectionnait. Je l’imagine en train d’en rire et ça me rend triste. Peace bro.
[1] Pierre-Michel Menger, Profession artiste, extension du domaine de la création, Paris, Textuel, 2005