L’écriture est souvent affaire de conjecture. Tiens prenons l’idée de cette petite palabre, j’étais en train de lire Charlotte before Christ d’Alexandre Soublière, je me disais que ce livre était un archétype de culture hispter, tant dans la forme que dans le fond ( style à la Ellis et références assumées à Lary Clark, etc ). No offense Alexandre, rien d’outrageous à ton sujet. Quelques minutes plus tard, Paule Makrous, que nous avons reçu hier à l’émission La Sphère à Radio Canada en compagnie de Myriam Daguzan Bernier, blogueuse sous le nom Ma mère était hispter annonçait via Twitter l’organisation d’une table ronde sur la posture Hipser à la librairie du Port de Tête, le 21 février.
Dans la description de la table ronde il est dit qu’une des intervenantes, Joëlle Gauthier situera la posture hipster dans la filiation de la beat génération. Elle fait bien. Cette conjecture me permet quand à moi de sortir des archives un vieux texte que j’avais écrit sur le sujet, de le dépoussiérer et de le compléter de quelques commentaires.
Une des premières théorisations du terme Hipster nous est donnée par Norman Mailer (1923-2007) dans un texte intitulé The white negro, sorte de bréviaire du Hip que le jeune écrivain publia en 1959. Ce cours texte est représentatif à bien des égards de la Beat génération et de ses velléités anticonformistes.
Beat generation
Menée entre autres par Burroughs, Ginsberg, Kerouac, Cassady, pour les plus connus, cette bohème littéraire et artistique a mis l’accent sur la déviance et l’ouverture à l’étranger, à l’exotique, à la différence. L’altérité et le voyage servent notamment de motifs à la recherche de soi. Paru en 1957, On the Road de Kerouac raconte le voyage à travers les Étas unis de jeunes outsiders qui décident de rompre avec la société conformiste pour vivre à contre-courant. Un an plus tôt, Allen Ginsberg, déployait des thèmes similaires dans son poème Howl.
The White negro est un texte qui est longtemps resté oublié. Il a été remis à la mode par les chercheurs qui se sont intéressés dernièrement à la genèse du mouvement hispter. Mailer y propose une lecture dichotomique de la société américaine à la lumière d’une opposition entre les « hipsters » (branchés) et les « squares » (caves). Les caves (squares), petits bourgeois blancs proprets et respectueux des valeurs morales, vivent dans une représentation du réel qui les astreint au conformisme, alors que les « hipsters » sont par essence rebelles et tentent de vivre dans la marge.
Outsiders
Comme les héros de la Beat generation, les hips que décrit Mailer sont des outsiders (comme les nommera 4 ans plus tard le sociologue Howard Becker), ils vivent dans l’insécurité permanente, et cette insécurité est la condition sine qua non de leur créativité.
Le principe n’est pas nouveau, il est même caractéristique des idées de la culture artistique tout au long du XXe siècle : la découverte de la nouveauté exige la lutte et la rébellion contre les puissances réactionnaires statiques et institutionnelles, la lutte contre l’ordre et les habitudes. Comme le rappelait J.Habermas, le passé est le symbole de la statique, de la sédimentation des habitudes, de la répétition des gestes alors que la vraie découverte du présent passe par l’acceptation de son effervescence et de sa contingence. Le moteur de la créativité est donc l’insécurité engendrée par la nouveauté qui s’affirme dans le présent et qui oblige les « hipsters » à s’engager perpétuellement dans l’action.
Une fascination pour l’homme noir
Ce qui est nouveau cependant, c’est la figure emblématique que prend l’homme noir pour une nouvelle génération d’intellectuels et d’artistes. Dans leurs écrits, ce dernier devient l’incarnation vivante d’un idéal de liberté, de nonchalance et d’hédonisme qui inspire le hipster. L’altérité radicale que constitue le negro dans la société américaine devient un modèle d’identification popur une jeunesse qui veut entrer en conflit avec l’ordre moral traditionnel.
Au-delà de Mailer, c’est donc toute la Beat génération qui idéalise le personnage romanesque du nègre. Tant chez Jack Kerouac
« Un soir de Lilas, je marchais, souffrant de tous mes muscles parmi les lumières de la vingt-septième Rue et de Welton, dans le quartier noir de Denver, souhaitant être un nègre, avec le sentiment que ce qu’il y avait de mieux dans le monde blanc ne m’offrait pas assez d’extase, ni assez de vie, de joie, de frénésie, de ténèbres, de musique, pas assez de nuit. » (Jack Kerouac sur la route)
Que chez Allen Ginsberg
“I saw the best minds of my generation destroyed by madness, starving hysterical naked,
dragging themselves through the negro streets at dawn looking for an angry fix,
angelheaded hipsters burning for the ancient heavenly connection to the starry dynamo in the machinery of night, who poverty and tatters and hollow-eyed and high sat up smoking in the supernatural darkness of cold-water flats floating across the tops of cities contemplating jazz,” (Allen Ginsberg, Howl)
Comme le souligne Dick Hebdige, « la culture et la musique noire fournissaient des valeurs anticonformistes qui, dans un contexte nouveau, permettaient de symboliser et de problématiser les contradictions et les tensions propres à la sous-culture juvénile [blanche] » aux états unis comme en Angleterre.
Fascination ne signifie toutefois pas réconciliation, malgré toute l’utopie que contient les écrits Beat la rencontre entre les jeunes noirs et les jeunes blancs ne s’est jamais faites dans les années 50 et 60, leur rébellion allant dans deux directions opposées. Pour les premiers, la liberté signifiait s’intégrer au système et acquérir les mêmes privilèges que la classe moyenne blanche (accéder à la consommation). Pour les seconds, elle signifiait rompre avec cette classe et rechercher le plaisir et la liberté dans la pauvreté et la bohème. Ce débat est encore cruellement d’actualité.
L’insécurité du présent
Le hipster, explique encore Mailer, partage avec le négro l’insécurité du présent ; comme lui il cherche à vivre de vraies sensations dans un monde pauvre et violent et essaie de renoncer aux plaisirs de l’esprit pour ceux immédiats du corps. « the hipster had absorbed the existentialist synapses of the negro, and for practical purpose could be considered a white negro. » Le hipster partage ce « principe d’insécurité » avec le dandy baudelairien qui refuse par principe l’attachement et la stabilité, valeurs propres au conformisme bourgeois. Le dandy préfère le détachement et la mobilité de la vie bohème, l’aventure et le risque.
Un existentialiste américain
Le hipster écrit encore Mailer est un « existentialiste américain », il a rompu avec la société, avec les racines, exploré les « impératifs rebelles du moi » et accepté l’insécurité « ontologique » : l’insécurité de la découverte de soi, de l’expérience. Ce rapport au temps rappelle Gilles Lipovetsky est aujourd’hui symptomatique de notre réalité. Selon ce dernier, nous vivons dans une époque où l’inquiétude du présent et de notre propre liberté individuelle devient fondamentale. Notre société valorise massivement la vie de l’instant, le carpe diem, au point d’avoir consacré l’attitude hédoniste comme valeur culturelle dominante.
Ce « héros contre-culturel » comme le désigne Mailer , vit ainsi dans un « présent énorme » qui est sans passé, ni futur, sans mémoire ni planification, ce qui le rend psychopathe, mais cette psychopathie n’est pas un mal, parce qu’elle lui ouvre les frontières de la perception et libère des prisons de l’habitude.
Le hipster possède en outre « le détachement narcissique du philosophe […] Il est un rebelle sans cause, agitateur sans slogan, un révolutionnaire sans programme, sa rébellion lui sert à satisfaire son goût pour lui-même. Toutes ses actions recherchent la satisfaction de ses désirs immédiats. » La morale prônée par N.Mailer est à ce propos particulièrement individualiste et hédoniste, elle se résume à l’adoration infantile et immodérée du présent, encore une fois, on voit à quel point ces thèmes, prophétiques à l’époque, désignent une réalité des branchés urbains.
Hédonisme moral
La morale du hipster est toute hédoniste et met l’accent sur une esthétique de soi qui se construit dans le flux quotidien, les rencontres, le moment. Il ne sert à rien de savoir si l’homme est bon ou mauvais, puisque ce dernier n’existe que dans l’instant : il est une collection de possibilités, perpétuellement ambivalent et dynamique. La seule morale consiste à ouvrir les limites du possible pour soi et de faire ce que l’on sent quand et où cela est réalisable.
La vie doit être une recherche continuelle du plaisir et notamment du plaisir sexuel. Ces besoins libidinaux sont plus que de simples pulsions, se sont des besoins orgiastiques qui dépassent toujours leur propre manifestation et finissent par attaquer la morale conventionnelle. Le noir fonctionne chez Mailer comme une figure paroxystique du corps désirant et comme une figure exemplaire pour manifester un retour du refoulé corporel dans la société bourgeoise.
Hip et hispter
Le Hipster de Mailer est anticonformiste, existentialiste, amoral, hédoniste et porté sur les sensations que son corps lui procure. On pourrait se demander si le hipster contemporain souscrit aux mêmes idéaux que son ancêtre, mais cela ne servirait à rien. En effet, ce n’est pas lui, mais bien toute la société qui se déclare aujourd’hui anticonformiste, existentialiste, un peu amoral et infiniment hédoniste.
Comment ne pas penser alors que les valeurs contre-culturelles, autrefois marginales, ont travaillé en profondeur notre société pour devenir des impératifs moraux de notre contemporanéité. L’hédonisme est une valeur aujourd’hui consacrée par la publicité alors que parallèlement le corps ne s’est jamais autant montré. Il n’y a plus une personne qui ne se déclare pas « un peu rebelle sur les bords.
Plus largement, on peut se demander quel sens donner au mot hipster dans un contexte où toutes les potentialités subversives semblent épuisées ? Son horizon est-il d’être le moteur créatif d’une économie qui met de plus en plus l’accent sur l’esthétisation de la vie quotidienne ? Le hipster est-il simplement une mode vestimentaire ? Le nègre blanc a t-il abandonné son côté nègre? Je laisse la question ouverte.
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Texte très interessant de Daniel Grenier sur le sujet
Deuxième table ronde étudiante Figura «Voix et formes du cool : réflexion sur la posture hipster» / suivi du lancement de Mnémosyne 3 et du Cahier Figura 28
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En passant et puisqu’on a un peu de temps pour jaser je vous invite à regarder ces deux vidéos, deux styles opposés, deux pièces incroyables. Envoyez moi vos suggestions.
Ani Up – Animated Gif Mashup from Evan Roth on Vimeo.
Je sais pas si Joëlle a lu ton texte (que je me souviens d’avoir vu passer sur AACAF, il me semble), mais je vais lui passer le lien immédiatement. Et à William aussi, pour qu’on soit tous un peu sur la même longueur d’ondes. On s’en reparle peut-être le 21!
merci
Decouvert les Beats a The Allen Ginsberg Project – http://ginsbergblog.blogspot.com/