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L’art convenu de la performance

J’ai une petite marotte, je collectionne, par pur plaisir mesquin, les textes de galerie les plus mal écrits ou ceux qui sont involontairement drôles. Cela est d’autant plus malsain et dangereux que j’en écris souvent moi-même et qu’on pourrait très bien m’appliquer la même médecine.

Lisez cette petite citation provenant du Musée d’Art contemporain par exemple :

 « Dzama transforme une imagerie en apparence arbitraire et saturée de nostalgie en une espèce de mythologie qui est attirante sur le plan esthétique (les œuvres sont belles), tout en interdisant une lecture trop simpliste. »

Quel bonheur attirant sur le plan littéraire (C’est bien écrit), tout en interdisant une lecture trop simpliste. On trouve le même genre de perles dans la presse écrite :

 “Et puis, pendant sa deuxième année d’université, un déclic se produit dans la classe de sculpture. Subitement, Valérie Blass découvre le bonheur tangible de pétrir la matière, de la mouler, de la tordre , de la sculpter avec ses mains et de faire surgir là, devant elle, une association folle, flyée, pas rap: un nuage en ciment. Deux contraires, deux contrastes. Une énorme collusion entre deux entités ennemies.[1]

C’est toutefois à travers ces textes d’exposition, de galerie et de critiques pleines de formules alambiquées que se révèle l’identité de l’art contemporain, son idéal type comme dirait le sociologue allemand Max Weber ou, plus prêt de nous, son code génétique, concept cher à Clotaire Rapaille, ancien consultant et faiseur d’image de la ville de Québec (on a les références qu’on mérite).

Dans ces textes, l’art contemporain est toujours décrit comme éclectique et hybride, métissé et impur, multiculturel et polymorphe, pluriel et incertain, individualiste et anticonformiste, irrévérencieux et cynique, sans oublier jamais, d’être interrogateur sur la société qu’il critique. Les travaux de Nathalie Heinich par exemple, ont montré que depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, l’art est devenu l’expression profonde d’une individualité anticonformiste et anticonservatrice qui s’oppose à l’ordre moral économique et bourgeois (réel ou fantasmé).

En parlant d’individualité anticonformiste et anticonservatrice, le 12 février dernier, l’artiste Zilon a donné toute une performance de peinture en direct, lors du lancement du 15e numéro de la revue Decover à l’église Ste Brigide, une performance que certains n’ont pas manqué de qualifier d’audacieuse. La voici.

 [Vidéo ici] 

Je vous mets au défi de ne pas sourire devant cette performance qui cultive la posture du rebelle et cumule, sans finesse, les clichés iconoclastes et anticléricaux de service.

On le sait, depuis plus de 120 ans, la pratique de l’art cultive l’indiscipline, la rupture avec les conventions, la révolte, la provocation et la réaction, etc. Je me demande toutefois ce qu’il y a de bien rebelle aujourd’hui à renverser un crucifix, faire un doigt d’honneur en signe de croix et dessiner un pénis sur la même croix en montrant son cul au public. En 1965 j’aurais capoté, aujourd’hui je soupire.

Y’a-t-il encore un enjeu à taper sur le christianisme, une religion en voie d’extinction en occident et qui n’a même plus assez d’adeptes pour trouver la force de condamner une telle performance? Cela revient vraiment à tirer sur une ambulance.

Excusez-moi aussi d’aborder une question morale, mais je trouve aussi un peu irrespectueux (mais juste un peu) à l’égard des croyants (dont je ne fais pas partie) de venir chier dans le lieu sacré qu’ils ont gentiment prêté pour l’événement. Règle première de l’humanité : don’t shit where you eat. Pas sûr enfin que Zilon aurait été aussi véhément avec les symboles d’autres religions. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

De la vidéo, j’aime aussi beaucoup le jeu caricatural de l’artiste perdu dans la profondeur où l’a plongé sa propre introspection artistique. Solitaire, le visage grave, il arrive sur scène avec son sac comme seul patrie, il cogite puis se jette sur la toile, et livre l’essence brute de son talent, sans filtre. Toute la violence du geste artistique. À la fin du processus, l’artiste brandit son œuvre tel le prêtre brandit son ostie à la foule.

On aurait pu croire l’artiste seulement antireligieux, il est aussi iconoclaste et rejette d’un même revers de la main la sacralité de l’art en jetant sa propre création au sol. Puis il feint de quitter la scène.

Quelques instants plus tard, il revient, ramasse son œuvre et va se faire prendre en photo avec. Se trouvant un peu incohérent, il éprouve le besoin de réaffirmer sa posture contestataire en faisant un énième fuck you au photographe (qui aime ça comme tous les photographes).

N’oublions pas qu’aujourd’hui l’artiste est plus qu’un créateur, c’est un metteur en scène de sa propre intention créatrice. Pas étonnant dans ce contexte que la posture compte autant que l’oeuvre; l’œuvre n’est que le témoignage matériel d’une démarche personnelle.

Toute l’histoire de l’art contemporain  raconte en somme la même chose : ce que Nathalie Heinich a résumé comme la transition d’une négation de la tradition à une tradition de la négation.[2] Je vous laisse méditer là-dessus en vous faisant un gros fuck you.

 


[1] Nathalie Petrowski, La Presse, Valérie Blass : Le mélange des genres, 8 janvier 2011

[2] Heinich, N. (2005). L’élite artiste : excellence et singularité en régime démocratique. Paris, Gallimard. p 118