BloguesInternet vernaculaire

Banaliser la sexualité, et alors?

Sexe, mort et sacrifice dans la religion mochica - Exposition au musée du Quai-Branly

Je voulais revenir sur cette histoire de fellations ou de fausses fellations perpétrées par de jeunes adultes dans un club de la rive nord. Le 16 février dernier, pendant des sex-partys organisées au Fuzzy de Laval, des jeunes femmes ont mimé une fellation sur un dildo tenu par un homme (à la hauteur réglementaire) afin de gagner une bouteille de mousseux. Pour un prix aussi dérisoire, je n’aurais même pas donné mon code postal, il faut croire que certains avaient soif.

L’histoire n’est plus très fraîche certes, mais il y a quand même beaucoup de choses à dire; pas sur les actes en eux-mêmes, ils sont d’une banalité patoisante, mais bien sur les discours et les commentaires des parangons de vertu que nous sommes. Petit florilège des commentaires que vous avez lus 1000 fois et que vous relirez 1000 fois.

C’est dégradant pour la femme.

Faux, c’est humiliant pour les deux. L’homme n’a pas ici une position plus enviable que celle de la femme, il devrait éprouver la même honte, même si dans le fond, il n’y a rien de bien grave à mimer une fellation. Alors pourquoi toujours pointer du doigt la femme? Est-elle plus ici la victime que l’homme d’un jeu pas très subtil organisé par des bipèdes décérébrés? L’a-t-on forcé à se mettre à genoux pour une bouteille de mousseux? Si l’on voit dans cette scène qu’un abaissement de la femme c’est déjà qu’on la considère d’un point de vue inégalitaire et asymétrique : la femme serait ontologiquement et essentiellement soit une victime, soit la garante de la morale et de la vertu.

On ne verrait jamais un homme dans la position inverse en train de faire un cunnilingus à une femme.

Faux, mais si cela arrivait, on prononcerait exactement la même critique qu’à l’endroit de la fellation, c’est-à-dire qu’on trouverait ça tout autant dégradant pour la femme. Pourquoi? Parce qu’on ne peut penser la femme en dehors de ces deux registres qui sont celui de la victime et celui de la vertu alors que l’homme occupe celui de l’hédonisme sans avoir à se préoccuper de sa vertu.

l’exemple qui met merveilleusement en lumière dans quelle position on enferme généralement la femme sexuelle est celui du trip à trois. Quand une femme dans le cadre d’un film pornographique (ou autre) a une relation sexuelle avec une autre femme et un homme en même temps, on dénonce immédiatement l’image de ses deux femmes soumises à la virilité du surhomme. Inversement quand une femme fait l’amour avec 2 hommes, on dénonce aussi immanquablement l’image de la femme soumise. Étonnant non? Pourquoi cette asymétrie? Ne devrait-on pas faire de cette femme capable de s’occuper de deux corps une surfemme ? Pourquoi n’emploie-t-on jamais le mot surfemme ?

Parce que malheureusement, pour beaucoup d’entre nous et particulièrement celle et ceux qui entendent les défendre, les femmes doivent absolument être des victimes ou des saintes. Et bien tant qu’elles accepteront cette position, elles le seront.

Les jeunes sont pires qu’avant, cela est dû à l’hypersexualisation. 

Faux, faux, faux! Voilà l’argument à la mode qui fonctionne comme un argument d’autorité sans qu’on ait vraiment pensé à vérifier sa validité. Tous les troubles adolescents seraient aujourd’hui causés par l’hypersexualisation, tous sans exception. Pourtant, quand on s’attarde aux chiffres et non aux rumeurs de cours d’école, comme l’on fait Martin Blais, Sarah Raymond Helène Manseau et Joanne Otis de l’université du Québec à Montréal[1] on observe plusieurs variables intéressantes qui viennent casser un peu le grand mythe de l’hypersexualisation :

1)    Les jeunes ne font pas leur entrée plus précocement dans la vie sexuelle érotique (au Canada, l’âge médian du premier rapport sexuel se situait tant en 1980 qu’en 2000 à 17 ans)

2)    Cette entrée dans la vie sexuelle se fait dans 71,4 % des cas pour les filles dans le cadre d’une relation amoureuse.

3)    La sexualité n’est en aucun cas banalisée chez les adolescents, leurs justifications apparaissent même plutôt conventionnelles (l’amour pour plus de 60 % des filles)

4)    Les activités sociales explicitement sexualisées ne s’appliquent qu’à une petite minorité de jeunes et pour la majorité d’entre eux il s’agit d’évènements isolés.

5)    Oui, les corps explicitement sexualisés sont plus présents dans l’espace médiatique que les années précédentes et cela est en grande partie dû à l’accès à internet.

Ce qui nous amène donc au constat qu’il y a peut-être plus de représentations sexualisées et plus de gestes spectaculaires, mais que cela ne signifie en rien que les jeunes son pires que la génération précédente. Même s’ils existent, les concours de pipes dans les toilettes sont très, très marginaux et font plus partie de la mythologie urbaine que du quotidien adolescent.

On banalise la sexualité, ce qui lui ferait perdre son côté intime et personnel.

Oui c’est vrai et alors? Où est le problème ?  Peux-tu nous laisser tranquilles avec ton caractère sacré de la sexualité? Il n’y a rien de sacré à mettre un pénis dans sa bouche puis dans son entrejambe. Il y a parfois de l’amour, mais ça, c’est autre chose.

Les moralistes de ce monde et certain(e)s sexologues à la mode (qui font pas mal d’argent en propageant le mythe de l’hypersexualisation; amenez-lui vos ados hypersexuées pour consulter…) bâtissent leur discours autour d’une double représentation de la sexualité : une sexualité bonne quand elle s’accompagne de relations amoureuses et une sexualité pervertie quand elle est sans attache et sans amour.

Dans les deux cas, le sexe est conçu comme une réalité psychique mystérieuse et potentiellement dangereuse. Au cœur de cette représentation, la confusion entre le sexe et l’intégrité psychique de la personne, la confusion entre sexualité et intimité qui sous-entend que notre sexualité serait ce qu’il y a de plus intime en nous.

Le problème dans tout ça? Ces préceptes ne s’appliquent presque qu’aux filles, encore est toujours. On l’a dit, on le répète, la femme dans son for intérieur doit être la gardienne de la morale. Et si une grande partie de l’inégalité des sexes reposait dans ces représentations idéales et morales que l’on projette, en pensant les protéger, sur le corps et l’intimité de la femme?

Il serait peut-être temps de désacraliser nos sexualités.

Lèche-moi salaud.

 

 

 

 

 

 


[1] Martin Blais, Sarah Raymond Helène Manseau et Joanne Otis La sexualité des jeunes Québécois et Canadiens. Regard critique sur le concept d’« hypersexualisation », Revue Globe, 2009, vol. 12, no 2