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Sondage et manipulation?

Le Sondage CROP La presse révélé samedi 19 mai dans La Presse a alimenté un climat politique déjà délétère et ravivé la suspicion qui entoure les médias québécois depuis le début du conflit. À l’extrême droite, on reproche à ces derniers d’être naturellement de gauche et de défendre les étudiants, alors qu’à l’extrême gauche on en fait les organes de manipulations du gouvernement et des puissants.

Le Sondage CROP La presse qui révèle que la population québécoise appuie massivement la décision du gouvernement Charest de recourir à une loi spéciale a en effet de quoi surprendre et plusieurs personnes ont, avec raison, soulevé plusieurs questions concernant sa méthodologie plus qu’approximative : méthodologie non probabiliste, question portant sur un texte qui était encore inconnu du public, échantillon plus ou moins représentatif, etc. La rédaction de la Presse a d’ailleurs dû s’expliquer devant ces biais méthodologiques et justifier un sondage qui provoquait un certain malaise y compris dans la salle de presse.

Pour certains défenseurs de la cause étudiants, ce sondage était la preuve que La Presse était un organe de Presse inféodé au Parti libéral et que les résultats avaient été instrumentalisés pour donner raison au pouvoir en place. On a très vite fait de faire l’équation entre Paul Desmarais, propriétaire de La Presse, et le parti libéral auquel ce dernier a versé de 1998 à 2009, 30 000 $.  Paul Desmarais aurait ainsi dicté ce sondage pour aider un allié politique.

Pourquoi pas ? Ça s’est déjà vu ailleurs.  Le sociologue Pierre Bourdieu voyait déjà dans la construction de l’opinion publique par les médias de masses un moyen de contrôle et de manipulation des individus au profit d’intérêts politiques :

« Les problématiques qui sont proposées par les sondages d’opinion sont subordonnées à des intérêts politiques, et cela commande très fortement à la fois la signification des réponses et la signification qui est donnée à la publication des résultats. Le sondage d’opinion est, dans l’état actuel, un instrument d’action politique ; sa fonction la plus importante consiste peut-être à imposer l’illusion qu’il existe une opinion publique comme sommation purement additive d’opinions individuelles ; à imposer l’idée qu’il existe quelque chose qui serait comme la moyenne des opinions ou l’opinion moyenne. L’« opinion publique » qui est manifestée dans les premières pages de journaux sous la forme de pourcentages (60 % des Français sont favorables à…) »

La fonction de cette opinion publique explique encore  Bourdieu « est de dissimuler que l’état de l’opinion à un moment donné du temps est un système de forces, de tensions et qu’il n’est rien de plus inadéquat pour représenter l’état de l’opinion qu’un pourcentage.[1] »

Le sondage d’opinion ne servirait finalement qu’à « constituer l’idée qu’il existe une opinion publique unanime, donc légitimer une politique et renforcer les rapports de force qui la fondent ou la rendent possible. » Sa raison d’être ne serait que d’encourager les professions « para politiques » comme les journalistes et les chroniqueurs à imposer la vision du monde des puissants en interprétant ce que veut le peuple. Le sondage d’opinion serait  une prophétie auto-réalisatrice.

Cette thèse est intéressante, mais son grand défaut est de tout expliquer par les intérêts politiques et de sous-entendre qu’il existerait une sorte de plan rédigé par les puissants pour manipuler l’esprit des simples citoyens. Reste que selon nombre d’observateurs, Paul Desmarais ne dicte pas la politique éditoriale de La Presse. À cet égard, la réponse au pourquoi d’un tel mauvais sondage réside peut-être moins dans l’influence d’un homme que dans la concurrence que se livrent La Presse et Le Journal de Montréal et leurs instituts d de sondages respectifs CROP et  Léger Marketing-QMI pour fournir à la population des sondages presque en temps réel. Pour informer les lecteurs et tenter de donner le pouls de la population le plus vite possible, les instituts de sondages réduisent au maximum leurs délais et donc accentuent le risque de biais méthodologiques. Le culte des chiffres au détriment de la représentativité des échantillons.

 

 


[1] Bourdieu, l’opinion publique n’existe pas, http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/questions/opinionpub.html