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La crise des partis politiques

Le roman-savon à saveur politique et en plusieurs chapitres qui est en train de s’écrire sous nos yeux au Parti québécois (PQ) cache un malaise encore plus profond, qui touche presque toutes les scènes politiques des démocraties occidentales.

Pour le moment, ce sont les départs fracassants, les rumeurs de putsch (la x-ième tentative de Gilles Duceppe de faire le saut sur la scène québécoise et autant d’échecs), les nouvelles recrues (Daniel Breton en est une de qualité pour le PQ…) qui ont dominé le discours des analystes de tous genres. Ce qui a fait dire à certains que la «saison» du PQ est plus passionnante que celle du Canadien de Montréal… Bien sûr la crise au PQ est une crise existentielle et un changement de chef ne la résoudrait pas. Après un double-échec référendaire (on garde le langage du hockey…), que doit proposer le PQ? (Lisez à cet effet le papier que proposait Simon Jodoin récemment en puisant chez Max Weber les notions d’éthique de conviction et d’éthique de responsabilité).

Mais je tenais ici à attirer votre attention sur ce qu’il y a de plus profond derrière ce spectacle pas toujours édifiant (qui pensez-vous a coulé l’information sur la rémunération du Directeur-général du Bloc sous Gilles Duceppe?) des querelles intestines qui sévissent au PQ.

Ce qu’il y a derrière ce «bruit», c’est une double crise qui affecte presque tous les partis politiques occidentaux.

1- Une crise de légitimité: Partout, on questionne la fonction que doivent jouer les partis politiques en démocratie. Plusieurs disent qu’ils ne réussissent plus à répondre aux revendications des citoyens. Nos démocraties se sont pourtant construites sur le concept de «représentation des intérêts» qui devaient justement être agrégés par les partis politiques. Or, le discours dominant aujourd’hui accuse les partis d’usurper la démocratie et d’agir en fonction de leurs intérêts propres, particuliers. Comme s’ils étaient devenus des clubs sélects au service d’une élite privilégiée.

Il faut dire que l’actualité politique d’ici et d’ailleurs renforcent cette impression. Au Québec, le Parti libéral semble être devenu sous le leadership de Jean Charest une machine à collecter de l’argent qui détermine ses priorités en fonction des contributeurs du parti: postes de ministres et de juges, permis de garderies, construction de routes et de barrages, exploitation des ressources naturelles… Toute l’activité gouvernementale semble inféodée au financement du parti…  Aux USA, ce mal est exacerbé et illustré par le Parti républicain qui maintient son hostilité aux hausses d’impôts des plus nantis de la société dans un contexte de crise de l’emploi et des finances publiques, ce qui le fait apparaître comme un club au service des puissants. Et pour recueillir des appuis dans les couches plus modestes, il courtise les plus bas instincts de la société:  intolérance, racisme, mensonge et omissions, campagnes de salissage, etc.

Donc, c’est une crise de légitimité qui affecte les partis. Ils ont de moins en moins de membres, de moins en moins de votants, ils représentent donc de plus en plus une portion congrue de la société. Le Parti conservateur de Stephen Harper est même devenu un des rares partis au pays à avoir une base militante active. Mais pour gagner sa majorité parlementaire, il a fallu qu’il grappine ici et là des comtés en courtisant des électorats ciblés: les fondamentalistes chrétiens, les nouveaux arrivants hostiles aux mariages gays, les électorats pro-Israël, etc. C’est la stratégie de la «wedge politics», une façon de se construire une majorité en alimentant des débats polarisants pour lesquels des minorités agissantes sont prêtes à se mobiliser. Nous y reviendrons puisque c’est une piste empruntée par plusieurs politiciens (Harper, W. Bush, Sarkozy…) qui cherchent à remédier à la crise que je suis en train d’exposer.

Pour remédier à cette crise de confiance envers les partis, certains en appellent même à leur abolition… Idée attrayante mais irréaliste. Car abolissez les partis et ils se recréeront au fil du temps. Les députés de mêmes sensibilité idéologiques se réuniront et mettront leur ressources en commun pour favoriser leur réélection… En fait, c’est la démocratie représentative qui est questionnée par ce déclin des partis. C’est pourquoi on se met à proposer des mesures de démocratie directe: référendums d’initiative populaire, droit de révocation des élus, etc. Nous reviendrons un jour sur ces questions, mais il importait ici d’insister sur le fait que ces avenues deviennent attrayantes justement parce qu’on ne croit plus en la capacité des partis politiques d’agir au nom du peuple…

Une vieille querelle intellectuelle à propos des fondements mêmes de la démocratie réapparaît alors. Qui devrait être le dépositaire de la souveraineté en démocratie? Le Parlement ou le peuple? Ce débat est incarné par des philosophes politiques comme Edmund Burke (1729-1799) qui semblait favoriser le Parlement comme instance suprême du pouvoir politique, alors que Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) favorisait le peuple… Démocratie représentative et démocratie directe. La typologie évoquée précédemment réapparaît.

Chose certaine, puisque les partis sont de moins en moins capables de représenter le peuple, il nous faut ouvrir le chantier des réformes démocratiques et favoriser un changement de culture politique chez nos élites comme chez les électeurs. Une première mesure semble  faire consensus, c’est la réforme du mode de scrutin pour introduire plus de proportionnalité dans le résultat des élections. Un modèle de scrutin mixte compensatoire avait d’ailleurs fait l’objet d’un avant-projet de loi en 2005, avant qu’il ne soit étouffé, sans doute par des députés qui craignent de changer un modèle qui a contribué à les faire élire…

2- Le deuxième volet de la crise qui touche les partis politiques est une crise de leadership. On le voit au PQ comme au Parti républicain américain. Si le chef plaît à la base militante peu nombreuse mais bruyante, il déplaît à la majorité de l’électorat et lorsque le chef cherche à se positionner de façon à convaincre un électorat plus large, il s’attire les foudres de sa base et son leadership est fragilisé. Ce sont les difficultés actuelles de Pauline Marois et de Mitt Romney qui, pour concilier ces pressions contradictoires, ont tous deux adopté un discours et des politiques qui les ont fait apparaître comme des politiciens arrivistes, opportunistes et manipulateurs… Ces tensions guettent également Barack Obama qui a déçu une partie de sa base électorale de 2008 par sa trop grande timidité politique, timidité qui s’explique aussi par des calculs électoraux.

Cette crise de leadership est en fait largement causée par un manque de courage. Nos politiciens contemporains (Jean Charest est peut-être le champion en cette matière) définissent trop souvent «leur vision» et leurs projets à l’aide de conseillers en communication, d’enquêtes d’opinions et de «focus groups» au lieu d’avoir le courage de proposer et d’expliquer ce qu’ils entendent réaliser. Il est certain qu’afficher ses convictions et expliquer son projet est plus exigeant et plus risqué, mais j’ai la naïveté de croire que nous sommes en fait affamés de politiciens qui oseront avoir confiance en l’intelligence du peuple.

C’est ce qui m’avait flabergasté chez le Barack Obama de 2008. Un homme qui osait parler un langage soutenu, qui prenait le temps de répondre aux questions posées et autrement que par des slogans. Un homme qui osait même parfois disserter pendant près d’une heure pour expliquer comment le racisme s’était immiscé tant dans l’histoire américaine que dans sa fibre familiale

Chez nous, c’est l’absence de leaders qui croient en l’intelligence des électeurs qui me déprime. C’est ce triomphe du discours formaté et de l’image construite. C’est cette victoire continuelle du calcul stratégique sur ce qu’exige un débat public de qualité. Comme disait Dominic Champagne: «Tout ça m’assassine