Le bédéiste d’origine québécoise Guy Delisle vient de remporter un prestigieux prix au Festival d’Angoulème pour ses Chroniques de Jérusalem, publiées récemment. Ce prix me donne l’occasion de revenir sur mon billet précédent qui a suscité plusieurs réactions, certaines épidermiques et peu nuancées, sur mes positions supposément pro-Israël ou encore anti-iraniennes… Je ne suis ni l’un ni l’autre, ni l’inverse…
1- Commençons par un court compte-rendu des Chroniques de Guy Delisle… Il s’agit d’une sorte de récit autobiographique du séjour de l’auteur en Israël et dans les territoires occupés avec sa famille (sa femme travaillait pour Médecins sans frontières) durant l’année 2008. Ce qui frappe, c’est la finesse du propos et la force de certaines images révélées par ses observations du quotidien de l’occupation israélienne ou de la vie de certains quartiers de Jérusalem…
Par exemple, l’enfer des nombreux checkpoints israéliens et l’extraordinaire patience des Palestiniens devant cette guerre qui leur rend la vie impossible. Ou encore, l’aveuglement et la radicalisation de certaines couches de la société israélienne pour qui les Palestiniens ne méritent que la déportation ou le «transfert» vers les pays voisins… Subtilement, Delisle remarque comment ce radicalisme peut glisser vers le mal le plus abject: il évoque par exemple avoir vu sur le mur de séparation l’inscription «Arbeit Macht frei» (le travail rend libre), ce message fort évocateur qui était inscrit à l’entrée du camp d’Auschwitz…
Ceux qui ont une vision manichéenne de ce conflit devraient lire Guy Delisle. Sa lecture du conflit est originale, souvent anodine en apparence, mais fort évocatrice. Sa démarche est moins journalistique que celle d’un Joe Sacco par exemple, mais une vérité profonde ressort des ces chroniques: les sociétés israéliennes et palestiniennes sont pleines de contradictions et la colonisation des territoires palestiniens par Israël est un véritable cancer pour les Palestiniens bien sûr, mais également pour Israël…
2- Ce qui m’amène à répliquer à mes détracteurs qui, en lisant mon papier précédent, m’ont accusé d’avoir une position pro-israélienne sans nuance. Ce n’est pas la première fois que l’on m’accuse d’avoir un parti-pris dans ce conflit, mais plus souvent qu’autrement, les accusations étaient inverses: on me traitait d’ennemi d’Israël ou de complice des «terroristes» lorsque je critiquais certaines positions et actions de l’État hébreux. On comprend donc qu’il y a malheureusement peu de place pour la nuance sur ce sujet. Et cela est effectivement malheureux, car la grande majorité des deux peuples directement mis en cause ici, les Palestiniens et les Israéliens, recherche une vie normale et désire la coexistence pacifique. On connaît même les «contours» d’une paix possible, mais celle-ci demeure kidnappée par ce que j’appelle souvent «les minorités de blocage» de part et d’autre: le mouvement des colons israélien et les groupes terroristes palestiniens…
J’ai moi-même traversé cette région pendant plusieurs mois de l’année 1994, tant en Israël qu’en Palestine occupée. L’époque était pourtant à l’espoir. J’ai assisté au premier défilé de la police palestinienne dans une Jéricho «libérée» en 1994. Le processus d’Oslo était enclenché et on entrevoyait la possibilité de deux États, avec Jérusalem comme double-capitale… Et puis, progressivement, les «minorités de blocage» des deux côtés se sont activées: poursuite de la colonisation des territoires palestiniens par Israël; attentats-suicides dans les cafés de la gauche en territoire israélien… Le processus de paix éclatait sous mes yeux. Je me rappelle avoir vu des photos de Yitzhak Rabin – le 1er ministre israélien de l’époque, négociateur de la paix d’Oslo – la moustache hitlerienne dessinée sous le nez… Quelques mois plus tard, il était assassiné par un jeune juif qui le traitait de traître pour avoir négocié avec les Palestiniens.
On comprend donc que ce conflit est surtout bloqué par des minorités radicales qui ne veulent rien partager de cette terre qu’ils considèrent la leur. Et ce blocage est alimenté par plusieurs pays (les pays voisins d’Israël, mais les USA et le Canada aussi) qui trouvent un intérêt à ne pas le résoudre.
Pourtant, il me semble que ces deux peuples ont le droit de réclamer leur part de la Palestine historique… Le problème aujourd’hui, c’est qu’Israël a réussi à gagner son indépendance, mais sous le couvert d’un droit à l’existence qu’on lui refuserait, ce pays est en train de pratiquer une politique d’expansion et d’annexion territoriale illégale aux yeux du Droit international et immorale aux yeux de la philosophie politique et d’un simple principe d’humanité. Ce sont maintenant les Palestiniens à qui on refuse le droit d’exister.
Nous en sommes là. Nous en sommes las.
C’est pourquoi, comme citoyens sensibilisés à cette triste guerre, j’en appelle à tous ces commentateurs sans nuances des deux côtés: n’alimentez pas les minorités de blocages (terroristes et colons) par vos interventions sur le sujet. Pouvez-vous au moins chercher à vous déprendre du manichéisme niais qui domine le discours sur cette région du monde et vous rendre compte que, pour paraphraser Primo Levi, si le Palestinien est un homme, si l’Israélien est un homme, ils ont le droit d’exister en paix.
CHAPEAU
Je suis à même de terminer la lecture des Chroniques de Jérusalem et l’article ci-haut résume bien le sentiment d’être «assis sur la clôture» en ce qui a trait au conflit israélo-palestinien. La lecture de cette excellente BD de Guy Delisle nous aide bien sûr à mieux comprendre la situation et sa complexitude mais nous laisse difficilement entrevoir des solutions viables et constructives.
Très intéressant, merci.