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Ça commence un 22 du mois…

Le 22 mars prochain, il y a à Montréal une manifestation nationale contre la hausse des droits de scolarité. Tous les étudiants et leurs alliés devraient converger dans la rue pour réclamer le gel ou la gratuité. Je ne milite pas pour la gratuité, mais pour une éducation de qualité à bas coût pour tous. La plus grande accessibilité, sans cet objectif d’absolue gratuité. Je me rallierais sans doute au statu quo actuel, surtout si on instaurait des mesures pour réduire l’endettement étudiant : un remboursement proportionnel au revenu à la diplomation par exemple… Mais je suis solidaire des grévistes étudiants, parce que je trouve que leur revendication nous interpelle plus largement.

En effet, au-delà de l’éducation et du coût individuel que chacun doit assumer pour «trouver sa vocation», il y a tout plein de questions de société qui sont soulevées par leur grève: Quelle est la mission de l’État? Comment assurer une plus grande justice pour tous? Quels services publics doivent être universels et gratuits? Comment financer ces services publics? Comment mieux surveiller l’administration des fonds publics? Etc.

Et je crains que leur combat ne tombe dans l’indifférence ou la diffamation… Denise Bombardier les qualifie presque d’enfants gâtés, et le gouvernement comme les forces policières serviles les traitent en terroristes ou en violents délinquants juvéniles… Ce qui plaît à plusieurs médias et à certains babyboomers nostalgiques mais méprisants de ce qu’ils ont déjà été…

Où sont les alliés des étudiants? Ils ne sont pas encore dans la rue. Espérons que plusieurs se joignent à eux le 22 mars prochain. Au-delà des droits de scolarité, la question des secteurs essentiels de l’État qui doivent échapper à la logique marchande, comptable, individualisante et instrumentale est posée par les étudiants.

Partout, nos gouvernements orientent la recherche en fonction d’impératifs commerciaux, fragilisent les vraies formations qualifiantes : par exemple, le DEC de plusieurs techniques est vampirisé par des mutuelles de formations privées ou par des DEP administrés par les Commissions scolaires. Sans compter les Universités qui entre elles, se vampirisent également… Nous adoptons de plus en plus une conception de l’éducation axée sur le présent immédiat : impératifs du marché du travail et «meilleure compréhension des défis de notre temps»… comme si tout ce bagage de connaissances et de savoir hérité d’hier ne nous était plus «utile»… Pourtant, le savoir à transmettre doit être plus large et plus profond qu’utilitaire et immédiat. Il doit forger des citoyens libres et capables d’exercer leurs capacités critiques.

Écoutez les leaders étudiants, Gabriel Nadeau-Dubois de la CLASSE et Léo Bureau-Blouin de la FECQ, et vous ne rougirez pas à entendre une jeunesse articulée qui nous met au défi de mieux penser notre société plutôt que de simplement s’arrimer au modèle anglo-saxon d’une éducation comme bien personnel dans lequel «investir» (en s’endettant).

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Puis, le 22 avril qui vient, c’est le Jour de la Terre et c’est la date choisie par Dominic Champagne pour que nous prenions la rue et commencions à «faire notre printemps». Il s’agit de se réunir en grand nombre (plus de 150 000 svp!) pour protester contre le retrait du Canada de Kyoto; témoigner de notre inquiétude et de notre insatisfaction face au «développement» du Plan Nord, exercer une pression publique claire pour que nous nous assurions que nos politiques énergétiques et l’exploitation de nos ressources se fasse de façon démocratique et respectueuse des impératifs environnementaux.

Ces deux 22 ne sont pas des armes à feu, mais ce sont des armes tout-de-même. Ces dates doivent être marquées au fer rouge dans nos consciences. Il faut commencer à réapprendre à prendre la rue. Cliquer «j’aime» ne suffit plus.

Nos gouvernements à Ottawa comme à Québec sont liés à des industries puissantes et néfastes, qui corrompent l’esprit de nos dirigeants et affaiblissent toutes nos institutions. Il nous faut protester clairement contre ces dérives destructrices. Les pétrolières canadiennes et étrangères, les compagnies minières, les firmes d’ingénierie, les compagnies de béton sont en train de pervertir tous nos choix de société :

  • Au Québec, nous nous lançons tête baissée (et cul baisé) dans l’exploitation des gaz de schiste et du pétrole, après avoir «liquidé» l’exclusivité d’exploitation que l’État québécois avait sur ses gisements les plus prometteurs…
  • Notre gouvernement «national» (plutôt provincial dans toutes les acceptions du terme) propose un Plan Nord héritier d’une vision duplessiste mais formatée par des conseillers en communication qui parodient niaiseusement George Orwell, sans le connaître par ailleurs…
  • Nos grandes institutions vont à contre-courant : la Caisse de dépôt investit massivement dans les sables bitumineux et Hydro-Québec bâtit des barrages hydroélectriques qui détruisent des milieux rares et exceptionnels à un coût de production plus élevé que le prix de vente de l’électricité produite, et ce, au détriment du développement d’une expertise plus prometteuse, plus porteuse et à plus faible coût (Voir Chercher le courant).
  • Les libéraux de Jean Charest construisent des autoroutes et des infrastructures routières qui répondent à la logique des années 1960 : primauté accordée à l’automobile, raboudinages incohérents du réseau de transports en communs…

Comme si on ne savait pas que la principale raison qui détermine ces choix disgracieux réside dans la corruption endémique du processus décisionnel mis en place à Québec au premier chef, mais aussi à Montréal, Ottawa et ailleurs. Les firmes d’ingénieurs et les compagnies de béton financent le parti au pouvoir; en échange, ce dernier leur fait prendre le contrôle des différentes orientations gouvernementales, du plan stratégique à la rédaction des appels d’offre jusqu’aux faiseurs d’ouvrages (et à Montréal, c’est même la carte électorale qui est confiée au privé…).

ET si à Ottawa, une telle corruption se fait aussi, et à plus grande échelle dû à l’ampleur des montants impliqués, c’est la corruption de l’esprit des gens qui nous dirigent de là-bas qui inquiète le plus : prêts à tout pour arriver à leurs fins, c’est-à-dire prendre le pouvoir, transformer le visage du pays en élimant la démocratie canadienne.

Et pour ceux qui doutent de l’utilité des manifs, rappelez-vous seulement les deux manifs successives que les Québécois ont tenues contre la guerre d’Irak, en plein hiver 2003. Ces manifs ont rassemblé chaque fois plus de 200 000 personnes.  Elles ont clairement été un facteur prépondérant dans le fait que le premier ministre Chrétien ne lance pas le Canada dans cette folle aventure, coûteuse sur tous les plans, que fût la guerre d’Irak.

Le pouvoir de la rue existe. Le printemps arabe nous l’a rappelé dans des conditions pas mal plus difficiles. Notre printemps à nous s’annonce plus festif, mais non moins nécessaire.

Alors, le 22 avril prochain, amenez vot’peau et 2 de vos amis. Marchons. Notre printemps québécois se lève.