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La politisation de la police

Ceux et celles qui sont capables de se sortir du leitmotiv débilitant de nos «faiseurs d’opinion» méprisants à l’égard de la jeunesse qui se lève ont compris depuis longtemps que le gouvernement Charest a décidé de briser le mouvement étudiant.

Sa stratégie actuelle est de lier le carré rouge à la violence et l’intimidation ou d’associer ceux et celles qui le portent à des partisans du désordre… La ministre de la culture Christine St-Pierre s’est d’ailleurs à moitié excusée pour ses propos démagogiques et malveillants à l’égard de ceux qui portent le carré infâme… Le premier d’entre tous les malveillants, M. Charest, n’arrête pas d’accuser Pauline Marois d’arborer le carré rouge comme si c’était l’emblème du fascisme… Ce discours semble même être au cœur de la stratégie électorale du Parti libéral

Le problème est que cette stratégie commence à prendre l’eau: elle s’apparente à celui qui condamne ce qu’il alimente. On appelle ces gens des «pompiers pyromanes». Leurs tactiques ont malheureusement l’odeur des extrêmes politiques qu’ils condamnent. Et leurs outils pour arriver à leurs fins – gagner les élections sur le thème de la peur et de l’ordre à restaurer – s’inspirent des pires régimes politiques de l’histoire.

L’outil le plus dommageable du gouvernement Charest dans ce plan malsain est la loi spéciale, qui laisse aux corps policiers un pouvoir immense pour interpréter et mettre en application plusieurs dispositions de cette loi dangereuse pour nos libertés fondamentales. Avec cette loi, on fait reposer sur les corps policiers une responsabilité qu’ils assument très mal dans les circonstances.  De gardiens de l’ordre, un trop grand nombre de policiers ont glissé vers la guerre et ont choisi leur camp : ils sont contre «ces crottés» d’étudiants. Le langage ordurier des policiers, leur violence démesurée, leur usage abusif et inadéquat du matériel à leur disposition ne font qu’envenimer ce conflit. Cela illustre peut-être aussi que les dirigeants de nos corps policiers ont actuellement abandonné leur mission fondamentale : assurer l’ordre et la sécurité. Ils ont au contraire choisi de servir l’ambition d’un gouvernement corrompu qui rêve d’écraser sa jeunesse.

C’est plus que triste. C’est inquiétant. C’est notre rapport aux fondements mêmes du politique qui sont affectés par ce glissement vers l’État policier. La conception dominante de l’État depuis Thomas Hobbes (1588-1679) est qu’il est le détenteur du monopole de la violence légitime: il serait alors le seul à pouvoir user de la contrainte contre tous de façon acceptable puisque cela se ferait au nom de la sécurité pour tous… C’est la légitimité de cette violence que l’on conteste maintenant par le manque de jugement de plusieurs policiers et de leurs dirigeants. Ce sont donc les fondements de la politique moderne qui s’effritent lorsque le pouvoir politique et le bras armé de l’État – nos corps policiers – semblent conjointement en guerre contre une jeunesse contestataire mais en très grande majorité pacifique.

En plus des nombreuses arrestations préventives, du profilage politique, de l’interrogatoire de Gabriel Nadeau-Dubois en apparence commandé par le ministre de la Sécurité publique, du traitement abusif des manifestants, un événement récent témoigne de ce sentier de la guerre qu’empruntent nos corps policiers: l’arrestation en ce lundi 11 juin d’un étudiant du Collège de Maisonneuve, Mathieu B. Girard, alors en route avec sa famille vers Chicoutimi pour y préparer les funérailles de sa sœur qu’il a lui-même trouvée morte quelques jours auparavant.

Est-il suffisant d’en dire plus pour comprendre l’odieux de cette situation? Quel était l’objectif de cette arrestation alors qu’en de pareils cas, il suffit généralement de faire signer à l’individu appréhendé une promesse de comparaître ou simplement d’appeler son avocate? Est-il possible que l’objectif de cette arrestation ait été de profiter de la fragilité émotionnelle de cet étudiant pour qu’il dénonce d’autres personnes impliquées dans des méfaits? Si tel est le cas, de telles stratégies s’apparentent à de la torture psychologique et elles méritent d’être dénoncées.

Quel que soient les actes répréhensibles dont on accuse Mathieu, il a droit au respect et à la dignité. Il semble au contraire qu’il ait eu droit au mépris et à l’absence de jugement qui caractérisent de plus en plus nos corps policiers dans le contexte tendu de la grève étudiante. Le Service de police de Montréal (SPVM) qui a commandé cette arrestation ainsi que la Sûreté du Québec (SQ) qui a procédé sans discernement à celle-ci doivent faire enquête pour répondre à ce qui apparaît comme un manque d’humanité crasse et un abus de pouvoir évident dans les circonstances.

Qu’on me comprenne bien, si des actes criminels ont été commis par des militants de la cause étudiante ou par des groupuscules qui profitent de la crise actuelle pour faire de la casse, ils doivent être arrêtés et jugés. Mais nous n’avions pas besoin d’une loi spéciale pour lutter contre ces dérapages. Les pouvoirs et les outils normaux de la police suffisent amplement.

Le discours du gouvernement Charest et le choix d’une loi spéciale qui renforce les pouvoirs arbitraires des policiers créent les conditions de cette politisation de la police que nous remarquons. Car s’il faut bien condamner la violence de certains manifestants, pourquoi ne pas condamner la violence policière qui a crevé des yeux, brisé des côtes, lacéré des visages, assommé des individus, humilié des manifestants?

Pour pallier à ce glissement inquiétant d’une politisation de la police et pour mettre fin à la complaisance des enquêtes menées sur les «bavures» policières, une commission indépendante et permanente doit être instituée pour enquêter sur les plaintes déposées contre les corps policiers, commission sur laquelle des citoyens, des représentants de groupes communautaires et des experts indépendants siégeront.

D’ici là, le SPVM et la SQ doivent des excuses à Mathieu B. Girard et à sa famille.