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Stratégie ou conviction?

Dans le contexte de l’actuelle campagne électorale québécoise, le débat fait rage depuis plusieurs semaines déjà entre les partisans du vote stratégique et ceux qui insistent pour voter selon leurs convictions.

J’ai déjà abordé la position de ceux qui préfèrent s’abstenir. Selon moi, leur position du «tous pourris» ne tient pas et s’ils veulent vraiment mettre du sable dans l’engrenage des élections (parce qu’il y a de très bonnes raisons de décrier le fonctionnement actuel de notre démocratie), je considère qu’ils devraient faire campagne pour une annulation massive du vote, le message étant selon moi plus clair et plus subversif qu’une simple abstention.

Revenons donc à ceux qui ont décidé d’exercer leur droit de vote, mais qui se demandent comment voter. Les partisans du vote stratégique disent que pour «sortir les libéraux», il faut se rallier au Parti québécois (PQ), seule formation politique capable de remplacer ce gouvernement corrompu et dévoyé. C’est le propos du candidat-vedette du PQ dans Rosemont, Jean-François Lisée, qui invite tous les progressistes et souverainistes à se joindre au PQ. L’argument a sa logique. Avec le mode de scrutin «majoritaire» uninominal à un tour qui est le nôtre, il est en effet fort possible que la division du vote progressiste puisse favoriser l’élection de candidats caquistes ou libéraux. Il faudrait donc «voter avec sa tête» plutôt qu’avec son cœur, de façon à nous préserver du pire: une réélection des libéraux ou une victoire caquiste, ces deux partis ayant appuyé la hausse des droits de scolarité ainsi que la loi spéciale toute construite pour briser la démocratie étudiante et compromettre nos droits fondamentaux.

Mais dans le contexte qui est le nôtre, je m’insurge contre cet appel inconsidéré au vote stratégique. Cette élection n’est pas une élection normale. Elle survient dans le contexte de la plus grande grève étudiante de l’histoire du Québec. Elle se tient à la sortie d’une véritable crise sociale, crise justement suspendue avec sagesse par les étudiants le temps de la tenue des élections. Notre printemps québécois, qui a donné les plus grandes manifestations de l’histoire du Canada et qui a fait émerger une génération politique inventive doit-il déboucher sur la victoire d’un parti qui a cherché de façon souvent malhabile à «surfer» sur la vague étudiante? Tout ça pour ça?

Il importe ici de revenir au contexte de ce printemps. Peu avant le déclenchement de la grève étudiante en février, nous assistions un peu partout en occident à l’éveil du mouvement Occupy. Ce qui était au cœur du discours de cette mouvance, c’était une critique frontale contre un système qui enrichit une infime minorité au détriment de la très grande majorité. «Nous sommes le 99%» était le slogan-synthèse de cette mouvance. Après la crise financière de 2008, les États d’occident ont en effet basculé dans des programmes d’austérité budgétaire qui coupaient dans les programmes sociaux. Pour «remédier à la crise», on nous servait la recette indigeste et mesquine de la tarification ou de la privatisation des services publics. Et simultanément, ces mêmes gouvernements engageaient des fonds publics impressionnants pour sauver les grandes banques pourtant largement responsables de la dérive financière dans laquelle on nageait.

En effet, les grands spéculateurs du milieu financier ont pris d’énormes risques sous la bienveillance irresponsable de firmes de cotation de crédits et de banques qui créaient ou donnaient de la valeur à des produits financiers qui n’en avaient pas… Or, ce sont les fonds de pension des travailleurs qui ont fondu pendant que les bonzes de la finance se faisaient littéralement sauver par les États… Et ces mêmes États devraient aujourd’hui couper dans leurs programmes sociaux parce qu’ils sont attaqués par les marchés financiers qui doutent de la solvabilité de leurs finances publiques…

Le mouvement Occupy s’est essoufflé parce que sa colère ne débouchait pas sur des revendications concrètes. Et le ronron de la «croissance pour sortir de la crise» a pris le dessus sur la nécessaire remise en question de notre mode de développement. Et pendant ce temps, aux USA, les marchés financiers sont en train de créer des papiers commerciaux adossés à des dettes étudiantes…

La grève étudiante de 2012 au Québec s’inscrit dans le sillage de cette constatation de la fuite en avant de notre modèle économique (croissance, croissance, croissance) et de la contestation d’une financiarisation de l’économie qui ne profite qu’à quelques-uns. Nos étudiants en grève se sont insurgés contre la hausse draconienne des frais de scolarité, mais ils ont vite compris, la CLASSE au premier chef, que cette hausse participait et accélérait le projet inégalitaire de nos élites politiques et financières. Les étudiants s’insurgent donc contre la marchandisation de l’éducation. Ils critiquent la déshumanisation de notre système économique. Ils crient leur manque de confiance envers nos institutions supposées «représentatives».

Or, par rapport à tout ce contexte que je viens d’évoquer, il me semble que le leadership de Pauline Marois n’a pas suffisamment remis en question les dérives et les défauts de notre système économique et politique. Mme Marois a trop louvoyé ces dernières années, entre autres sur les questions de la social-démocratie à rénover (à recentrer selon elle), comme sur la question de la réforme des institutions démocratiques (abandon du projet de réforme du mode de scrutin, puis possibilité d’adopter un scrutin à deux tours… un modèle qui ne règlerait en rien la sous-représentation politique des divers courants existants au Québec).

Bref, les différents positionnements du PQ et de leur chef sont apparus comme électoralistes. Trop de tergiversations, pas assez de convictions. Le leadership de Pauline Marois a ces derniers mois glissé vers la gauche avec les candidatures de Jean-François Lisée et de Daniel Breton, mais on ne perçoit pas de ligne directrice assez affirmée sur les questions de fonds soulevées par les mouvements Occupy et la grève historique des étudiants. Ce qu’on peut en déduire est qu’un gouvernement du Parti québécois serait plus perméable à la rue, mais est-ce suffisant ou même acceptable dans le contexte post-grève qui est le nôtre?

Ma réponse à cette question est NON. Cette élection doit déboucher sur un message plus clair. Un coup de barre plus sérieux et affirmé est nécessaire : le système économique doit être réaligné vers les travailleurs; il doit en priorité faire vivre des familles. L’État doit favoriser une plus grande redistribution de la richesse; offrir des services publics de qualité; garantir un accès à l’éducation pour tous. Le développement économique doit être repensé pour faire face aux crises alimentaires et écologiques qui pointent.

Bien sûr, sur ces différents plans, il est vrai que le PQ a cheminé. La candidature de Daniel Breton dans Ste-Marie St-Jacques est à ce sujet fort intéressante. Le gars a milité du côté des Verts avant de fonder Maîtres chez nous 21e siècle, qui avait pour but de prendre le contrôle de nos ressources naturelles dans l’optique d’un virage vers les énergies vertes. Le PQ propose aussi des mesures intéressantes en matière d’agriculture pour renforcer notre souveraineté alimentaire. Mais ce virage apparaît trop tardif et trop discret pour être compris comme authentique. J’en suis donc rendu à me dire que voter avec mes convictions est plus important dans le contexte actuel pour pousser le PQ encore plus à gauche, que de le récompenser en votant pour lui stratégiquement pour bloquer les libéraux et les caquistes…

Mais je demeure tiraillé. Ma posture n’a rien d’absolue. Je crois sincèrement que mon vote de conviction varierait selon le comté dans lequel j’habite. Nous n’avons pas un mode de scrutin à dimension proportionnelle (à cause des députés péquistes et libéraux qui ne veulent pas changer un mode de scrutin qui les favorisent), mais notre système électoral faussé a au moins le mérite de nous permettre de choisir des candidats, associés ou non à des partis. Dans ce contexte, je voterais sans doute pour Jean-François Lisée (PQ) dans Rosemont; pour Daniel Breton (PQ) dans Ste-Marie-St-Jacques; pour Léo Bureau-Blouin (PQ) dans Laval-des-rapides; pour Jean-Martin Aussant (chef d’Option nationale) dans Nicolet-Bécancour; pour Françoise David et Amir Khadir (QS) dans leurs comtés respectifs; pour Roméo Bouchard (coalition pour la constituante) dans la région de Kamouraska… Et ailleurs? Là, je suis piégé. Que faire par exemple à Bonaventure pour battre le député libéral du coin? Et dans les circonscriptions de Laval où Caq et libéraux se font la lutte? Si j’avais la conviction qu’en votant PQ, je bloquais un libéral ou un caquiste, je le ferais sans doute…

Alors stratégie ou conviction? Vous voyez que ma réponse chancelle.

Mais sur le plan personnel, mon dilemme est plus facile à trancher. Je vis dans Hochelaga-Maisonneuve, château-fort péquiste s’il en est. Ce n’est donc pas très périlleux de voter Québec solidaire dans mon comté. Et ça a le mérite d’envoyer un message plus fidèle aux grandes revendications portées par notre printemps québécois.

Je tranche donc: je choisis le vote de conviction.