La campagne électorale pour la présidentielle aux USA vient de prendre son envol officiel depuis la semaine dernière avec le couronnement des candidats et de leurs colistiers lors des conventions nationales des deux grands partis, républicains et démocrates. Nous observerons donc un match Romney-Ryan pour les Républicains vs le tandem Obama-Biden pour les Démocrates.
Et si on se fie aux sondages, ce match n’est pas encore joué. L’élection s’annonce serrée et se jouera encore dans les «swing states» que sont la Floride, l’Ohio, la Pennsylvanie, le Michigan, la Caroline du Nord, la Virginie, le Colorado, le Nevada, le New-Hampshire et quelques autres… Le système électoral américain a ses particularités, et le Président en exercice, qui recherche son 2e mandat, est confronté à des difficultés importantes: une économie stagnante avec un taux de chômage important (aucun président en exercice n’a été réélu avec de telles données), un bilan en demi-teintes qui a déçu une bonne part de sa base électorale de 2008 et un électorat encore indécis sur la direction à donner à cette méga-puissance qui se cherche tant en politique intérieure qu’extérieure.
Je prédis encore une victoire d’Obama, mais il faut se méfier de mes prédictions… Et cette victoire, je la perçois plus comme une victoire par défaut, contrairement à celle de 2008 qui comportait un large mouvement d’adhésion à la candidature d’Obama. Car quatre ans après les espoirs de changement suscités par l’élection de Barack Obama, plusieurs américains demeurent circonspects de son bilan. Il faut dire que ce président hors-norme a hérité d’une quadruple crise : deux guerres dans lesquelles les USA s’enlisent, un discrédit sans précédent de la diplomatie états-unienne, une crise financière historique qui a entraîné une crise économique et une crise des finances publiques incontrôlée. La charge était lourde. Et Obama a été confronté pour la majeure partie de sa gouverne à un congrès d’une hostilité sans précédent à son égard. Même Bill Clinton n’a pas connu une partisanerie aussi mesquine à son égard, et ce en incluant l’épisode loufoque et pathétique du scandale Lewinsky.
Pourquoi une telle hostilité à l’égard du Président Obama? Comment comprendre tout l’obstructionnisme qu’a vécu ce Président et qui explique en grande partie son bilan mitigé pour relancer l’économie américaine, réaménager la fiscalité, mieux encadrer Wall Street et réduire les inégalités criantes? Une part de l’explication relève de l’émergence du Tea Party, cette mouvance de droite dure qui a investi le parti républicain depuis 2010 d’abord en réaction à la réforme de la santé du Président, puis en réaction à pratiquement toutes les initiatives de celui-ci. Jamais le Congrès n’avait autant utilisé les tactiques de filibuster, qui sont des procédures habituellement exceptionnelles permettant à l’opposition de retarder indûment l’adoption de projets de loi et ce, même lorsque le Sénat était à majorité démocrate (avant 2010): la minorité républicaine était alors suffisamment nombreuse pour faire triompher sa mauvaise foi face à un Président qui cherchait inutilement à faire du «reach over», c’est-à-dire à pratiquer la recherche du consensus trans-partisan.
Le mythique journaliste américain Bob Woodward vient de publier un livre qui semble assez critique de la présidence Obama, imputant davantage de responsabilité à ce dernier plutôt qu’au Congrès pour son incapacité à faire triompher sa vision et ses politiques. Woodward baserait son argumentation en comparant la présidence Obama avec celles de Clinton et de Reagan qui auraient mieux réussi dans un contexte similaire, à imposer leurs vues.
Personnellement, je crois que Woodward néglige la particularité du contexte actuel aux USA. La teneur du débat public s’est assombrie depuis plusieurs mois, et plusieurs républicains ont fait glissé l’hostilité à l’égard d’Obama vers une hostilité à l’égard de l’institution présidentielle. L’exemple des huées survenues en plein discours sur l’état de l’Union en 2010 est à cet effet révélateur de cette dérive. Jamais on n’avait osé chahuter un Président lors d’un moment aussi solennel, inscrit dans la tradition du régime américain. Cette dérive trouve une part de son explication dans un racisme latent mais néanmoins persistant. Plusieurs élus du Congrès cherchent à alimenter la colère, le ressentiment et le refus d’accepter l’élection du premier Président noir des USA. Toute la controverse sur le certificat de naissance d’Obama en témoigne. Mais surtout, toutes les étiquettes que la droite dure s’est permise de véhiculer à l’endroit du Président est sans précédent: «traître à la nation, anti-américain, socialiste, fasciste, nazi, étranger aux valeurs fondatrices du pays», etc. Avec le déploiement d’un tel discours relayé par les grands médias (Fox et les nombreuses talk radios) et une partie de la classe politique républicaine, il devenait presque patriotique d’assassiner le Président!
C’est donc ce contexte qui explique en large partie le bilan en demie-teinte du Président Obama: une obstruction systématique de la part des Républicains alimentée par un vieux fond raciste et radical. L’autre partie de l’explication se situe peut-être aussi dans le style d’Obama. Un style «Carterien» si je peux dire, à l’image de Jimmy Carter, un Président qui se voulait rassembleur et qui réunissait une équipe de Secrétaires diversifiée sur le plan idéologique. Cette posture a été perçue comme mollassonne par une large part de l’électorat en 1980, ce qui a contribué à la défaite de Carter… Si Obama perd en novembre prochain, ce sera en partie pour son style: trop cérébral et trop conciliant dans un contexte où l’espace pour le compromis n’existe plus.
Le parallèle avec Jimmy Carter n’est pas anodin. C’est le dernier Président démocrate à avoir fait un seul mandat. C’est aussi celui qui a été battu par Ronald Reagan, la figure mythique des Républicains, encore considéré comme l’un des plus grands Présidents de l’histoire par plusieurs électeurs de toutes tendances… Et le Parti républicain a cherché à réactiver LA question de l’urne (the ballot question) lors de leur convention de la semaine dernière: Are you better off now than you were 4 years ago? (Votre situation s’est-elle améliorée depuis 4 ans?) C’est la question qu’avait posée Reagan lors du débat télévisé de 1980 et que plusieurs considèrent comme ayant favorisé sa victoire…
Obama devra surnager pour changer cette question: «Croyez-vous que le tandem Romney-Ryan est mieux à même de nous sortir du marasme dans lequel nous sommes en train de nous départir?»
En espérant que les mensonges, la désinformation et la mauvaise foi des Républicains qui cherchent à capitaliser sur les faillites de la présidence Obama dont ils sont pourtant directement les premiers responsables seront surclassés par l’éloquence et la vision claire de l’Amérique qu’offrira Barack Obama à ses électeurs et au monde. Il est encore permis d’espérer…
Il semble que je ne sois pas le seul à établir un parallèle entre Obama et Carter… Mais je trouve mes liens moins tendancieux:
http://blogues.lapresse.ca/hetu/2012/09/13/de-jimmy-carter-a-barack-obama/
et un autre qui reprend un thème de mon papier: http://blogues.lapresse.ca/hetu/2012/09/18/%C2%ABje-reve-a-un-president-blanc%C2%BB/