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La solidarité de circonstance

Je viens de lire deux textes (1) que je crois importants dans toute la nécessaire réflexion sur la grève étudiante de 2012.

Il nous faut réfléchir sur cette mobilisation historique; sur les dérives autoritaires de l’État face à cet appel de la rue qu’il ne fallait pas ignorer et surtout pas mépriser ou violenter si on était un tant soit peu démocrate…

L’auteur, Philippe de Grosbois, professeur de sociologie au Cégep Ahuntsic, élabore sur les cultures démocratiques distinctes du mouvement syndical par rapport aux groupes d’affinités qui se sont créés durant la grève étudiante de 2012. L’exemple utilisé par l’auteur pour disserter (intelligemment) sur cette typologie de l’action politique est le collectif des Profs contre la hausse (PCLH).

Je voudrais ici (après que vous ayez lu les deux excellents textes de Philippe de Grosbois) faire quelques mises au point.

Je fais partie d’un exécutif syndical parmi les 14 Collèges qui ont connu la grève générale illimité et les injonctions. J’ai participé à quelques rencontres du Collectif des Profs contre la hausse et je leur serai toujours reconnaissant d’avoir stimulé le combat mené par les étudiants cette année là. Leur dynamisme, leur énergie et leur possibilité d’agir là (ici et maintenant), à la limite de la légalité (ou carrément illégalement, mais toujours de façon légitime), a contribué à faire tomber le gouvernement Charest et à bloquer cette hausse des frais de scolarité qui accélérait le prisme du marché dans le domaine du Savoir…

J’ai écrit un article dans le dernier numéro de la revue Argument qui place le regard que je pose sur cette grève historique et sur la contribution (et les errances) de la CLASSE. Mais je voulais réagir ici au propos souvent juste et perspicace, mais aussi légèrement déplacé de Philippe de Grosbois concernant l’apport d’un groupe d’affinité comme PCLH à la démocratie syndicale…

Avant de jeter le pot, il faut tout de même quelques fleurs… Le texte de Philippe de Grosbois est pour moi un jalon important dans ce nécessaire questionnement autour du «renouvellement du syndicalisme». Les modes d’action et de communication d’un groupe affinitaire comme PCLH doivent imprégner le mouvement syndical. Mais les individus qui militent dans ces groupes ou qui sont membres d’un syndicat doivent aussi réapprendre ce que j’appellerais ici la solidarité collective.

Ceux qui mettent sur un même pied les syndicats et un groupe comme PCLH confondent deux choses bien distinctes dans leurs finalités et leurs exigences… Un syndicat doit d’abord défendre un contrat de travail. S’il en a les moyens, il doit aussi offrir une vision cohérente de la société et tisser des liens avec les autres composantes de la société civile avec lesquelles une compatibilité des valeurs existe…

Or, un groupe comme PCLH est beaucoup moins exigeant. Il rassemble des gens autour d’un objectif commun. La solidarité qui les rassemble est conjoncturelle. Elle peut bien entendu s’intégrer à une vision plus compréhensive (globale, cohérente) de la société, mais il reste qu’un groupe comme PCLH est d’abord bâti sur une solidarité partielle, de circonstance.

La solidarité syndicale est plus exigeante. Je la qualifierais de permanente et de fondamentale. Non seulement un syndicat rassemble des gens de différentes valeurs et idéologies, mais il se doit de défendre l’ensemble de ses membres et les positions adoptées par son assemblée générale. Comme membre de mon syndicat, je me dois d’être solidaire des positions prises par mon assemblée générale. Et celle-ci est plus hétéroclite que ce qui réunit un groupe comme PCLH. On comprend donc que la solidarité qui me lie à mes collègues de travail est plus exigeante.

En effet, par rapport à cette exigence de solidarité collective, on peut dire que les groupes d’affinité comme PCLH pratiquent plutôt un individualisme militant. Ils accélèrent ce mouvement post-moderne de la morcellisation de l’espace public. En effet, ce sont des individus qui se regroupent autour d’objectifs précis, inscrits dans une temporalité particulière, autour d’un fonctionnement fortement démocratique bien sûr, mais d’autant plus fonctionnel qu’il est bâti sur une affinité précise, un objectif commun spécifique, restreint par définition. Tout le reste est évacué (et tous les «autres»)…

Bien sûr que je reconnais que l’espace public s’est enrichi avec PCLH (et je milite pour que cela continue), mais cette «spécialisation» de l’engagement fait en sorte que les mouvements sociaux éclatent (c’est un constat, pas une déception…).

De leur côté, les syndicats ont une responsabilité collective (et légale) que des groupes comme PCLH peuvent évacuer (et dont ils peuvent tirer profit!)… Je suis toujours mal à l’aise quand j’entends des Profs contre la hausse qui ont contribué à rendre inopérantes les injonctions et la loi spéciale durant la grève blâmer les syndicats pour avoir officiellement donné la consigne à leurs membres de respecter les ordres des tribunaux durant la grève…  Ce sont les mêmes qui vont ensuite cogner à la porte des centrales syndicales pour bénéficier de leurs services juridiques ou de leurs fonds de défense… Comme si ces gens avaient oublié que sur les sentiers d’un conflit, il y a plusieurs terrains: celui de la légalité et celui de l’illégalité.

Car si un collectif comme PCLH doit bien sûr contribuer à renforcer la démocratie syndicale (en investissant massivement les assemblées générales), il doit aussi comprendre que son champ d’action n’est pas le même. Il doit donc aussi maintenir sa spécificité. Son champ d’action est «spécialisé», celui que le groupe lui a défini, pour le moment. Il favorise l’action directe. La responsabilité des acteurs demeure individuelle. Cette solidarité de circonstance est sa force et sa limite.

C’est pourquoi je considère que les gens de PCLH ne peuvent se poser en donneurs de leçons démocratiques pour les syndicats. Ils ne peuvent que reconnaître les limites de leurs actions et espérer insuffler du dynamisme et un soucis de transparence aux instances syndicales qui sont les leurs… Il faut aussi que ces groupes d’affinités reconnaissent que leur champ d’action est moins large, moins exigeant. Il faut bien sûr travailler à un rapprochement des cultures politiques des ces deux mouvances, mais aussi maintenir leurs spécificités et leur complémentarité.

Pour y aller un peu fort, je dirais que la solidarité de circonstance des groupes d’affinités ressemble à une forme de charité dans le domaine de la solidarité. Elle est bienvenue, fort utile, mais ne remplace en rien le nécessaire travail de fond mené par les syndicats pour renforcer le filet de sécurité sociale, instaurer des politiques égalitaristes et lutter contre la marchandisation des rapports humains.

Bref, si on comprend bien mon propos, j’affirme la grande utilité et j’admire le dynamisme et l’efficacité des groupes d’affinités; je reconnais que leur mode de fonctionnement peut contribuer à renouveler le syndicalisme, mais je tiens aussi à réaffirmer que le syndicalisme (du moins au sein de la FNEEQ-CSN où je m’implique) est déjà une force qui pratique la solidarité comme projet et comme mode d’action.

Et cette solidarité n’en est pas une de circonstance…

Une véritable démocratie implique un espace commun assez large, à travers lequel plusieurs enjeux sont débattus. Cela implique également une solidarité exigeante: accepter que les décisions prises collectivement ne nous plaisent pas toujours…

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(1)- Philippe de Grosbois, «Deux cultures démocratiques se rencontrent», À bâbord, section blogue, page consultée le 16 octobre 2013: http://www.ababord.org/spip.php?article1704