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Construire le réalignement

Les résultats de cette élection confirment le réalignement politique qui s’opère au Québec depuis près de 15 ans. Mais jusqu’ici, notre mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour nous empêchait de le voir puisqu’il favorise le bipartisme. C’est comme si notre mode de scrutin actuel, en plus de distorsionner la volonté populaire, contribuait aussi à maintenir artificiellement en vie le PQ, au détriment des autres forces politiques qui émergent.

Le bipartisme imparfait que nous avons ne correspond donc plus aux intérêts d’une société pluraliste comme la nôtre. Ni à sa réalité. Et le discours sur la nécessaire réforme de notre mode de scrutin doit être relancé puisqu’il est important que nos institutions soient en phase avec les diverses composantes de la société qu’elles sont supposées représenter. Nous avons un mode de scrutin qui nous donne un parlement en noir et blanc alors que notre société est en couleur. D’autres réformes démocratiques seront également nécessaires pour faire en sorte que la démocratie puisse se pratiquer tout au long du processus décisionnel et pas seulement lors d’élections générales où le débat est tronqué par des formules creuses et où les résultats sont déformés par une mécanique foncièrement élitiste et infecte, comme disait René Lévesque. Tous ceux, et ils semblent encore nombreux au PQ à se cramponner dans ce déni, tous ceux qui reprochent à QS, ON et aux autres de ne pas joindre leur parti sous prétexte que les forces indépendantistes sont divisées et profitent aux libéraux n’ont pas compris que si QS et ON disparaîssaient, la plupart de leurs électeurs seraient orphelins et n’iraient pas grossir les appuis du PQ.

Le PQ est un parti en déclin. Le projet de souveraineté doit être réarticulé, sans quoi il tombera lui aussi dans la trappe de l’histoire. J’ai déjà écrit sur le fait que l’attachement à l’identité québécoise pour les nouvelles générations n’est plus un acquis et qu’il fallait en tenir compte. Je suis souverainiste, mais je ne suis pas favorable à ce qu’on lance le Québec à nouveau dans une démarche référendaire sur cette question. Une pause est nécessaire pour permettre le réalignement politique sur la question nationale de s’opérer. Et cela veut dire que le camp du «Québec d’abord» (à noter que seul le PLQ est dans le camp du «Canada first» au Québec) doit continuer d’appuyer le NPD sur la scène fédérale, puisque c’est la seule formation qui accepte la vision québécoise du fédéralisme canadien. Le Bloc est mort. Il faut au minimum le reconnaître.

Au Québec, durant la dernière campagne, l’ambiguïté des péquistes sur leur intention référendaire avait quelque chose d’anti-démocratique et d’irresponsable. Leur manière de porter le projet de Charte de la laïcité méritait aussi d’être sanctionnée. Maintenant, souhaitons que le PQ tel qu’on le connaît actuellement disparaîtra et que de ses cendres naîtra de nouvelles formations politiques, moins obsédées par l’échéancier référendaire et plus par l’idée de porter un projet rassembleur et emballant.

Les souverainistes doivent comprendre que les nationalistes de droite comme Mathieu Bock-Côté voteront toujours OUI au projet de pays. Ceux et celles qui risquent de voter OUI mais qui sont plus réticents à embarquer dans le train de la souveraineté sont les gens de gauche. La souveraineté se fera peut-être un jour si le mouvement indépendantiste québécois réussit à rallier la gauche.

Et les gens de gauche doivent comprendre que s’ils veulent un espace au sein duquel il est possible de rêver une société plus juste et plus verte, c’est au Québec qu’ils peuvent espérer réaliser leur projet.

Alors, j’invite les gens à commencer à s’impliquer activement dans les mouvements sociaux, les partis politiques dans lesquels ils se reconnaissent, les organismes de toutes sortes pour que nous puissions commencer à bâtir ici et maintenant une société plus juste, plus cohérente, plus emballante que celle du Canada qui est dysfonctionnelle, schizophrénique, bâtie sur des malentendus et qui se perpétue sur la mauvaise foi.

Plutôt que d’attendre que le réalignement s’opère et vienne d’en haut, je propose que chacun d’entre nous s’attèle à le construire dans nos milieux respectifs. Cela veut dire que les mouvements sociaux et les petits partis politiques doivent marteler leur adhésion à l’adoption d’un mode de scrutin à visée proportionnelle. Ce dossier devrait être leur obsession. Je propose que les trois députés solidaires ne parlent que de réforme du mode de scrutin et d’autres mesures associées en vue de démocratiser nos institutions pour les quatre prochaines années. J’admets pour avoir déjà milité sur le sujet qu’il sera difficile de mener ce combat, car c’est un sujet éteignoir et un débat qui devient très vite technique. Mais aucun autre sujet n’est aussi documenté et aussi avancé que celui-là à l’Assemblée nationale du Québec. On connaît déjà les contours acceptables de la réforme à faire. Il ne manque qu’une réelle pression populaire sur le sujet. Chose certaine, nous ne pouvons nous en remettre aux députés pour faire avancer ce dossier. Une piste porteuse serait de rassembler des personnalités de tous horizons favorables à une réelle réforme de notre mode de scrutin, comme le MDN l’avait fait en 1998 et comme il est en train de le faire à nouveau.

Si le PQ vit une si grande crise, c’est parce qu’il est devenu un parti axé sur le pouvoir, qu’il s’est vidé de tout son idéal démocratique. Aussi parce qu’il se parle à lui-même plutôt qu’à l’ensemble des Québécois (*). Son effondrement électoral est à ce sujet une occasion à saisir. Mais plutôt que d’espérer que ce soit les péquistes qui se ressaisissent et se reconnectent avec la population (les discours des trois vautours que sont Drainville, Lisée et PKP le soir de l’élection en disent long sur leur propension au déni), je propose que ce soient les citoyens du Québec qui travaillent activement à construire le réalignement politique en cours.

  • Investissez les syndicats, associations, partis politiques et mouvements sociaux pour qu’ils et elles deviennent ces «bêtes féroces de l’espoir» pour reprendre les mots de Miron si bien réactivés par le mouvement étudiant de 2012.

On s’en r’parle!