J’ai lu Rhapsodie québécoise, de Akos Verboczy. Ce livre est pour moi aussi important pour son époque que Le Marché aux illusions de Neil Bissoondath l’a été pour la décennie 1990.
Je rappelle que le livre de Bissoondath critiquait fortement la politique canadienne du multiculturalisme (pas le pluralisme identitaire, mais la politique canadienne de gestion de la diversité appelée multiculturalisme). Selon Bissoondath, le multiculturalisme ne proclamait pas de valeurs fortes relevant de l’identité canadienne et laissait donc se développer des communautés qui vivaient côte-à-côte, se tolérant, mais n’entrant jamais véritablement en contact les unes avec les autres.
À la tolérance du modèle multiculturaliste canadian qui conduisait à une indifférence mutuelle et qui ne cultivait que la superficialité plutôt que l’ouverture, Bissoondath choisissait une société qui valoriserait l’acceptation de la différence. Passer de la tolérance à l’acceptation devenait difficile avec le muticulturalisme… C’est pourquoi Bissoondath avait alors choisi de s’établir au Québec: on y valorisait selon lui un modèle d’intégration où l’immigrant, tout en pouvant cultiver sa différence, devait aussi se départir de son héritage personnel pour s’intégrer à une culture d’accueil particulière, qui mérite notre intérêt et notre curiosité puisque c’est là que nous vivrons désormais… Les Canadians hors-Québec n’ont pas aimé à l’époque le discours critique de Bissoondath. Et je crois qu’ils n’ont pas encore mijoté sur les nombreux problèmes que la politique canadienne du multiculturalisme génère, non seulement pour le Québec, mais pour le Canada lui-même…
Il suffit de plonger dans Rhapsodie québécoise, d’Akos Verboczy pour comprendre comment ce livre approfondit et incarne concrètement les différents problèmes soulevés par Bissoondath. C’est un plaidoyer pour la pertinence d’une petite culture comme la nôtre… Par ses anecdotes, sans que ce soit souligné à gros traits, Akos nous rappelle que le véritable universel se situe dans les cultures qui savent résister au «globish», à ce magma informe et «produit» au bénéfice du plus petit dénominateur commun. Et suivre Akos nous raconter son parcours migratoire de la Hongrie jusqu’au Québec nous permet d’entrevoir d’un autre angle nos éternelles querelles sur la place du Québec au sein du Canada, sur l’indépendance du Québec, sur la place du français dans l’espace nord-américain…
On pourrait dire que ce parcours migratoire si bien raconté par Akos pose la question: le Québec mérite-t-il d’être préservé? C’est comme si Akos Verboczy soulevait la question de la survivance posée par la nation québécoise pendant si longtemps (disons 1840-1959)… Cette survivance traumatisante, paralysante, qui fixait les caractéristiques de l’identité canadienne-française: française, catholique, rurale!
Le fait de lire sur le parcours d’un immigrant arrivé ici dans les années 1980, un enfant de la loi 101 qui se considère aujourd’hui comme Québécois, nous rappelle le parcours identitaire de la société d’accueil… En passant de Canadiens-français à Québécois, on peut présumer que nos prédécesseurs nous ont consciemment sortis de l’identité fixe proclamée auparavant. Par cette révolution tranquille nous avons embrassé le projet national moderne: avoir une culture vivante plutôt que survivante, c’est-à-dire capable d’intégrer ses immigrants dans sa langue, dans sa culture, tous Québécois partageant une culture publique commune substantielle – des raisons communes – comportant suffisamment de références partagées (quelques canons littéraires et cinématographiques obligés, des valeurs fortes) pour nous projeter ensemble dans le futur!
Quel beau projet! Or, le livre d’Akos répond à cette inquiétude lancinante d’une petite nation comme la nôtre: Qu’est-ce que le Québec ? Teinté d’humour, son récit démontre aussi très bien que le commercialisme bas pratiqué par les partis (libéral du Québec et du Canada) à l’égard des clientèles électorales naturelles que sont devenues les communautés issues de l’immigration nuit au projet de faire du Québec une véritable culture d’accueil et d’intégration plutôt qu’une simple composante de la mosaïque multiculturelle canadienne… Comment une telle politique, en plus d’être folklorisante pour ces dites cultures que l’on caricature dans leurs différences superficielles, comment une telle politique donc, déconstruit la société au point de fragiliser non seulement le fait français, mais toute la cohésion sociale et les conditions d’une véritable vie démocratique…
Un livre important je vous disais.
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