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de Gaulle: la véritable grandeur

J’ai écris précédemment sur cette plateforme à propos de la supposée ou envisageable  «grandeur en politique» que l’on pouvait espérer de Justin Trudeau. Au lendemain de l’élection de cet héritier issu de la famille royale canadienne, je lançais ce billet comme un appel. Mais déjà, mes appréhensions semblent se confirmer. Son virage écolo ne sera composé que de formules creuses et d’«acceptabilité sociale» construite par des firmes de relations publiques, sans débats réels sur la filière des sables bitumineux… Et sa sympathie éventuelle envers le peuple palestinien (pas même amorcée) n’aura aucune conséquence sur l’occupation la plus inhumaine toujours en cours actuellement: celle menée par l’État d’Israël contre le peuple palestinien.

Mon désespoir en ce qui concerne le paysage politique actuel (ne parlons pas de Couillard si vous voulez bien, ni de PKP, qui n’a accompli qu’une entrée et une sortie fracassante de la vie politique), chez nous comme ailleurs, fait de moi un nostalgique d’un homme d’une véritable grandeur: le Général de Gaulle.

J’ai dû relire quelques ouvrages et visionner récemment plusieurs vidéos relatant la longue carrière politique de Charles de Gaulle, ce géant dans tous les sens du terme. Mon objectif était de faire découvrir à mes étudiants ce qui caractérise un grand leader politique. J’ai abordé de Gaulle parce que j’ai tendance à croire qu’il n’y a pas beaucoup d’autres leaders qui démontrent aussi clairement que lui que l’histoire s’écrit d’abord par les hommes et les femmes. Ce sont eux et elles qui la font, par delà les circonstances incontrôlables de la Fortune (l’imprévisibilité des événements) comme dirait Machiavel.

Le grand leader, c’est celui qui fait la différence et qui est grandi par les crises que son pays traverse. Le grand leader, c’est celui ou celle qui réussit à sauver son pays du déclin pour ensuite le propulser plus haut et plus loin que sa puissance réelle et objective ne le permettrait. En ces matières, de Gaulle est donc une figure emblématique incontestable. Pour la France, il est l’homme politique le plus important de l’histoire contemporaine (j’irais jusqu’à dire pompeusement l’homme le plus important, point). Rappelons quelques faits et gestes du personnage pour en témoigner:

Avant la Deuxième guerre mondiale, de Gaulle prévient l’état-major de l’armée française que la prochaine guerre en sera une de mobilité et de rapidité… On ignore son avertissement en construisant les fortifications de la ligne Maginot et en adoptant une stratégie attentiste face à l’Allemagne. On sait ce qui arrivera.

1940 : La France se fait envahir, écraser et occuper. Puis le régime nazi y établit un gouvernement de collaboration (Vichy). De 1940 à 1945, la France n’existe plus! Seul de Gaulle, par son appel du 18 juin 1940, proclame que la France existe et qu’elle résiste! Il personnifie alors, seul, ce qu’il reste de la France.

1945-46 : de Gaulle réussit à faire en sorte que la France demeure une puissance internationale en manœuvrant pour lui obtenir un siège permanent avec veto au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. Grâce à de Gaulle, la France est considérée comme faisant partie des vainqueurs de la Deuxième guerre mondiale: elle prend sa place au sein du club sélect des puissances dans le nouvel ordre international qui s’instaure. Puis, de Gaulle rétablit la démocratie en France et évite les règlements de compte sanglants entre résistants et collabos. Dès après, il quitte la vie politique, en désaccord avec le système parlementaire de la 4e République.

1946-1958 : C’est la «traversée du désert». Cette expression évoque le fait que le Général s’est mis en réserve de la République et profite de la quiétude de son domicile à Colombay-les-deux-églises pour rédiger ses mémoires, qui sont une œuvre littéraire en soi en plus d’un traité éloquent en études stratégiques.

1958 : Retour au pouvoir. Appel du peuple et de la classe politique pour résoudre la crise algérienne… Charles de Gaulle maintien au départ une ambigüité sur ses intentions réelles pour résoudre la crise. Son discours d’Alger, dans lequel il claironne un «Je vous ai compris» à double sens réussit à calmer les deux camps en opposition, celui des Algériens et celui des Français d’Algérie. Mais rapidement, son réalisme l’amène à privilégier la solution de l’indépendance pour l’Algérie. Et c’est après avoir écrasé militairement les groupes armés algériens que de Gaulle prépare un référendum d’autodétermination pour l’Algérie. Toute la politique de décolonisation menée sous de Gaulle en Afrique de l’ouest sera inspirée du même principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, par voie référendaire. Dans ses différents discours autour du thème de la décolonisation, Charles de Gaulle adopte une lecture idéalisée du passé colonial français mais une lecture réaliste de l’inévitable décolonisation. Comme si la mission civilisatrice de la France arrivait à son dénouement normal: l’indépendance des peuples amenés à la liberté par la France… de Gaulle (notez que ma phrase commence par une minuscule) agit alors comme un géant magnanime, dépositaire de la liberté des peuples… Je reconnais sa perspective colonialiste – lui dépositaire de la liberté, mais j’admire son réalisme démocratique dans ce dossier. Il dira: «Il est tout à fait naturel que l’on ressente la nostalgie de ce qui était l’Empire, comme on peut regretter la douceur des lampes à l’huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais Quoi! Il n’y a pas de politiques qui vaille en dehors de la réalité».

1958-62 : Écriture de la constitution de la Ve République. Les institutions actuelles de la France ont été écrites de la main du Général. Et on peut dire qu’il y a de l’intelligence dans ce système mixte dans lequel le Président, élu par le peuple, peut être confronté à une Assemblée nationale opposée à lui, ce qui engendrait assez souvent un gouvernement et un premier ministre de cohabitation. Les Français ont modifié en 2000 le septennat du Président pour le ramener à un mandat de cinq ans. De cette façon, ils ont quelque peu changé la dynamique du système inventé par de Gaulle. J’ai tendance à croire qu’ils ont ainsi augmenté la dimension présidentielle du régime, en favorisant une plus grande convergence entre présidence et composition de l’Assemblée nationale, puisque les élections présidentielles et législatives ont souvent lieu en même temps depuis…

1964 : retrait de la France de l’Otan et développement de la puissance nucléaire française. de Gaulle considérait que l’arme nucléaire assurait à la France sa pleine souveraineté, c’est-à-dire sa capacité à définir et mettre en œuvre sa propre politique étrangère. Réalisme.

1967 : En visite au Canada, de Gaulle lance son fameux «Vive le Québec libre!» Écoutez son discours, vous y verrez à la fois ce que Jean Lacouture appelle «la dette de Louis XVI» comblée par ce dépositaire de la liberté des peuples qu’est Charles de Gaulle. Il prend position en 1967 pour un Montréal français (à l’époque c’est un statement, puisque le Québec n’a pas encore adopté de loi proclamant le français comme langue officielle… Et même en 2016, ce constat est périlleux!) et il ressent clairement la décolonisation de l’intérieur que la révolution tranquille est en train d’opérer pour les Québécois. de Gaulle léguera pour le Québec une capacité d’agir sur la scène internationale que peu d’États non-souverains ont encore aujourd’hui.

1967 : Guerre des six jours. Le condensé historique qu’offre le Général en répondant à une simple question d’un journaliste dans le vidéo qui suit est d’une actualité brûlante. de Gaulle a vite compris que la guerre de 1967, selon lui déclenchée par Israël, n’est pas menée en réplique à «l’agression du colonel Nasser». Pour de Gaulle, Israël mène à partir de 1967 une guerre de conquête territoriale et il prévient clairement que cela ne peut conduire pour l’État hébreux qu’à une dégénérescence morale et une politique de répression implacable qu’il condamne d’ailleurs sans équivoque. La politique étrangère française opère alors un virage plus pro-arabe ou du moins beaucoup plus critique envers Israël.

(Les meilleurs moments viennent à partir de 8:00)  :

Mai 1968 : La crise sociale fait perdre ses repères au Général. Il interprète celle-ci comme un appel pour plus de démocratie. Il propose alors un référendum sur la régionalisation des pouvoirs, pensant pouvoir répondre à certaines aspirations de la jeunesse mobilisée. Le NON l’emporte. de Gaulle démissionne. Il ne s’accroche pas au pouvoir.

Il meurt en 1970. Quel legs! Quelle perspicacité! Et je n’y suis allé qu’à grands traits. Je n’ai pas abordé le fait qu’il a toujours condamné la guerre du Vietnam et même prévenu Kennedy de ne pas s’y engager, lui annonçant l’échec américain à l’avance… Non, de Gaulle avait les idées claires, il les formulait clairement et il les mettait en œuvre, en tout respect et en toute fidélité pour la France.

Qui, aujourd’hui, peut se revendiquer d’une telle grandeur pour son propre pays?